Le tuture à Radio France passe de moins en moins par la voix de producteurs cultivés partageant leurs passions avec les auditeurs, non, la tuture passe de plus en plus par la voix d’hôtes/hôtesses d’accueil qui déroulent des exposés d’une voix convaincue, aussi convaincue que si elle nous filait les meilleures recettes de bouillabaisse ou les meilleurs adresses pour sortir ce soir à Paris, ou encore la météo dans le bulletin de France Info. D’ailleurs, tiens, suite à une chute accidentelle sur France Info, ne voilà-t-y pas que, stupeur, nous découvrîmes l’existence d’une « cellule de décryptage ». Oh fan de chichoune ! Ils ont engagé des agents du FBI !
Alors à l’écoute de l’intervention de l’agent du jour, il apparaissait que la méthode pour décrypter était la suivante (c’était au sujet des normes de sécurité d’un bâtiment, je passe les détails) : je prends l’info, je vais tapoter sur ninternet pour trouver des infos, je recopie et je livre le tout à l’antenne avec une voix d’hôte ou -esse d’accueil. Tout le secret de la réussite est dans l’intitulé : « cellule de décryptage ».
Je fais une sortie de route ? Pas du tout nenni non niet kazatchok vodka youkaïdi da da niet niet (ça par contre, c’est une sortie de route).
Car
la chronique à France Muz qui nous occupe recoupe dans ses intentions celles de la « cellule de décryptage ». Soit vous fourguer, avec toujours cette voix convaincue, des infos que vous trouvez partout en un clic. Bref, vous donner du Wikipédia & Cie en vous faisant gober que c’est du travail de fond, que ce que vous écoutez n’avait jamais été découvert par quiconque, que c’est du neuf, du nouveau, que ça va changer la face du monde. Que dis-je du monde : du môôôôôônde !
Une nouvelle série estivale nous offre l’opportunité de découvrir des fiches Wiki ou assimilées, ou alors des articles déjà servis un peu partout dans la presse, mais en pode & cast d'été. Cette série, « Musique nom féminin » s’attarde sur des figures musicales et donc féminines durant la bagatelle de 15mn par épisode, ce qui nous donne juste le temps de sortir la fiche Wiki enrobée de citations musicales parce que si on parle trop, les poissons rouges ignares que nous sommes nous coulons dans les profondeurs.
Et quand je dis la fiche Wiki, je suis généreux, puisqu’en fait ce ne sont que des fragments de ces fiches qui nous sont narrées comme si c’était un scoop mondial sortez le bandeau pour breaker les news.
Prenons un exemple voulez-vous (vous voulez, ou alors que foutez-vous à me lire ?).
Lil’ Armstrong « la fine oreille ». Pourquoi « la fine oreille » ? Parce qu’il fallait trouver une accroche accrocheuse. Ce sous-titre pourrait servir pour les autres numéros. Nous verrons plus tard le pourquoi de ce sous-titre éblouissant de fraicheur.
Après l’amorce avec des bouts de ses chansons chantées par des hommes, début de la bio avec les principales qualités wikipédiennes de la musicienne.
Ensuite, nous passons directos à 1922, la rencontre avec Louis-du-même-nom.
Puis, rétropédalage, son enfance, la découverte de la musique, petit expo sur le hot-jazz pour les très nuls, que même un enfant de 5 ans pourrait avoir droit à mieux. L’arrivée de la famille Harding à Chicago au début des années 20 est juste romancée comme il faut pour créer une belle image d’Épinal : « Lil’ Harding est aux anges, elle a déjà visité Chicago et elle en est tombée amoureuse ». Séquence émotion.
La suite déroule les fiches bio que l’on trouve à droite à gauche.
« Dès qu’elle entend une musique, elle peut la reproduire au piano. » D’où la « fine oreille ».
Bon, la suite est du remix de pages comme celle-ci :
https://susanfleet.com/lil-hardin.htmRien de personnel, que dalle, de l’exposé alignant des copier/coller, synthèses de fiches toutes faites : sur King Oliver, et sur Louis, dont elle va « s’occuper du relooking pour qu’il ressemble plus à un gars d’la ville ». Cf susanfleet.com « She also decided Louis needed to look like a star. She taught him how to dress and got him a spiffy new suit. »
C’est grâce à elle que Louis is Louis as we know him.
L’histoire de Louis, on va laisser tomber, elle est trop connue, nous allons rester avec Lil’ parce que moins connue, sauf par ceux qui sont intéressés par le jazz. Bin oui parce que si vous ne vous y intéressez pas, vous ne la connaissez, pas, et j’irais même plus loin, vous ne connaissez peut-être pas non plus celle de Louis. S’adresser au « grand public », c’est comme s’adresser à des ignares. Nous faisons tous partie du « grand public » : qui connaît tout sur tous les sujets ?
Donc, s’adresser à des gens qui à priori ne s’intéressent à rien (le jargon utilisé par cette chronique et par l’essentiel de France Cu) c’est leur fournir en continu des copier/coller de fiches internet (et non de livres spécialisés, ce serait déjà trop) qui peuvent resservir tous les six mois, puisque le « grand public » ne s’intéressant à rien, ne retient rien non plus, d’où le rabâchage des programmes à France Cu par exemple.
Là j’ai fait une pause dans la gélule radiophonique sur Lil’ Hardin parce qu’on a déjà presque fini son écoute. Dingue de dingue, non ?
Cinq dernières minutes : le « tube » « Just for a Thrill », et retour des banalités généralisantes dites aussi de « rabâchage » : « elle était douée comme pianiste et comme compositrice ». Oui, on a compris qu’on était des neuneus et que la productrice n’aurait pas consacré 15 super longues minutes à quelqu’un de pas doué en tout et surtout en musique.
Allez on continue, nous n’allons pas nous arrêter si près du but. Retour à la fin des années 20, alors que « le tube » datait de 1936, ce qui crée sur le plan chronologique, en l’absence de précision de la productrice, une certaine confusion. Mais nous, grand public, nous ne sommes pas là pour pinailler sur des pattes de mouches, nous sommes là pour retenir que la musique, c’est juste un truc vachement intéressant sur le plan musical.
À aucun moment dans cette pastille il n’est question de signaler l’importance, et donc l’apport, du Hot Five d’Armstrong dans l’Histoire du jazz, non, nous sommes dans de la lecture de fifiches, faut pas pousser.
Après le divorce avec Armstrong, Lil’ Harding va « créer un groupe 100 % féminin et beaucoup enregistrer au piano et au chant ». Vous voulez des détails sur ce paquet d'une trentaine d'années de la vie de Lil’ ? Mais vous êtes complètement siphonnés ou quoi ? Trop d’infos tue l’info et là nous avons eu notre dose, et puis ce serait rentrer dans des détails qui n’intéressent pas le public, puisque c’est le « grand public ».
Il reste une minute de ce suppo radio. Juste de quoi revenir au point de départ et parler des reprises de ses chansons par « presque que des hommes ». « Presque » ? nous aurions voulu quelques détails, mais trop tard, c’est le générique de fin.
L’émission est présentée en ces termes sur la page du site :
« Chaque épisode propose une introspection dans les pensées de l'artiste au moment où elle écrit une de ses œuvres emblématiques.
Portés par la voix de la chanteuse et actrice Sandra Nkaké, ces cheminements intérieurs sont rythmés de sons, d'archives et de lectures de textes qui ont marqué l'époque. » Une description criante de réalisme.
Rappelons que nous sommes sur France Musique, une radio qui s’adresse à un public qu'intéresse à priori la musique (d'où son nom) et qui n'a pas mérité ces pastilles insipides, indigestes, au contenu indigent, et dans lesquelles l'obsession pour l'opposition femmes/hommes prime sur l'intérêt pour la musique.
Heureusement, «
Carla Bley, la Muse et la Musicienne », entretien accordé en 2011 à Alex Dutilh et distillé en 10 émissions d'une heure. Y'a pas photo.