<< J’entendais, hier, dans le RER, deux bobos discuter de la grève de Radio-France, qui dure depuis près d’un mois. L’une d’elles se plaignait d’être privée de France-Inter et de France-Culture – mais pas de France-Musique, la musique « classique » étant le parent décidément pauvre des ondes ; l’autre bobo (la langue n’a pas de féminin pour bobo, sauf à inventer « boboe » ou à recruter « bobette », ce qui rendrait presque mignon ce vocable plus proche du bonobo que de l’humain mais qui, au féminin, signifie « idiote ») louait la dimension quasi épique de ce « mouvement social » en faveur du « service public » – en réalité une grève menée pour affaiblir le gouvernement Valls.
Je n’ai pas l’habitude d’aborder les gens dans les « transports » : il m’arrive plutôt, quand on m’aborde, de répondre que je ne suis pas Charlie Millet ; j’aurais néanmoins aimé dire à ces bobettes que ne plus subir la propagande de France-Inter ni celle, plus élaborée, de France-Culture, est une délivrance ; car on a beau ne pas écouter ces radios, il en remonte toujours quelque chose, à la manière des égouts trop pleins. Oui, c’est un bonheur sans comparaison que ce silence radiophonique qui oblige à aller voir ailleurs ou à goûter le fait de n’être plus informé. Un bonheur qui s’accroitrait considérablement si cessaient de paraître aussi Le Monde, Libération, Le Nouvel Observateur, par exemple. J’ajouterai qu’une grève illimitée empêchant d’émettre TF1, France 2, France 3 et Arte porterait ce bonheur au rang de félicité, si cela ne devait pas entrainer des troubles sociaux graves et révélateurs du degré d’aliénation et (pour parler moderne) d’addiction de la population française – révélant, par contrecoup, l’insignifiance de la radio. On comprend mieux, dès lors, que les employés de Radio-France soient « inquiets » sur l’avenir d’un « service public » qui n’intéresse presque personne.
Moi qui ai toujours trouvé trop facile, voire vulgaire, le recours à la grève de la part de fonctionnaires, je soutiendrais activement une grève de l’édition – à tout le moins des « grands éditeurs » : ne plus voir paraître, pendant une durée illimitée, ces romans qui inondent le marché sans trouver de lecteurs mais en faisant marcher la planche à billets éditoriale, voilà qui contribuerait au salut public. Un monde sans radio de propagande, sans l’obscénité télévisuelle, sans romans post-littéraires : un progrès décisif sur le chemin du bonheur.
Ces radios n’ont donc pu répandre leur larmes au décès de François Maspéro, écrivain sans importance mais grand propagateur de la maladie infantile du communisme, en France, dans les années 1960 et 1970 ; elles n’ont pas davantage pleuré la mort d’Eduardo Galeano, gourou gauchiste d’ Amérique latine ; deux morts éclipsées par celle de Günter Grass, que nul ne lisait plus, en France, et qui, quoique bonne conscience de la gauche européenne, avait perdu tout crédit à mes yeux depuis son poème contre Israël. Les grands romans de Grass (Le Tambour, La Ratte, Le Turbot), ont néanmoins le mérite d’être ce que notre époque réprouve : trop gros, trop touffus, trop complexes, trop « écrits », trop chargés d’histoire et de réflexions. On préfère l’insignifiance distinguée de Jean d’Ormesson, la prose anorexique d’Amélie Nothomb, les loukoums du vieux phoque enrhumé Ben Jelloun, pour ne point parler du reste, qui décourage la plume. >>
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Dernière édition par Nessie le Jeu 16 Avr 2015, 08:16, édité 1 fois