Après le mélodrame du "péril mortel", des propos de bon sens et une belle charge contre ce nouveau délire militant, et toujours depuis l'Académie :
Contre l'absolutisme navrant de l'écriture inclusive
par Marc Lambron, de l'Académie française
«Nous sommes en France, les empoignades sur le langage sont un bon signe de santé civique. Cependant, ce débat sur la féminisation de l’écriture relève de chicaneries assez basses de plafond. Si on entame une guerre de positions sur le genre en matière d’écriture, on n’en a pas fini. Par exemple, les hommes dont le métier est défini par un nom féminin, comme une estafette ou une ordonnance dans l’armée, pourraient s’alarmer et faire prévaloir le masculin au motif que leur dénomination est féminine et ne conviendrait pas à leurs fonctions viriles à moustache. La guerre du genre dans le langage peut vite tourner à l’absurde.
«Le français est une langue libre, hospitalière, qui a de l’allure. Elle respire. Elle a sa propre histoire, son jardin d’herbes folles. De nombreux écrivains, comme Stéphane Mallarmé, Raymond Roussel ou Antonin Artaud, se sont amusés à la triturer. Les surréalistes, Breton ou Aragon, écrivaient une langue limpide, ils n’ont pas commis d’attentat contre la grammaire. Cette langue n’a pas empêché non plus de nombreuses femmes de l’habiter, de Madame de La Fayette à Simone de Beauvoir. Elle n’a pas fait obstacle à l’intelligence du dialogue entre Emilie du Châtelet et Voltaire. Ce qui importe le plus est le message, et non la façon de le véhiculer. Le français est une langue suffisamment libre pour accueillir toutes les expressions. Pourquoi vouloir introduire avec l’écriture inclusive une police générale du langage ? Contrairement à ce que l’on pense, l’Académie française n’intervient pas pour codifier la langue, elle n’est pas une police, elle enregistre les évolutions liées à une époque. "Meuf" ou "kiffer" pourraient être dans le dictionnaire, ils n’y sont pas encore. L’écriture inclusive est, elle, une norme qu’on veut opposer à une autre norme. Un absolutisme navrant. Un avatar dégradé du déconstructivisme des années 70. Si Foucault ou Derrida déconstruisaient dans la subtilité, il s’agit là d’une pensée dictatoriale. Tout vocable devra comporter sa double nature, ce qui est une forme d’impérialisme, de grand redressement. Or si on redouble les genres, on enlève la singularité, ce qui définit une personne. Ce manque de singularité est une forme paradoxale d’uniformisation. Un basculement linguistique aberrant. L’écriture inclusive est un forçage absurde contre la grammaire elle-même, contre le sens de la langue.
«Il est déjà difficile d’apprendre le français, mais si on crée un langage second, dérivé, cet apprentissage sera encore plus complexe. Aujourd’hui, un enfant de 12 ans peut encore comprendre Molière. Le mode inclusif introduit un problème d’intelligibilité de la langue. Avec ce révisionnisme, on se retrouve dans une obscurité, le patrimoine devient moins accessible. L’Académie française s’est émue dans son communiqué du 27 octobre de ce problème de transmission, de ce rapport vicié au patrimoine. Les féministes de Saint-Germain-des-Prés n’ont pas non plus pris la mesure de l’ensemble des locuteurs francophones. Ils sont aujourd’hui 275 millions, ils seront 750 millions en 2050. Si le français devient moins accessible, ce sera autant d’individus qui se tourneront vers l’anglais, langue globalisante.
«Cette querelle autour de l’écriture inclusive est le symptôme d’enfants gâtés de démocraties saisies par la tentation suicidaire. Les Etats-Unis, grande démocratie, ont élu Trump, un antidémocrate, les Anglais se sont tiré une balle dans le pied en votant le Brexit et la Catalogne, région riche et prometteuse, se fourvoie dans le psychodrame indépendantiste. Si j’ose ce rapprochement, la France, avec l’écriture inclusive, est atteinte de cet étrange tropisme de vouloir compromettre et mutiler ce qui ne marche pas si mal. Sous prétexte d’égalitarisme, une forme de nihilisme est à l’œuvre. Or je ne pense pas qu’en matière de sexisme, le langage soit la première des agressions. Les inégalités sont d’abord professionnelles, de rémunération, des problèmes de rapports entre les femmes et les hommes au sein des couples. Des enjeux de pouvoir.
«On se trompe de tyran. Le sexisme du français est un problème d’usage et non de structure. Si Barthes disait que le langage est fasciste, je ne pense pas qu’il soit intrinsèquement sexiste. Je ne suis pas choqué par un madame la ministre. Mais cette féminisation des titres doit relever de l’usage, non de la codification. Si on introduit des virus proliférants, on perd la beauté du français, on perd des lecteurs, on perd des francophones."
(Libération, 6 novembre 2017)
A priori, un combat logique, facile, consensuel pour France Culture, la radio la plus littéraire de France, mais lorsqu'on lit la misérable page rédigée par Sonia Kronlund à ce sujet, et le "premier tweet en écriture inclusive" de la station, on constate qu'il n'y a plus ni l'énergie, ni la volonté de défendre notre patrimoine culturel. Quand Sandrine Treiner affirmait lutter contre tous les conservatismes, elle ne rigolait pas. A ne pas vouloir protéger ce qui mérite de l'être, on cède avec un sourire tout belkacemien aux efforts d'annexion de la sphère culturelle par des militants qui se moquent de ce qu'ils ne comprennent pas. Ce qui est beau leur est insupportable.