La semaine Einstein s'achève et elle mérite un bilan : c'est tour à tour intéressé et attristé que l'auditeur, d'une minute à l'autre, passe d'un témoignage intéressant à un babillage vulgaire, l'un ou l'autre précédé d'une introduction bien sentie avec une belle musique, ou bien par une question d'une phénoménale stupidité posée sur un ton d'écolière appliquée non sans ajouter à l'occasion une perle à la collection maison (ce matin Gerald Holton rebaptisé Gérard). On reconnaît là le France Culture auquel nous sommes habitués depuis quelque temps : un mélange de travail et de progression erratique, et pour la pertinence des choix et du propos, c'est carrément la loterie.
Que peut-on conserver ? Eh bien presque tout, à condition d'être assez patient quand le débat ou le documentaire se barre en sucette parce que c'est l'intervenant le plus naze qui tient le micro. Un conseil : tenir le coup en se disant que ça ne va pas durer. Et c'est toujours comme ça que ça se passe : quelques secondes après une andouille dont je préfère ne pas savoir le nom, on voit revenir les inoxydables Hubert Reeves ou Jean-Marc Lévy-Leblond qui remontent le niveau dès la première demi-phrase, ouf.
Il faut penser aussi à féliciter les inventeurs du podcast et de la réécoute, qui nous permettent de squeezer les horripilants intermèdes de 10h et de 11h. Pur racolage ou pure propagande, un coup sur deux. On veut nous y faire croire que France Culture est fait pour l'auditeur et là, en entendant ça l'auditeur depuis 1999 il rigole ou bien il pleure. Et puis on nous dit que ça ne fait que commencer, alors qu'on entend très bien que depuis 15 ans au contraire ça meurt lentement. Peut-être que c'est la dégringolade qui ne fait que commencer ? Mais passons et revenons à notre bilan Einstein. Que peut-on conserver ?
- Les archives : c'est là que la qualité est la plus élevée et presque constante. Hormis le dernier jour, tout peut être conservé et réécouté. La faiblesse est dans les enchaînements de Christine Lecerf, sorte d'hybride entre Ali Balourd pour la finesse des questions, et Lydia Ben Ytzhack pour la voix et la diction. Donc ou souffre oui, mais on en apprend et c'est toujours ça de pris. Les documents ne mentent pas, même quand ils sont un peu retouchés ou un peu sournoisement sélectionnés ; mais en l'occurrence rien ne laisse supposer que ça serait le cas. En fin de semaine hélas ça se gâte, de même que les orages suivent les fortes chaleurs et du coup le 5eme épisode du volet 'Archives' enchaine les hors-sujets, avec un pic de débilité à l'occasion d'un extrait de théâtre affreux (le site de FC nous dit que c'est de Durenmatt, mais c'est tellement mal joué par les comédiens que ça peut aussi bien être de Christine Angot). On n'échappe même pas au rapprochement ineptissime avec Proust, puisque Proust c'est le temps et qu'il y a du voyage en train, toc on vous envoie une lecture des Jeunes filles en fleurs, par Lambert Wilson. De là on comprend en fin de semaine que la maître d'oeuvre de ces 11 émissions, en fin de compte elle n'avait rien pigé à son sujet. Ainsi va le France Culture de 2013.
- Le documentaire : c'est là qu'on va souffrir le plus, car le paradigme France Culture pointe le bout de son nez toutes les 5 minutes. Sur France Culture le documentaire n'est pas un genre dans lequel un auteur illustre un propos, un point de vue, un regard, en choisissant un angle. Non. Sur France Culture, le documentaire est plus banalement un instrument de propagande. On recrutera donc Albert Einstein pour toutes les causes possibles et imaginables, pourvu qu'elles cadrent avec le paradigme idéologique de la chaine : écologisme, pacifisme, féminisme, égalitarisme, et bientôt aussi anticapitalisme, car tout doit être vu avec la lorgnette de 2013, la distorsion temporelle n'étant pas réservée à l'observation en physique. Ca devient comique quand il faut illustrer l'anti-judaisme chronique de la chaine, mais comme il est équilibré par les complaisants rappels de la Shoah tout aussi chroniques on a moins envie de rigoler. Un regret toutefois : on n'a pas entendu Laure de Vulpian, la spécialiste de l'indignation juridique sur France Culture. Pourtant, en cherchant bien il y avait certainement un procès à exhumer. C'est quasiment la seule connerie qui manquait à ces documentaires, d'ailleurs tous bien intéressants et qui auraient pu frôler la perfection des délices si on ne trouvait autant de noyaux de bétise idéologique dans ce clafoutis sonore.
- Les débats : là encore c'est bien inégal, mais en comparaison du documentaire, c'est quand même le niveau au-dessus parce qu'on trouve quelques pointures parmi les participants, dont certains sont des habitués de la chaîne : Marc Lachièze-Rey, Alain Aspect, Elie During, Thibaut Damour. Certes, on sait que le quatrième est devenu fou quand il a rencontré la théorie des univers parallèles, et du coup son bon sens est resté coincé dans la 4eme dimension mais c'est pas grave car ça ne l'empêche aucunement d'exceller dans le rôle du spécialiste des questions Einsteiniennes. Le hic : en complément de ces excellents cerveaux, c'est là que le niveau de la productrice apparait terriblement léger. D'ailleurs à l'instant même (11h38), elle pose une question plus que naze : "Et vous, est-ce qu'il vous arrive de philosopher ?", misère ! Elle reçoit une réponse rien moins que magistrale, qui ne lui répond pas du tout mais part dans des considérations physico-abstraites auxquelles la brave Christine ne pige que couic comme en témoigne ses hm-hm qui ponctuent la tirade de l'invité. Et là on se demande mais saperlipopette pourquoi n'a-t-on pas confié ce gros sujet à un journaliste scientifique ? Surtout pas Florian Delorme ou Stéphane Deligeorges qui ont saboté bien assez de sujets comme ça, mais pourquoi pas plutôt Etienne Klein ou même Michel Alberganti ? Mystère. Ou bien qu'on nous ressorte Eliane Contini ou Anita Castiel, à défaut de rouvrir le bocal de formol où est conservé le dentier de Michel Cazenave ? Enfin, quand on sait que l'erreur de casting est permanente de la part du France Culture qui s'est installé depuis 1999 comme un coucou dans le nid du vrai France Culture, oui quand on sait cela, on ne s'étonne plus.
Ma sélection : eh bien je conserve presque tout.
- Archives : seulement les 4 premiers volets (en fait j'hésite à garder aussi le 5eme, car il aura une place honorable dans mon dossier "Horreur radiophonique")
- Documentaires : je conserve tout, mais par précaution je modifie le titre des docs, où j'insère la mention "Attention, conneries" pour rester prévenu lors des réécoutes ultérieures et ne pas me décourager trop facilement. L'idéal serait de réduire ces documentaires de ses moins bons moments. Je m'y emploierai si j'ai un peu de temps lors de la convalescence qui suivra mon prochain accident de téléférique.
- Débat : tout est à conserver, non sans une furieuse envie de virer le mini-feuilleton dont le meilleur titre eut été "Einstein citoyen (avec les lunettes idéologique de 2013)", et dont la place était plutôt en ouverture et fermeture du documentaire. Cela dit, dans la semaine nous n'avons que 4 débats et là je dis : Hélas ! C'est que celui du jeudi a été remplacé par un office religieux. C'est meilleur, à mon avis, que les débats scientifiques du programme courant. Les invités sont tous des passionnés calmes, privilégiant le savoir et donc ayant laissé le narcissisme à la maison (ou plutôt aux invités du Grain à moudre). Résultat, on retrouve là une ambiance assez proche de celles de matinées scientifiques de jadis, menées par Cazenave ou Emile Noël, avec des pauses musicales de bon choix. Le tout réussit même à rendre indulgent envers les questions et relances de la productrice, à côté de la plaque de tungstène mais pas assez éloignée pour que le fluide de la conversation doive demander à Thibaut Damour un passeport par les univers parallèles afin de parvenir jusqu'au micro.