Contenu du lien présenté au post précédent (article paru dans Téléobs le18 octobre 2015)
< < Sociologue, ex-vendeur de fringues devenu journaliste, il prend les commandes des "Matins". "TéléObs" l’a suivi en Turquie lors d’une émission spéciale consacrée aux migrants.
Istanbul, 25 septembre, 6h28. Au cinquième étage d’un hôtel perché sur une colline du quartier Cihangir, dans l’exiguïté de la chambre 501, trois mètres sur quatre avec vue plongeante sur les toits de la "deuxième Rome", une demi-douzaine de techniciens et de reporters de France Culture phosphorent et vibrionnent. Planté au milieu de cette ruche : Guillaume Erner, 47 ans, bombardé chef d’orchestre des "Matins" de France Culture depuis le départ précipité de Marc Voinchet, cet été, pour la direction de France Musique.
6h29, prise d’antenne dans une minute. A l’extérieur, c’est Byzance : le Bosphore, la remuante place Taksim à quelques dizaines de mètres. Dans cette chambre réaménagée en studio, Guillaume Erner, jean-baskets et yeux rieurs derrière des lunettes à montures épaisses, a la mine des gens sereins. 6h30 : l’heure H, enfin. Le voilà parti pour deux heures trente de direct, entre chroniques, interviews, revues de presse et reportages. Cette matinale un peu spéciale, prologue d’une journée entière consacrée aux routes de l’exil et au sort des deux millions de réfugiés syriens présents en Turquie, il la mène avec rondeur et tonicité. Les mêmes termes reviennent inlassablement dans sa bouche : exilés, migrants, réfugiés, passeurs.
Aussitôt la matinale achevée, Erner déambule dans les rues d’Istanbul et confie : "Il m’est impossible de traiter ce drame de manière purement théorique. Ces thèmes font trop écho à mon histoire personnelle." Mais encore ? Le voilà qui raconte, par le menu, le destin de ses grands-pères – polonais, juifs et communistes –, tous deux chassés de leur terre natale pour des raisons "mi-politiques, mi-religieuses", et condamnés à trouver refuge dans la France des années 1920. Il enchaîne avec une seconde anecdote, également issue de la mythologie familiale, avec cette fois la France occupée pour décor. "A 9 ans, ma mère a dû franchir, avec sa soeur, la ligne de démarcation avec un passeur dans une forêt corrézienne." Il conclut en rappelant comment son père s’est retrouvé, au même moment et à seulement 13 ans, à travailler dans une usine de confection. "Aujourd’hui, tout me ramène à ça. C’était il y a soixante-dix ans mais regardez autour de nous. On retrouve exactement la même situation en Turquie : la fuite, l’exil, les passeurs... Les réfugiés syriens, notamment des mômes d’une dizaine d’années, se retrouvent eux aussi obligés de bosser dans des usines de confection." Il marque un temps et reprend : "Je crois sincèrement que c’est le rôle du service public de se saisir de cette situation. Je ne vais pas vous faire un topo sur l’état des médias. Mais ce ne sont pas des gens sympathiques comme Vincent Bolloré qui vont tenter de donner sens au monde."
Lorsqu’au début de l’été, Sandrine Treiner, directrice de France Culture, lui propose la succession de Marc Voinchet, Erner fonce. "C’est le plus beau poste de la République. Après, tu peux crever, non ?" La proposition tombe, il est vrai, au bon moment : France Inter vient tout juste de mettre fin à "Service public", l’émission qu’il anime depuis quatre ans. Cette matinale, il se plaît à la définir ainsi : "Un mix entre une desk room et le Collège de France." Il aimerait désormais lui imprimer sa marque : "Utiliser sans doute davantage les sciences sociales pour expliquer le monde."
Avant la radio, Guillaume Erner a longtemps été dans le "schmattès", terme yiddish désignant les chiffons et les tissus. En 1990, pour financer des études de socio, il joue les commerciaux dans le Sentier, à Paris, pour le compte d’une enseigne de prêt-à-porter féminin : La City. "Une expérience vite ennuyeuse", balaie-t-il. Il planche en parallèle sur une thèse dédiée aux "modèles explicatifs de l’antisémitisme". Au début des années 2000, il stoppe net sa carrière dans les fringues, gagne ses galons de docteur en sociologie et, un peu par hasard, finit par publier, aux éditions La Découverte, "Victimes de la mode ?", bouquin qui lui vaudra une invitation chez Rebecca Manzoni sur France Inter. D’"Eclectik", où il a été chroniqueur, à "Service public", il y passera une dizaine d’années.
Sur Guillaume Erner, en vrac, on apprend aussi qu’il signera un livre sur le concept de célébrité début 2016, qu’il a trois enfants, qu’il est marié à Marie de Gandt, normalienne, agrégée de lettres et ex-plume de Nicolas Sarkozy à l’Elysée, qu’il a intégré cette année l’équipe de "Charlie Hebdo" et qu’il se dit moins laïcard que ses petits camarades. "Je connaissais Charb depuis longtemps. Il me l’avait proposé. On en avait reparlé en novembre 2014. Il devait m’appeler en janvier dernier." Pour lui, "rejoindre “Charlie”, c’était un devoir moral".
Signé : Alexandre Le Drollec > >