Bonjour Babyscience,
Merci de cette contribution au fil, je partage votre avis : le ton que donne Nicolas Martin a ses émissions me les rend pour l'essentiel inécoutables, et c'est bien dommage. Comme vous le notez, le producteur est pourtant honnête, compétent, et on a déjà noté ici son esprit délié.
Voici ce que j'écrivais récemment en privé au principal contributeur de ce forum, au sujet des vices et des vertus de la Méthode Scientifique (par excès de flemme et manque de temps, je reproduis ce message quasiment sans remaniement) :
Le pire exemple qui me vienne en tête en matière d'émission mise à mal par le style de son producteur, c'est la
Méthode Scientifique. Le gâchis sans nom d'un contenu par ailleurs bien souvent à la hauteur des prétentions de la chaîne.
J'ai manqué l'essentiel des émissions de l'année, ne supportant plus le ton de Nicolas Martin, avant pourtant de m'astreindre à réécouter plus attentivement certains numéros dont les titres avaient retenu mon attention. Eh bien dans plusieurs cas, le niveau y est
tout simplement meilleur, plus poussé que ce qu'offre la
Conversation Scientifique sur les mêmes sujets.
J'avais repéré par exemple cette émission titrée
"La déraisonnable efficacité des mathématiques", qui signait surtout le retour à l'antenne de
notre cher Jean-Jacques Szczeciniarz (mal orthographié sur la page : Szszeciniarz). Y participait aussi
Jean-Michel Salanskis qui donnait le change à JJS, et le niveau du dialogue entre les deux était nettement plus intéressant que ce qu'avait été l'échange avec Etienne Klein.
JM Salanskis en particulier, n'a pas hésité à entrer dans des détails et des finesses épistémologiques assez avancés, à tel point qu'on sentait JJS hésiter à entrer sur un tel terrain pendant toute la première partie de l'émission, redoutant sans doute qu'on y perde l'auditeur, mais pour y consentir finalement. Ce qui a fait de ce numéro, à mon goût, tout sauf une heure de perdue.
On peut noter que Nicolas Martin a eu le bon goût d'encourager les deux interlocuteurs à entrer dans les détails de leurs thèses et à tenter d'expliquer leurs points de vue, quitte à en passer par l'évocation de quelques points techniques. C'est là une des quelques qualités de NM : il ne prend pas son auditeur pour un crétin, un attardé, ni même un inculte.
***
Quant à
Jean-Philippe Uzan, entre autres le bras droit de Cédric Villani à la tête de l'Institut Henri Poincaré, je vous suivrai volontiers pour lui dresser des louanges appuyées.
(Reprenant à nouveau et éhontément le contenu d'un autre message récent adressé au rédacteur d'un blog voisin : ) C'est un vulgarisateur dont l'écoute à la fois agréable et fort instructive.
J'écoute ces temps-ci une production au style débraillé qui ferait horreur à beaucoup ici du point de vue radiophonique tant elle est animée par de grands enfants :
Podcast Sciences. La seule chose qui la sauve, c'est la richesse de son contenu. Les émissions, souvent faites par des post-doctorants, sont d'ordinaires plus pointues que les émissions scientifiques de France Culture.
Une de ces émissions avait pour invité JP Uzan donc, et était consacrée à la vulgarisation de la théorie de la relativité générale (ou plutôt la théorie générale de la relativité), elle dure plus de 3h et elle me semble être une des meilleures sur le sujet, si on accepte de passer outre les gloussements adolescents des producteurs de l'émission.
Voici l'émission :
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Enfin, et histoire de boucler la boucle, Podcast Science
a reçu fin mai Nicolas Martin.
L'émission, très longue (plus de trois heures, aussi décousue qu'à l'habitude), permet d'apprendre ou de confirmer pas mal de choses sur la façon dont les émissions scientifiques ont été remplacées par l'unique Méthode Scientifique. NM y répond assez franchement à de nombreuses questions, et voici ce que j'en ai retenu :
- La tranche des sciences était depuis longtemps une des seules qui accueillait encore (jusqu'en 2016 donc) des producteurs tournants, pratique onéreuse et (d'après les dogmes de la station) manquant de lisibilité; mais en réalité, pour nous autres, auditeurs réguliers, gage de richesse et de variété des émissions produites.
Il faut lire à ce sujet ce bulletin de l'AAFC (l'Association des Auditeurs de France Culture) qui recevait Sylvain Kahn en Juin 2016, alors producteur - mais jusqu'à la fin de ce mois-là seulement - de l'émission Planète Terre, l'une des émissions de la tranche des sciences pré-MS. Voici ce qu'il disait, échangeant avec Henry Faÿ, président de l'AAFC, bien connu sur ce forum auquel il a contribué de nombreuses fois, et qui m'a autorisé à reproduire dans ce forum le contenu de ces bulletins :
S. K. : S’agissant de l’audience, nous n’avons – en tout
cas, moi je n’ai pas – les chiffres de l’audience que
quart d’heure par quart d’heure, toute la semaine.
Donc en clair, on ne peut pas savoir. Je sais, je
peux vous dire l’audience moyenne à 14 heures,
de 14 heures à 15 heures, du lundi au vendredi, on
doit être à 90.000 en ce moment, mais je ne peux
pas vous dire « le lundi à 14 heures, le mercredi à
14 heures, le vendredi à 14 heures ». Je n’ai pas
les chiffres. Et à ma connaissance, Radio France
ne les a pas, parce que ça coûterait beaucoup plus
cher et puis que, ça ne vous a pas échappé,
France Culture doit être à peu près la seule chaîne
du groupe Radio France à avoir encore, dans
certaines tranches, de moins en moins, des
variations quotidiennes et donc ce type d’étude, à
France Inter ça n’existe pas. Sur France Musique
ça a longtemps existé et c’est peut-être un peu
revenu avec la nouvelle grille…
H. F. : Hélas, hélas !
S. K. : … mais sur Culture maintenant je crois qu’il
n’y a plus que la tranche de 14 heures, la tranche
de 15 heures, la tranche de 23 heures où vous
avez en fait une déclinaison différenciée par jour.
Toutes les autres tranches, parfois du lundi au
jeudi seulement, mais c’est pour un seul
animateur. Donc moi je n’ai que les chiffres pour la
tranche « sciences », je n’ai pas les chiffres pour
Planète Terre.
Avec les podcasts on peut
comparer les chiffres, l’émission la plus podcastée,
par chaîne, dans le groupe. Pour vous dire que là
j’ai des chiffres et je vais voir si vous vous
intéressez aux chiffres des podcasts : Planète
Terre, en ce moment, on est à 45.000 podcasts
par mois.
- Par ailleurs, Nicolas Martin nous indique que la tranche qu'il occupe maintenant, de 16h à 17h, attire avec la Méthode Scientifique 50 000 à 60 000 auditeurs en moyenne. Il nous précise que cette tranche était en mauvaise posture, mais que l'arrivée de l'émission a permis d'en stabiliser l'auditoire, et, selon ses termes, d'en arrêter "l'hémorragie".
Oui mais, dira-t-on à juste titre, si l'on rapporte ces chiffres à ceux cités par Sylvain Kahn, une émission comme Planète Terre attirait en juin 2016 en moyenne 90 000 auditeurs, soit plus de 50% de plus que la Méthode Scientifique. La tranche 14h-15h est sans doute porteuse naturellement de plus d'auditeurs que celle de 16h-17h, mais à 14h, les émissions scientifiques étaient en concurrence directe avec la Tête au carré de France Inter, ce qui n'est plus le cas. Il n'est pas sûr que les deux effets s'annulent, ni donc que la Méthode Scientifique n'amène ainsi réellement plus d'auditeurs vers les sciences.
- Nicolas Martin explique que ce qui compte le plus à ses yeux, au-delà de la mesure d'audience médiamétrie, ce sont les chiffres du podcast. D'après NM, les émissions scientifiques avaient 23 000 abonnés au moment où elles ont été déplacées à 16h (est-ce 23 000 par émission ? Dans ce cas il faudrait cumuler les chiffres des différentes émissions). Sylvain Kahn donnait pour sa propre émission le nombre de 45 000 podcasts par mois. Au début de la Méthode Scientifique, le nombre d'abonnés était monté à 350 000, et aujourd'hui (mai 2017) il est de 700 000.
Mais si avant même son premier numéro, le nombre d'abonnés était déjà passé de 23 0000 à 350 000, n'est-ce pas plus le signe d'une stratégie réussie de mise en valeur des podcasts que des mérites propres de l'émission ? On peut se poser la question, à tout le moins.
- NM dit ne recevoir aucune forme de contrainte de la part de direction, ni en audience, ni sur le format.
- Les émissions qui fonctionnent le mieux sont celles qui traitent de science-fiction et d'astrophysique, ainsi que les sujets relatifs à la médecine que NM qualifie de "concernante" (santé, maladies...)
- La moitié de l'équipe est composée de scientifiques. Elle comporte entre autres une réalisatrice (imposée par la chaîne), deux reporters, et une personne chargée de la veille twitter/réseaux sociaux.
- La Méthode Scientifique est, de l'aveu de NM et selon ses termes, une émission de flux "clairement assumée" (au contraire de ce que serait une émission hebdomadaire; cette digression fait suite à une question qui lui est posée sur la fréquence quotidienne de son émission). Le direct est - toujours d'après ses dires - un exercice sans filet intéressant et pourvoyeur d'adrénaline. Reviennent plusieurs fois à ce sujet, dans la bouche de NM des expressions telles que "La radio c'est du direct", radio en direct qu'il oppose au contenu "PAD (prêt à diffuser)", qui ne fournit pas, d'après lui, de la même énergie.
- On peut entendre NM dire, peut-être dans une réflexion faite un peu trop à chaud, que "le seul média scientifique années 80 [en France] est Science & Vie". Il faudrait recommander au producteur, par exemple, la lecture d'une page du site de France Culture telle que celle-ci : Extinctions de masse : avant les lions, des dinosaures et des trilobites, dossier sur les extinctions d'espèce ne datant pourtant que de mai 2017, et qui met en avant une émission produite par France Culture en 1986 : Perspectives Scientifiques, "Evolution et extinction des espèces : les grandes extinctions de l'ère secondaire", très riche émission quant à son contenu sur le sujet des grandes extinctions de l'ère secondaire, et modèle de sobriété et de clarté, toutes qualités manquant cruellement à la Méthode Scientifique, quelles qu'en soient ses qualités par ailleurs. Pour s'en convaincre, voici la pastille de l'émission : [son mp3="https://culturesons-production.s3.amazonaws.com/rf_sons/2017/07/11/NET_FC_8f5459ad-9c8b-4c73-9813-882b6abd0046.mp3" debut="00:00" fin="29:05"]
- Enfin, il faut relever une très bonne question posée par l'un des participants de Podcast Science : celle du pilotage éventuel du programme de la Méthode Scientifiques et des autres émissions de Radio France par les livres et le monde de l'édition plutôt que par les publications dans des revues à comité de lecture. Ce participant insiste sur le fait que les livres sont des travaux qui ne sont pas relus par des pairs de ceux qui les rédigent, au contraire des publications.
Pour cet intervenant, il est hors de doute que des émissions comme La tête au carré constituent leur programme pour répondre à la demandes des éditeurs partenaires et promeuvent ainsi des auteurs ou des publications qui sont parfois sujets à caution, ou simplement peu sérieux.
NM se défend de ce genre de pratiques, et il s'ensuit d'intéressantes considérations sur l'éthique qui préside à la constitution des émissions. Nicolas Martin relate notamment le déroulement d'une émission dont l'un des invités était Philippe Even. Nicolas Martin confesse (quel aveu !) n'avoir pas pris connaissance du nom de ses invités avant de démarrer l'émission - c'est donc qu'il arrive qu'elles soient entièrement montées par ses assistants. Connaissant le scandale de la ciclosporine (remède miracle au SIDA dans les années 80 et scandale dont Philippe Even fut un acteur principal), il se trouva pris dans un problème éthique de taille, pilotant une émission dont l'un des buts était de mettre en avant le livre du moment dudit P. Even.
De cette émission, on retient plusieurs choses : la bonne volonté, la candeur et probablement l'honnêteté de Nicolas Martin, mais aussi et surtout la coïncidence de phase dans laquelle il se trouve avec le dogme radiophonique actuel de France Culture : promotion du direct, des émissions de flux, du format magazine, de la nécessité première de la fameuse lisibilité pour l'auditeur, l'amour du ton des conversations adolescentes, de l'humour lourd, du jeunisme, la négligence et même la non-connaissance de ce qui a été autrefois produit par France Culture en matière d'émission scientifique et même culturelle.
Nicolas Martin échappera-t-il un jour à ce formatage insupportable qu'impose France Culture un peu partout et à toutes les heures diurnes (Philippe Garbit nous en préserve encore les nuits) ? Il en a probablement les moyens, mais la tendance actuelle ne l'y aidera certainement pas, et ce format quotidien, qui lui impose un impréparation telle qu'il ne sait parfois même pas qui sont ses invités avant que l'émission ne commence, ce format donc lui maintiendra trop sûrement la tête sous l'eau, ou dans le guidon, avec pour horizon le chiffre des podcasts et le nombre d'abonnements et de
retweets que connaîtra l'émission.