A la demande de Fred Kassak, les nuits de FC nous proposeront ce week-end un numéro d'une série insolite qui vécut pendant la dernière semaine du programme d'été 1989. Le titre en était : "La peinture, les yeux fermés".
Le dispositif est le suivant : un spécialiste d'art -un critique, un conservateur- accompagne au musée l'intervieweur pour lui décrire un tableau que lui seul peut voir, mais l'intervieweur non. Car cet homme qui a produit l'émission avec Marie-Dominique Arrighi, c'est Evgen Bavcar, peintre et photographe, aveugle depuis l'âge de 12 ans. La tâche du spécialiste est de décrire le tableau, et parfois même sans en donner le titre, ni dévoiler le nom de l'artiste. Bavcar confronté à cette vision et s'efforçant de lui ouvrir un chemin vers sa galerie intérieure, est l'âme du questionnement : tout aveugle qu'il soit, il veut en savoir plus sur les couleurs, sur la lumière, sur la matière , sur les détails de l'image, sur la composition. A son tour le guide ne peut manquer d'interroger le regard, puis l'acte même de la description, puis les limites même de la parole. C'est ce que sauront faire notamment René Passeron, et Jean Clair qui dans le premier numéro, déplore que les descriptions de tableau ne soient souvent que des descriptions d'image.
Au fil des émissions, le dispositif mute : le titre du tableau et le nom de l'artiste ne sont pas toujours cachés, parfois seul l'auditeur en sera privé ; parfois ce sont deux médiateurs différents qui décrivent plusieurs tableaux, du même artiste ou non. Dans le 4e numéro, le dialogue se fait autour de sculptures. Dans certaines des émissions, Marie-Dominique Arrighi complète après-coup le dispositif, interrogeant à son tour Evgen Bavcar. Le montage final nous propose en parallèle le dialogue devant le tableau, et le débriefing en contrepoint. Dans le 3e épisode, celui que les Nuits de FC ont programmé pour Fred kassak, l'un des deux regardeurs est âgé de 12 ans, à la demande d'Evgen Bavcar qui s'en explique et sa justification mérite d'être entendue.
Voila une expérimentation radiophonique, à n'en pas douter. Le risque n'était pas nul, de n'offrir à l'écoute qu'un gadget de plus, finalement stérile. Car là est bien le danger du gadget, danger dont le programme de France Culture
en ce vendredi 4 juillet pourrait bien nous fournir un exemple supplémentaire. En l'occurrence, le trick exploité par Bavcar & Arrighi n'est pas inédit : des procédés voisins avaient été exploités à la télévision, pour le meilleur par Pierre Dumayet avec "Questions sans visage", pour le pire par Gérard Miller avec "Le goût du noir". Ici, le pari est gagné, peut-être parce que très vite le gadget et l'anecdote sont dépassés, quand la parole est mise en cause, au moins autant que la vision. Et pour l'auditeur, ce dialogue devient une leçon, un apprentissage du regard.
Est-il permis d'espérer une rediffusion complète ? Après tout il n'y a que 5 numéros. 5 fois 30 minutes dans les nuits, ça devrait pouvoir se trouver : la rediffusion serait aussi encombrante qu'un A voix nue. Mais elle apporterait un à la fois un contrepoint et un démenti sérieux à l'exercice proposé chaque samedi par Jean de Loisy dans Les regardeurs.
Les 5 visites d'Evgen Bavcar : diffusées du 28 août au 1er septembre 1989
1 - Balthus, avec Jean Clair
2 - Max Ernst, avec René Passeron (et la voix d'Olivier Messiaen)
3 - Georges de la Tour, 2 tableaux décrits séparément par Pierre Rosenberg et Mathieu Gibson (12 ans)
4 - Sculpture, avec Michael Gibson et Alain Kirili
5 - Kandinsky avec Georges Boudaille ; Jackson Pollock, avec Pier Paolo Piccinato