En ce moment-même,
Science Publique consacre son numéro de la semaine à cette expérience que j'ai évoquée dans deux messages déjà :
OPERA.
Expérience qui pour rappel, vous l'avez sûrement lu dans les journaux, a mesuré des particules élémentaires à une vitesse supraluminique.
Ces particules, ce sont des neutrinos (les "petits neutres"), particules dont l'existence était prédite par les théories de l'interaction faible, la force fondamentale responsable des désintégrations bêta, impliquées dans la radioactivité notamment.
Prédites, puis observées dans les années 50, vingt ans après, il en existe trois "saveurs" (c'est le terme) : l'
électronique, la
muonique et la
tauique.
Chacune est en effet associée à l'électron, ou a l'un de ses deux "cousins" : le muon et le tau, des particules très semblables à l'électron, mais beaucoup plus massives. Les neutrinos flashés par
OPERA étaient des neutrinos muoniques.
Pour continuer un peu sur les neutrinos, ces particules sont très particulières : elles interagissent très très peu avec le reste de la matière.
Elles ne sont pas chargées, donc pas sensible à l'électromagnétisme. N'ont pas de "couleur", donc pas sensibles non plus à la force qui lie les noyaux des atomes. Bref, ils nous traversent la plupart du temps sans sourciller, ce qui les rend très difficile à détecter
L'image souvent convoquée, c'est celle des 65 milliards de neutrinos qui traverse chaque cm² de notre peau toutes les secondes; neutrinos émis par le soleil, lesquels n'interagiront avec vous au cours de votre vie que 2 ou 3 fois au plus...
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Revenons-en au méfait : ce dont ils sont
présumés coupables, ces neutrinos, c'est d'avoir battu la lumière au sprint.
Quoi de grave à ça, à part l'amour-propre des photons mis à mal ?
Eh bien voici : les photons sont censés être les plus rapides, car, vous le savez peut-être, en relativité restreinte, quand un être se déplace par rapport à un autre, le temps ne passe pas de la même façon du point de vue de celui qui se déplace (l'homme dans le train, mettons), et de celui qui le voit se déplacer (l'homme à quai).
Comme vous vous en doutez, la situation est réciproque, il n'y a pas un être immobile en soi.
Eh bien quand la vitesse de corps qui se déplace atteint celle de la lumière, l'observateur extérieur mesure qu'une seconde se passe tous les 300 000 km que le corps parcourt; mais du côté du corps en mouvement, disons pour quelqu'un qui se tiendrait à côté d'un rayon de lumière pendant qu'il voyage, le temps chronométré serait de 0 secondes. Nul. En temps "interne" (on dit temps propre), les voyages sont instantanés "du point de vue de" la lumière, c'est pourquoi on n'est pas censé faire mieux...
Dès lors, que signifie aller plus vite ? Je vous le demande ? (et déjà, vous sentez l'ombre menaçante de votre petit-fils - qui n'est pas encore venu au monde -, vous glacer le dos).
Bon, il y a surement d'autres façons d'interpréter la chose, et la relativité prévoit déjà le cas de particules supraluminiques, nommées "
tachyons", mais qui elles, n'ont pas le droit d'aller moins vite. On peut considérer que leur temps interne est inversé par rapport au flux du nôtre (dans cette découpe, les particules normales, subluminiques, sont nommées les "tardons").
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S'il vous intéresse d'en savoir plus sur cette distorsion du temps, essayons : qu'il y ait une vitesse maximale est la conséquence de la réponse à une question très simple : est-ce que l'interaction entre des corps peut se faire à une vitesse arbitrairement grande ? Voire infinie ?
Car d'après Galilée, si vous et moi jouons au ping-pong, nous mesurons que la balle fait entre nous des pointes de 30 ou 50 km/h, guère plus, en cas de smash. Mais un observateur qui regarderait votre smash, en étant dans un train qui va en direction inverse de la balle, à, mettons, 10 000 km/h, mesurera le smash à 10 050 km/h (d'après Galilée, toujours). Et cette mesure est aussi légitime que celle de l'arbitre du match : tous les
référentiels (disons, les bases d'où l'on fait des mesures) se valent.
La question est donc : y a-t-il des référentiels où votre balle fonce à une vitesse infinie, en tout cas aussi grande qu'on veut, ou non ?
Toute la relativité restreinte d'Einstein se déduit de la réponses "non" à cette question : il y a une vitesse maximale, quels que soit les référentiels. On l'appelle
c cette vitesse.
Dès lors, si quelque chose se déplace à la vitesse
c, eh bien il se déplacera à cette vitesse dans n'importe quel référentiel. Impossible de le mesurer plus rapide, même en se déplaçant en sens inverse. Ce qui, au passage, conduit à dire que les vitesses ne s'additionnent pas : un train qui roule à 200 000 km/s sur un autre qui roule aussi à 200 000 km/s ne va pas à 400 000 km/s. Il faut raffiner la composition des vitesses de telle façon qu'on ne dépasse jamais
c.
Et en raffinant cette façon de composer les vitesses, on est amenés naturellement à distordre les deux composantes d'une vitesse : le temps, et l'espace.
Quand donc, on a postulé que cette vitesse maximale, la lumière y allait exactement, et que c'était ce qu'on en mesurait : 300 000 km/s (7 fois 1/2 le tour de la terre quand même), on a pu faire des prédictions qui se sont avérées d'une précision inouïe. Et dont tiennent compte toutes les autres théories physiques qui ont suivi. Dire qu'elle a été testée est un euphémisme, chaque prédiction effectuée par une théorie qui en dépend, tous les appareils qui sont contruits en en tenant compte, en ont toujours confirmé la justesse extrême (y compris la fameuse équivalence masse-énergie qu'exprime e=mc², vérifiée à chaque explosion nucléaire).
Cette valeur de
c est si fondamentale qu'on a redéfini le mètre comme étant la distance parcouru par la lumière en 1/300 000 000 ème de secondes. Enfin 1/299 792 458 ème, la meilleure valeur qu'on avait avant de laisser tomber l'ancienne définition du mètre.
Dès lors, dépasser cette valeur
c, c'est assez énorme, et si c'était confirmé, ce dont doute encore la grande majorité des physiciens à mon avis, il y aurait nombre de tentatives pour expliquer la chose par un ajout à la théorie, par un effet du genre raccourci spatio-temporel, par un mécanisme expliquant que ces neutrinos sont des tachyons, au moins temporairement (si l'on peut dire), ou autre, plutôt qu'une remise en cause des principes de la relativité restreinte, et même de la valeur
c actuelle. Impossible de bêtement décaler cette valeur, se dire qu'on l'avait simplement légèrement sous-évaluée, car sa valeur exacte est inscrite dans les équations même dont on se sert pour faire toutes ces prédictions si extraordinairement justes depuis un siècle.
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Bon, ce très long commentaire pour vous dire que Science Publique (qui est maintenant terminée) en parle, et avec des invités de très haute qualité, à savoir :
- Jean-Marc Lévy Leblond, qui a toujours un oeil décalé et perçant sur les choses de la nature.
- Gilles Cohen-Tannoudji, frère du prix Nobel Claude, mais pas en reste, notamment sur les questions d'épistémologie, cf. sa conférence sur la matière dont on parlait et qu'on a intégrée sur le fil des nouveaux chemins, ici.
- Thibault Damour, également très présent médiatiquement, physicien, spécialiste de la relativité générale cette fois, d'Einstein, et de la (trop) fameuse théorie des cordes.
- Et Guy Wormser, que je ne connaissais pas, mais dont la page de l'émission nous apprend qu'il dirige le laboratoire de l'accélérateur linéaire d'Orsay.
La page de l'émission :
http://www.franceculture.com/emission-science-publique-la-barriere-de-la-vitesse-de-la-lumiere-est-elle-remise-en-cause-2011-10-0, que je suggérerais bien en proposition d'écoute si je ne craignais pas de faire la place trop belles aux sciences, dans cette sélection des émissions qui ont l'heur de plaire le plus aux lecteurs de ce forum...