Une mémorable série documentaire en quatre volets dirigée par Philippe Venturini en juillet 2022 :
Chauffe Marcel ! Proust et la musique.
Cette série propose de se glisser dans l'oreille de Proust pour écouter son époque, d'interroger sa culture musicale pour définir le rôle que tient la musique dans son processus de création et dans son œuvre.
Mélomane assidu, Marcel Proust fréquentait aussi bien les salons que les cafés-concerts et l'opéra. Il écoutait Fauré, Wagner et Mayol.
Ecrivain, il fait apparaître Vinteuil, compositeur d'une sonate pour violon et piano qui accompagnera les amours de Charles Swann et d'Odette de Crécy.
Le premier a-t-il influencé le second ? Comment la réalité musicale de son temps a-t-elle trouvé écho dans sa fiction littéraire ?
L'originalité de la série est constituée par une succession d'entretiens ponctués de lectures et de pièces musicales volontairement non précisées mais dont les compositeurs sont annoncés dans chacun des développements. Il est fait confiance à l'intelligence de l'auditeur au point qu'on se demande si celle-ci n'est pas non plus sollicitée par la rediffusion d'extraits d'entretien d'un numéro à l'autre. Difficile d'accuser une défaillance de réalisation, vu qu'elle est signée Laurent Lefrançois. Serait-ce une manière de susciter le souvenir dans une émission sur la mémoire ?
L'émission s'appuie sur plusieurs ouvrages récents indiqués sur le site. On retrouve comme intervenants Jérôme Bastianelli, lequel a souvent eu les honneurs du micro et est donc peut-être pour cette raison moins sollicité que Philippe Blay, véritable puits de science et principal moteur de la série, Cécile Leblanc, co-auteur de "Musiques de Proust", et enfin le claveciniste Olivier Baumont sur qui repose l'essentiel de la dernière émission consacrée à la composition de son CD et aux notes du livret.
Pour l'écoute, passer par
la page de la série, les pages d'émission semblant souffrir d'un dysfonctionnement, quel que soit le navigateur.
Proust et la musique (1/4) : Dans l’oreille de Proust Samedi 9 juillet 2022
Résumé
"La présence de la musique dans l’œuvre de Proust reflète-t-elle une véritable connaissance ? Que Proust savait-il vraiment ? Quelles étaient sa formation et sa culture musicales ? Y avait-il une tradition musicale familiale ? Quels étaient ses goûts ? "
Proust et la musique (2/4) : Avec Reynaldo ... "La rencontre de Marcel Proust et Reynaldo Hahn en 1894, a eu une énorme influence sur la culture et l'évolution du goût musical de l'écrivain, même si les deux hommes ne partageaient pas la même conception de la musique."
Proust et la musique (3/4) : La musique entre les lignes "La musique dans "À la recherche du temps perdu" et dans l’œuvre de Marcel Proust. Quels sont les compositeurs auxquels l'écrivain se réfère et pourquoi ? De qui se nourrit le personnage fictif de Vinteuil, auteur d'une sonate pour violon et piano et d'un septuor ?"
Proust et la musique (4/4) : compositeur et baroqueux "Le claveciniste Olivier Baumont a traqué les Bach, Rameau, Scarlatti, Haendel dans les pages de Proust dont il propose une lecture qui fera l'objet d'un disque. Un des tours de force de ce roman est de parvenir à faire entendre une musique qui n'existe pas, celle de Vinteuil."
Signalons que France Culture a commencé l'année Proust avec
La Série musicale Proust musicien le 02 01 2022. Faut-il, ne faut-il pas ? Quelques coups de sonde peuvent renseigner.
Parmi les nombreuses émissions sur le thème, on trouve "Proust et la musique", une série en trois volets de 45' de la Radio Suisse Romande de février 1972 diffusée dans les
Nuits de France Culture en 2011 (n'existe plus en ligne). De rares extraits musicaux (fin du 2e volet et 3e ***), une grande part de l'émission étant donnée à des morceaux choisis interprétés avec un art consommé de la lecture par
Jean Claudio. À 50 ans de distance, on constate que la recherche académique a fait de grands progrès, ce qui n'empêche pas de goûter cet entretien entre Yvette Z'Graggen et Georges Piroué, traducteur de Pirandello, auteur de "Proust et la musique du devenir" publié en 1960 et réédité en 1981.
À signaler aussi en rediffusion du 9 décembre 2019
L’oreille de Proust, comment l’entendez-vous, avec Maurice Schumann [1988], la série documentaire "Musiques de Proust" dans
Euphonia de Martine Cadieu sur France Culture en 1997 (5 x 1h et vive la mini-cassette !) et celle de Rémi Stricker "Proust et la musique" dans "La musique et les hommes", de 1981 (3 X 1h).
*** Lecture finale (et magistrale de Jean Claudio) de morceaux tirés de différents volumes.
"Je regardais les trois arbres, je les voyais bien, mais mon esprit sentait qu’ils recouvraient quelque chose sur quoi il n’avait pas prise, comme sur ces objets placés trop loin dont nos doigts allongés au bout de notre bras tendu, effleurent seulement par instant l’enveloppe sans arriver à rien saisir. Alors on se repose un moment pour jeter le bras en avant d’un élan plus fort et tâcher d’atteindre plus loin. Mais pour que mon esprit pût ainsi se rassembler, prendre son élan, il m’eût fallu être seul. Que j’aurais voulu pouvoir m’écarter comme je faisais dans les promenades du côté de Guermantes quand je m’isolais de mes parents. Il me semblait même que j’aurais dû le faire. Je reconnaissais ce genre de plaisir qui requiert, il est vrai, un certain travail de la pensée sur elle-même, mais à côté duquel les agréments de la nonchalance qui vous fait renoncer à lui, semblent bien médiocres. Ce plaisir, dont l’objet n’était que pressenti, que j’avais à créer moi-même, je ne l’éprouvais que de rares fois, mais à chacune d’elles il me semblait que les choses qui s’étaient passées dans l’intervalle n’avaient guère d’importance et qu’en m’attachant à la seule réalité je pourrais commencer enfin une vraie vie. Je mis un instant ma main devant mes yeux pour pouvoir les fermer sans que Mme de Villeparisis s’en aperçût. Je restai sans penser à rien, puis de ma pensée ramassée, ressaisie avec plus de force, je bondis plus avant dans la direction des arbres, ou plutôt dans cette direction intérieure au bout de laquelle je les voyais en moi-même. Je sentis de nouveau derrière eux le même objet connu mais vague et que je pus ramener à moi. Cependant tous trois au fur et à mesure que la voiture avançait, je les voyais s’approcher. Où les avais-je déjà regardés ? (...) Cependant ils venaient vers moi ; peut-être apparition mythique, ronde de sorcières ou de nornes qui me proposait ses oracles. Je crus plutôt que c'étaient des fantômes du passé, de chers compagnons de mon enfance, des amis disparus qui invoquaient nos communs souvenirs. Comme des ombres ils semblaient me demander de les emmener avec moi, de les rendre à la vie. Dans leur gesticulation naïve et passionnée je reconnaissais le regret impuissant d'un être aimé qui a perdu l'usage de la parole, sent qu'il ne pourra nous dire ce qu'il veut et que nous ne savons pas deviner. Bientôt à un croisement de routes, la voiture les abandonna. Elle m'entraînait loin de ce que je croyais seul vrai, de ce qui m'eût rendu vraiment heureux, elle ressemblait à ma vie. (...) Je vis les arbres s'éloigner en agitant leurs bras désespérés, semblant me dire : ce que tu n'apprends pas de nous aujourd'hui tu ne le sauras jamais. Si tu nous laisses retomber au fond de ce chemin d'où nous cherchions à nous hisser jusqu'à toi, toute une partie de toi-même que nous t'apportions tombera pour jamais au néant. (...) Cette patrie perdue, les musiciens ne se la rappellent pas, mais chacun d'eux reste toujours inconsciemment accordé en un certain unisson avec elle ; il délire de joie quand il chante selon sa patrie, la trahit parfois par amour de la gloire, mais alors en cherchant la gloire il la fuit, et ce n'est qu'en la dédaignant qu'il la trouve, et quand le musicien, quel que soit le sujet qu'il traite entonne ce chant singulier dont la monotonie – car quel que soit le sujet traité il reste identique à soi-même – prouve chez le musicien la fixité des éléments composants de son âme. Mais alors, n'est-ce pas que ces éléments, tout ce résidu réel que nous sommes obligés de garder pour nous-mêmes, que la causerie ne peut transmettre même de l'ami à l'ami, du maître au disciple, de l'amant à la maîtresse, cet ineffable qui différencie qualitativement ce que chacun a senti et qu'il est obligé de laisser au seuil des phrases où il ne peut communiquer avec autrui qu'en se limitant à des points extérieurs communs à tous et sans intérêt, l'art, l'art d'un Vinteuil comme celui d'un Elstir, le fait apparaître, extériorisant dans les couleurs du spectre la composition intime de ces mondes que nous appelons les individus, et que sans l'art nous ne connaîtrions jamais ? (...) Et de même que certains êtres sont les derniers témoins d'une forme de vie que la nature a abandonnée, je me demandais si la musique n'était pas l'exemple unique de ce qu'aurait pu être – s'il n'y avait pas eu l'invention du langage, la formation des mots, l'analyse des idées – la communication des âmes".