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.... un peu sévère, non par ses arguments tous plutôt bien adressés mais sévère parce que ce numéro, par l'ambiance dispensée, ne m'avait pas déplu autant que les précédents. Pour prendre sa défense j'avais choisi de le comparer à un précédent encore moins réussi, pour ne pas dire scandaleux dans sa façon de traiter un sujet par-dessous la jambe, en l'occurrence c'était celui ou celle de
Et encore...
Je peux dire que je l’ai relativement apprécié ce numéro-là sur les lunettes, qui sonnait comme une plutôt bonne réussite dans un genre difficile : le sujet de fin de journal de FR3 vers la fin-juillet quand on confie à un stagiaire la tranche à meubler dont personne ne veut. Et surtout, en comparaison du précédent il était plutôt bien nourri et dispensateur de savoir.
Le précédent ? Sujet : Delphine Seyrig stupidement qualifiée de ’Diva’, oui déjà c’était mal parti. A signaler en son milieu un échange de fière ignorance quand Chardantzig et Henry Chapier se mettent à commenter un film rarissime et invisible de Delphine Seyrig. Pourquoi rare ? Ben, parce que « personne l’a vu ». Qu’ils disent. Bien sûr c’est une façon de parler, comme quand l’un des deux argue « Il passe jamais / Il est jamais passé ». Passé où ? Eh bien passé devant ses binocles, voila ce que ça veut dire. Au moins nos deux gus parviennent à caser le minimum minimorum : il est rarissime pensez, parce que d’abord il est de court métrage, et américain, et en plus en noir&blanc, et même tourné dans des conditions d’amateurisme complet. Coup de pot ils connaissaient quand même le titre (« Pull my daisy »), nos Laurel et Hardy de la cinéphilie pas spécialement complexés qui se mettent à commenter la bobine en commençant par ce fumant dialogue « vous l’avez vu ? / non jamais puisqu’il est passé nulle part, et vous ? / ben moi non plus / eh bien.... » (ils continuent à en parler sur le même ton) . Je ne garantis pas l’exactitude du dialogue parce que je n’ai pas la patience de me le farcir une seconde fois, mais je vous jure que je n’invente rien. Le plus important c’est ce que ça révèle, en sous-entendu, de la part d’Abott comme de Costello, chacun disant ainsi à l’autre : « si vous ne l’avez pas vu je peux en causer je risque pas d’être contredit ».
De toutes façons ils sont -et ça ils le disent 3 fois- tous deux persuadés que ce film personne ne l’a vu. Ben oui quoi, dans l’esprit de ces sommités culturelles, ce qu’ils n’ont pas vu personne ne l’a vu. Eh bien c’est là que le chien est enterré. Car là c’est vraiment la honte.
N’en déplaise à ces deux rigolos, un classique du cinéma underground -car c’est le cas- n’est pas un film invisible et même pas un film méconnu. C’est un film que les connaisseurs connaissent. C’est un film pour happy-fews, parfois, et un dessert pour les cinéphiles souvent. Un peu comme l’unique de Jean Genet, « Un chant d’amour » et celui-là on peut parier qu’ils le connaissent, pensez : Jean Genet icône idéologique du gauchiste parisien et homosexuel en plus ! Avec des états de service pareils, bien sûr que Chapier & Dantzig ils connaissent. En fait c’est pas de pot pour nos deux loustics, mais comme ils l’ont dit eux-même « Pull my daisy » est signé Robert Frank, photographe dont ils font un éloge à la limite du délire. Voila qui aurait dû leur mettre la puce à l’oreille : avec seulement deux sous de jugeotte ils auraient tiré les conséquences : un petit film bricolé par un photographe renommé, a nécessairement aussi dans son public un nombre conséquent de connaisseurs dudit photographe, non ? Et même que c’est pas fini : on ajoutera encore une grosse benne de public potentiel en précisant (ce que nos deux rigolos parviennent tout de même à vaguement évoquer) que le film enfin le scénario enfin le texte qui sert d’argument et de bande-son a été écrit par Kérouac et raconte une soirée chez Neal Cassady. Nous sommes là en pleine légende de la Beat Génération. Pensez si personne connait. Au contraire ça commence à faire pas mal de monde qui peuvent l’avoir vu, le truc invisible que personne ne connait : cinéphiles curieux, branchés parisiens, étudiants d’écoles d’art, baba-cools à la redresse et post-beatnicks, branleurs appointés chez Nova, Libé ou CanalPlus, bref on peut aligner toute une collection de catégories de public qui ont bien dû en entendre parler, et même le voir ? Mais non dit Chapier, pissk’il passe nulle part et même jamais. Pauvre branque, va. « Pull my daisy » entre 1980 et 1990 j’ai pu le voir 4 ou 5 fois dans des lieux vachement aussi paumés que Beaubourg, la Cinémathèque, et tout le circuit des courts-métrages mais ça ils ne savent même pas que ça existe. D’ailleurs je l’ai revu une fois encore l’an dernier car -ô mirake- la cinémathèque ayant rendu un hommage conséquent à Delphine Seyrig, il faisait partie du programme. Et nos deux rigolos spécialistes de Delphine, se payant le luxe de monter tout un sujet sur ladite n’ont même pas remarqué ce truc qu’ils ont quasi devant le nez. Le clou n’étant pas encore enfoncé jusqu’à la tête, ajoutons enfin qu’avec une pincée d’acharnement ce film rarissime que personne n’a jamais vu eh bien on le trouve... sur le web, à condition d’y fouiner et en acceptant de dépenser en réflexion le potentiel d’une tête d’épingle : soit sur un site très peu connu dénommé Youtube, soit pour les plus snobs et les boycotteurs du précédent, en poussant jusque chez Ubuweb.
Bon il faut conclure : en fait nos deux clowns ne le savent pas mais le film que personne n’a jamais vu et dont ils viennent de parler entre ignorantins, il fait l’objet d’un culte. Chance finalement qu’ils ne le sachent pas ! Car ça leur évite de sortir le cliché maison à la Goumarre ou Laporte : « film-culte », ou « cultissime » comme on entend chez Angelier quand ça touche le fond de la piscine.
Oui conclure car ça commence à bien faire : la lecture de ce coup de gueule dépasse déjà en durée l’incident rapporté. Pourquoi s’arrêter ainsi sur un fait radiophonique aussi bref ? Parce qu’il n’est qu’un exemple du sérieux et de la préparation qu’on investit dans une émission, quand on est producteur à France Culture ou quand on est invité. En matière de cinéma c’est pas la première fois qu’on enregistre un flagrant délit d’ignorance mi-résignée ni -satisfaite : Matthieu Garrigou-Lagrange qui baratine sur le cinéma de Cocteau sans avoir jamais vu son premier film « Le sang d’un poète », pourtant classique de ciné-club. Jean de Loisy qui commente le cinéma de Joseph Cornell sans avoir pris la peine de visionner ce qui est, là encore, disponible sur le web. Oh juste pour en avoir une idée, hein, des fois qu’une vague idée permette de ne pas dire n’importe quoi, ou même de poser une question pas trop à côté de la plaque. Remarquez, quand l’invité est au même niveau, à quoi bon poser une bonne question : Henry Chapier, 75 ans de cinéphilie active, ne peut pas avoir tout vu. Et ce qu’il n’a pas vu n’existe pas. Et où est le problème ? Eh bien le problème est que nous sommes sur France Culture, que l’auditeur qui s’attend à apprendre quelque chose il se trouve confronté à des gens qui n’ont pas le moindre scrupule pour gloser sur ce qu’ils n’ont même pas fait l’effort de chercher à connaître. Ne pas connaître, c’est normal. Ne pas se renseigner a minima, c’est la faute. Combien de temps de préparation pour cette émission, Monsieur Dantzig ?
Bon. Pour être tout à fait franc, c’est pas toujours comme ça dans « Secret professionnel ». L’émission contrairement à bien d’autres, ne s’évalue pas à ses invités et bien plus à ses sujets. Ca ne l’empêche pas d’être tout aussi inégale, parce que la clé de la qualité ici, c’est le degré de sérieux et d’efforts que le producteur engage dans sa préparation. Dantzig, hélas, ne se foule pas trop en cette troisième année. A mon goût le Secret professionnel avait pourtant bien démarré : sur la première année j’ai dû en conserver presque la moitié. Sur la deuxième, un tiers. Et la troisième ? On est bien partis pour faire moins d’un quart. Ca se tasse tout doucettement, comme le soin qu’y met le producteur, peut-être bien.
Pour autant, l'impréparation n'est pas toujours une faute grave. Ainsi dans un numéro sur le téléphone dans les œuvres d(art (ça, c'est du sujet !) Charles Dantzig passe à côté d'un texte que probablement il connaissait : une
dont on lui rappelle l'existence le 29 décembre 2015.
C'est dans la XVIIIe des Histoires désobligeantes, intitulée "Le téléphone de Calypso", qu'on trouve au beau milieu du récit ce petit délire imprécatoire tout à fait savoureux et qui rend son auteur reconnaissable entre mille :
"J'ouvre ici une parenthèse -tout à fait inutile d'ailleurs- pour dire que le téléphone fait partie de mes haines.
Je prétends qu'il est immoral de se parler de si loin, et que l'instrument susdit est une mécanique infernale.
Il est bien entendu que je ne puis alléguer aucune preuve de l'origine ténébreuse de cet
allonge-voix" et que je suis incapable de documenter mon affirmation. Mais j'en appelle aux gens de bonne foi et d'esprit ferme qui en ont usé.
Le bruissement de larve qui précède l'entretien n'est-il pas comme un avertissement qu'on va pénétrer dans quelque confins réservé où la terreur, peut-être, surabonde.... si on savait ?
[...]"
(Ca dure comme ça pendant presque une page avant la reprise du récit)Ceci pour compléter ou complémenter mais non pour complimenter notre bon Chardantzig qui a consacré son dernier
Secret professionnel de l'année à la place du téléphone dans les arts. Avec le secours du cinéaste Pascal Thomas, nous comprenons que le slapstick pouvait difficilement se passer du téléphone et pas seulement du téléphone bourgeois : imagine-t-on un bureau de flics et donc les Keystone Cops sans '
allonge-voix' ? En art pictural, nous apprenons qu'il n'y a pas de téléphone dans les tableaux de Léonard ni même de Delacroix ;il aura fallu attendre Dgeorges Braque. Et en littérature ? Eh bien il est d'usage de gober et de répéter qu'environ 40 ans après son invention enfin le téléphone apparaît dans la "Recherche" (comme on dit). Voila du moins ce que conjecture notre gentil Charles, qui doit bien sentir qu'il est en train de nous servir un cliché péri-proustien, usé par les producteurs de France Culture qui ne risquent pas de se ridiculiser puisqu'ils s'adressent à des néo-lecteurs. Pauvre Charles, à l'écouter, on devine qu'il n'y croit pas lui-même.
Et il a bien raison, comme le montre le début de ce post. D'où ma surprise de voir qu'on peut rappeler une évidence à ce pourtant fin connaisseur de la littérature Fin de siècle. Comment diable peut-on perdre le souvenir d'un tel délire ? Cela dit, l'édition courante qui réunit "Histoires désobligeantes" avec "Belluaires et porchers"en recèle une telle quantité....