Ce jeudi, Nicolas Martin signait à mon oreille sa plus mauvaise prestation depuis le démarrage, avec pourtant au micro sa plus intéressante invitée : Yvonne Choquet-Bruhat, mathématicienne âgée de 92 ans, femme à la voix feutrée par l'âge mais à l'esprit contondant, ayant travaillé de façon soutenue avec Albert Einstein, creusé mathématiquement les solutions des équations de la Relativité générale, et rapportant au micro de France Culture ses souvenirs professionnels avec une vive acuité.
C'est l'honneur de la Méthode Scientifique que d'inviter un tel personnage, très peu médiatique mais à la parole précieuse, et cela jette un jour lumineux sur les ambitions de l'émission, qui dépassent bien celle du simple magazine d'actualité scientifique.
Yvonne Choquet-Bruhat, tout en finesse, égrène son parcours de mathématicienne frottée de physique classique, dans un phrasé à l'ancienne, tout fait d'élégance et de retenue, parlant comme on tient une plume. Elle campe très bien, en quelques phrases, le décor, le décès précoce de son père François Bruhat, directeur de l'ENS de la rue d'Ulm, pour causes d'incommodités faites au régime vichyssois ; ses tuteurs en science, Jean Leray, André Lichnerowicz ; ses centres d'intérêt et le coeur de son travail, celui de l'élucidation de solutions mathématiques à diverses équations de la physique classique (entre autres celles de la Relativité générale donc) ; la nature de ses entretiens avec Einstein, qu'elle dépeint plus sujet aux doutes que ce qu'en laisse penser le portrait qu'on dresse de lui classiquement ; l'écart qu'elle a toujours gardé avec la physique quantique, pour laquelle les mathématiques sont toujours selon elle immatures (en aparté : c'est aussi l'avis d'Alain Connes qui a entrepris avec sa géométrie non-commutative d'en mieux saisir le coeur mathématique)...
En face d'elle, Nicolas Martin a eu l'air d'être un journaliste débutant. Une personnalité telle que son invitée, maîtrisant sa parole de façon cristalline, sachant tacitement manier le silence autant que les mots, a eu l'effet d'un révélateur sur les défauts du producteur qui grèvent cette quotidienne scientifique. Multipliant les tics journalistiques à l'envi : citation du nom de l'interlocuteur 5 fois par phrase - c'est atroce à écouter, merci Philaunet d'avoir créé la rubrique
nom, nom et nom! pour s'en plaindre spécifiquement -, incapable de redescendre la voix sur la tonale, rire con post-adolescent hors de propos au rebond de la parole de l'invitée, colmatage lourdingue du moindre silence qu'on aurait pu laisser naître pour donner de l'épaisseur à l'émission, et c'aurait été facile avec la matière donnée par YCB, interludes musicaux à côté de la plaque (il n'y avait rien de mieux à caler qu'un trip hop branchouille ?), etc.
Dans cet exercice, Nicolas Martin m'a furieusement rappelé Aurélie Luneau. C'est loin d'être une insulte, AL ne déméritait pas, mais enfin on les croirait sortis du même moule, mêmes relances, mêmes entretiens sans grand savoir-faire, sans grande saveur, même travail laborieux de la voix...
Par ailleurs, et ce fut un défaut notoire dans cette émission, Nicolas Martin avait pour clair programme de faire dire à son invitée toute la difficulté qu'elle a probablement eue à être une femme dans ce monde très masculin de la science dure (d'alors), et combien machistes avaient dû être ses professeurs et ses pairs. Grand mal lui en a pris, Yvonne Choquet-Bruhat a pris un malin plaisir à le démentir en tout point et continûment. NM a pourtant été lourd à souhait sur le sujet, revenant à la charge à plusieurs reprises, suggérant devant la difficulté que le machisme avait peut-être été surtout lové dans l'inconscient des collègues d'YCB, que ces archaïsmes dont elle avait forcément souffert, elle n'en était peut-être elle-même pas consciente... Non il n'y a pas été de main morte sur le sujet, mais on a senti toute la réticence de l'invitée à entrer dans ce jeu et à satisfaire cet impératif indignatoire.
Bref, ce fut ainsi durant ce numéro, qu'on gagnera pourtant à écouter pour l'invitée, mais ce n'est pas forcément irrémédiable, car lorsqu'il est plus à son aise (a-t-il été saisi d'humilité devant son interlocutrice ?), Nicolas Martin s'y prend mieux, distille ses questions avec plus de finesse, fait montre d'une culture scientifique peut-être de surface, mais large néanmoins, et surtout de ses qualités de synthèse. Ainsi ce mercredi à propos de l'apprentissage profond en intelligence artificielle, et ce vendredi pour une table ronde "fiction", NM a produit du meilleur jus. Sa qualité principale tient dans ses bons jours à sa capacité de reprendre le propos de l'invité en y apportant de la concision et de la clarté sans en sacrifier le sens.
En somme, c'est une tête bien faite au propos articulé mais au savoir-faire radiophonique très lacunaire et à la production trop fade qu'on nous propose d'entendre à 16h.
Il vaut mieux cela que l'inverse. Si Nicolas Martin plongeait la tête et les oreilles dans les archives que proposent les nuits de France Culture, et s'il s'armait cet art de l'entretien qui nombreux nous a fait, un jour ou une nuit, nous arrêter pour longtemps sur cette fréquence, alors l'émission pourrait figurer parmi celles qui nous tiennent encore accrochés à l'écoute de cette chaîne.