Sur France musique aussi, on sacrifie les meilleures émissions à l'audimat.
Ce qui arrive sur les autres chaînes de Radio-France ne saurait nous être indifférent, parce que nous les écoutons et aussi parce, comme on le verra, les mêmes logiques prévalent sur l'ensemble du service public. Faut-il s'en étonner ? Elles appartiennent au même établissement, Radio-France .
La nouvelle directrice de France Musique, Marie-Pierre de Surville fraîchement nommée a inauguré son mandat en mettant fin aux fonctions de neuf producteurs de France Musique:
François Hudry (Chefs-d'oeuvre et découvertes), Marcel Quillévéré (Les traverses du temps), David Jisse (Electromania), le compositeur Gérard Pesson (Boudoir & autres), Marc Dumont (Horizons chimériques), et Jean-Pierre Derrien (Le débloc-notes). Ce dernier reste comme conseiller Musique contemporaine auprès du directeur de la musique, Jean-Pierre Rousseau.
Ces mesures d'éviction sont pour l'auditeur que je suis une véritable catastrophe, un scandale et la preuve que la nouvelle directrice ignore totalement le talent des personnes qu'elle a pris la décision de mettre sur la touche. Cette dame commence son mandat par la décision la plus funeste, la plus philistine qui soit.
Je suis au plus haut point concerné. Comme si c'était un mauvais hasard, il se trouve que Marc Dumont et Gérard Pesson produisaient les émissions que j'écoutais le plus assidument. Je me trouve privé de mes deux émissions préférées.
L'émission de Marc Dumont, Horizons chimériques était d'une grande qualité. C'était une émission quotidienne d'une heure qui, sous une forme des plus classiques, permettait une approche synthétique d'un compositeur ou d'un interprète. Il n'y avait aucun verbiage, aucune cuistrerie, la présentation était sobre et élégante, et l'émission explorait avec bonheur des aspects peu connus de l'oeuvre ou du répertoire, par des extraits très bien choisis. Un certain nombre d'émissions m'ont procuré un bonheur fantastique. Je me souviens en particulier d'une émission sur John Blow qui était une merveille, ainsi que d'une émission sur les troubadours sensationnelles. Mais je pourrais en citer des dizaines.
Mon émission préférée, c'était celle de Gérard Pesson, émission très confidentielle qui passait à minuit dans la nuit du vendredi au samedi. À une heure pareille, il y avait peu de chance qu'elle fît exploser l'audimat ! C'était une sorte d'OVNI radiophonique,une émission kaléidoscopique d'une grande richesse. Gérard Pesson est compositeur, un compositeur très bien reconnu puisqu'il est titulaire de la chaire de composition au Conservatoire National Supérieur de musique et de danse de Paris. Gérard Pesson est aussi écrivain, un passionné de Proust, un véritable homme livre, un très grand érudit, sa curiosité sur quantité de sujets est sans limites et c'est ce qui rend ses émissions si passionnantes. L'approche de Gérard Pesson est d'une grande originalité son émission qui cherchait à surprendre avait une certaine parenté avec l'Atelier du son de Thomas Baumgartner. Dans sa série « caro diario », il consacrait un certain nombre d'émissions à une autobiographie,qui permettait à l'auditeur d'en savoir plus sur les coulisses de la création musicale et d'autres consacrées à certains thèmes récurrents : manières de décrire la pluie, tout en latin, dictionnaire des inconnus, les ruines, assises de la berceuse, éloge du la mineur, la vie de château, éloge de la briéveté, six pieds sous terre, tout sur le rossignol etc. Il y avait eu de magnifiques séries sur Fauré et une sur Stravinski qui restera inachevée. Quel gâchis que de mettre fin à cette émission qui était un vaste « work in progress »! C'était une de ces émissions travaillées qui sont l'honneur du service public, qui sont marginalisées pour être finalement supprimées.
Qui est cette personne qui désormais préside aux destinées de France Musique et qui a si peu le sens des vraies valeurs de la chaîne? Marie-Pierre de Surville a fait sciences politiques, elle a travaillé dans un cabinet d'audit, elle a de respectables expériences dans le domaine de la gestion des institutions culturelles mais elle n'a ni formation musicale, ni expérience de la radio. Elle est arrivée dans les bagages du nouveau Président de Radio-France, Mathieu Gallet. Celui-ci lui a donné une mission claire : redresser l'audience à tout prix. « Il n’est pas acceptable, dit le président, qu’à Paris par exemple, l’audience de France Musique soit de 1,2 point contre 3,5 pour Radio Classique. On ne peut accepter un rapport de un à trois et pour cela il va falloir réfléchir à adapter la programmation, en laissant plus de place à la musique et moins à la musicologie »
On objectera à Mathieu Gallet que la comparaison entre France Musique et Radio-Classique n'a pas de sens, puisqu'aux heures de grande écoute, Radio-Classique n'est aucunement une radio musicale, c'est une généraliste qui traite l'actualité politique et économique.
« Plus de place à la musique, moins à la musicologie ». Cela conduirait à sacrifier la spécificité de France-musique pour en faire un Radio-classique bis. C'est une perte pour le mélomane cultivé qui cherche à connaître les œuvres en profondeur et qui ne conçoit pas d'écouter la musique sans connaître l'histoire de la musique. Les robinets qui déversent de la musique en continu, ce n'est pas ce qui manque, outre Radio-Classique, il y a Deezer.
Le sacrifice de la qualité et de la spécificité à l'audience, c'est quelque chose que nous connaissons bien. Pour nous, c'est un scénario qui se répète. C'est ce qui s'était produit en 1999, quand Laure Adler avait été nommée pour redresser l'audience de France-Culture. Elle avait supprimé les meilleures émissions.
La qualité a, comme c'était programmé, baissé, la chaîne ne s'en est jamais remise.
HF