Je plussoie le "excellent".masterkey(https://regardfc.1fr1.net/t80p220-les-chemins-de-la-philosophie-ex-nx-chemins-de-la-connaissance#30548) a écrit: (...)
2. Cette semaine, un excellent numéro sur Spinoza avec Henri Atlan.
Henri Atlan qu'on n'avait plus entendu depuis longtemps, nettement vieilli, mais plein d'un savoir précis et très éclairant sur l'Ethique de Spinoza.
Le profane que je suis ne se risquera pas à commenter, sinon à dire que le passage sur les humains et les pierres était intéressant.Henri Atlan, Biologiste et philosophe, a eu son heure de lumière à la fin des années 70, en participant à l'émergence de la notion d'auto-organisation. C'était le genre de notions dont les années 70 ont été fécondes, et le type d'intellectuel pour qui j'avais une certaine admiration doublée d'une méfiance et d'un soupçon assez élevé quant au sérieux de ses thèses. Oui, car comme Ilya Prigogine, Isabelle Stengers, Edgar Morin ou dans un autre style René Thom, ses idées qui ne manquaient pas de stimulant étaient aussi nimbées d'une certaine fumée - pas d'allusion ici à l'ouvrage de référence d'Atlan à l'époque, Entre le cristal et la fumée -.
C'était le propre des années 70 il me semble, dans le meilleur comme dans le pire, de foisonner d'idées non-standard, de tenter systématiquement le "pas de côté", de voir de l'auto-organisé et de la thermodynamique des systèmes ouverts à tous les étages. Peut-être un reflet des goûts de l'époque en matière sociale, mais ce serait un grave péché en relativisme que de réduire ce courant à cela.
Quoi qu'il en soit, cette émission avec Henri Atlan était une réussite. Il a réussi à faire saisir, à coup d'analogies éclairantes il me semble, quel est le monisme de Spinoza, ni matérialiste ni idéaliste, mais dont chacun de ces deux-là n'est que la projection, la réduction. Citant ses références avec une précision sans faille, Atlan a passé le plus clair de l'émission à faire comprendre que selon Spinoza, le monde est en même temps (de façon fort macronienne) un monde de matière et un monde d'idées, et ce, que l'on parle d'humains ou de pierres. Cette position a bien des avantages sur le réductionnisme matérialiste - qui permet de comprendre pourquoi l'on n'a jamais vu d'être pensant sans cerveau, mais qui échoue à rendre compte de ce qu'est l'expérience subjective -, et sur le réductionnisme idéaliste qui se prend les pieds dans le tapis inverse.
Idem je me fais tout petit pour signaler qu'il vaut la peine d'écouter la séquence sur la synonymie mais non équivalence des deux descriptions de la température (je crains que masterkey ne fronce le sourcil ici...)Atlan a évoqué à ce sujet le cas de la chaleur, que l'on peut saisir de deux points de vue suivant qu'on s'occupe de physique statistique ou de thermodynamique, aucun n'étant réductible à l'autre. Je me demande dans quelle mesure la particule en physique quantique, présentant suivant la façon dont on l'interroge des aspects ondulatoires et corpusculaires, ne présente pas aussi des similitudes de fond avec le monisme de Spinoza.
À propos, masterkey, vous nous donnâtes (paf dans le pif du matinalier) une séquence fort intéressante à regarder sur Descartes dont on conclut que vous êtes un spécialiste. C'était ici (aussi en signalement dans le fil "La Caverne aux trésors de Regards")Sur la valeur de l'Ethique, Henri Atlan loue la clairvoyance de Spinoza et le pressentiment qu'il a eu de ce qu'une science du vivant devait advenir. Il cite durant l'émission des passages de l'oeuvre auxquels la biologie et en particulier la neurologie moderne donnent résonance distincte, expliquant au passage en quoi les conceptions de Descartes, purement mécanistes, n'offraient pas la même anticipation.
En incise, Henri Atlan n'est pas le seul a faire ce constat, le neurobiologiste António Damásio, dont les travaux portent sur les avatars du soi, dressait le même dans ses ouvrages "L'erreur de Descartes" et "Spinoza avait raison" qu'il était venu commenter à chaque fois au micro de Stéphane Deligeorges. Je ne suis toutefois pas certain que ces jugements (moins affirmatifs dans le cas d'Atlan) témoignent d'une lecture parfaitement scrupuleuse de Descartes.
Respects à Mme Van Reeth dont l'éclectisme va jusqu'à pouvoir donner la réplique à Henri Atlan sur un sujet aussi pointu (rare de pouvoir entendre de tels propos sur France Culture).Dans cette émission encore, Mme Van Reeth n'a pas accompagné Henri Atlan sur ces chemins difficiles d'une façon que j'aurais trouvée idéale. Elle s'y place bien souvent en réaction aux propos de son invité, mais j'y reconnais-là quelques avantages, pour ce numéro tout du moins. Ce qui a été pris en fluidité a été gagné en clarté, et il faut avouer que la thèse est compliquée, peu naturelle. S'y attarder a eu du bon.
Début de l'émission, Henri Atlan, les expériences psychédéliques et le LSD [son mp3="https://media.radiofrance-podcast.net/podcast09/18755-04.05.2018-ITEMA_21669140-1.mp3" debut="03:31" fin="05:12"]
De manière tout à fait surprenante, le physicien Carlo Rovelli* parle également de son expérience avec le LSD et considère son séjour aux États-Unis dans les années 70 comme fondateur de la formation de son esprit de chercheur. Passionnant Rovelli dans cette émission de la BBC où il établit de son côté des rapports de similarité entre les pierres et les baisers ("A kiss is an event – where is it now? – but then so, ultimately, is a stone, or a planet. Nothing is for ever, not even diamonds" The Guardian** ).
* Carlo Rovelli on why time is not what it seems in ''The Life Scientific' 08 05 2018 BBC Radio 4
Carlo Rovelli first became interested in the nature of time when he took LSD as a young man. Later he became curious about the world of the almost absurdly small, where time has no meaning and space is grainy.
He took seven years to complete his undergraduate degree, having spent a lot of time protesting against the political establishment, falling in love and travelling. An extended hippy trip across north America was, he says, perhaps the most useful time of his life. All this rebelling taught him the value of seeing the world in a different way and the benefits of challenging the status quo. In the end he concluded it was easier, and more meaningful, to challenge Einstein's understanding of time, than it was to overthrow the government.
He's a theoretical physicist who became a household name when his book Seven Brief Lessons on Physics became an unexpected international bestseller. His concise, and poetic, introduction to the laws and beauty of physics has sold more than a million copies. He's also a pioneer of one of the most exciting and profound ideas in modern physics, called loop quantum gravity. (...)
** The Order of Time by Carlo Rovelli review – no difference between past and future.
The author of Seven Brief Lessons on Physics has written a vivid account of how we make time and other profound puzzles.