Henry Faÿ(https://regardfc.1fr1.net/t784-discussions-du-vendredi-soir-regis-debray#27663) a écrit:[...]non, je ne suis pas lassé d'entendre parler de la guerre, quand c'est Régis Debray qui en parle et qui donne la parole à des auteurs aussi intéressants que Gérard Chaliand, par exemple ou Bertrand Badie. Quand Bertrand Badie dit que la puissance n'est plus la puissance, que la puissance devient le contraire de la puissance, je suis plus qu'intéressé par ce paradoxe. La guerre et la géopolitique, c'est pour ainsi dire le même sujet. Et quand on s'intéresse à l'histoire, on s'intéresse à la guerre. On pourra dire tout ce que l'on voudra de Régis Debray, mais ce n'est pas le dernier des imbéciles.
Mes impressions après 3 numéros + un bonus (voir infra) : émission très difficile à écouter. Elle mettra à rude épreuve la patience de plus d'un auditeur. Le ton compassé et la comédie du penseur en plein exercice sont depuis longtemps la façon de faire naturelle de Régis Debray, mais enfin même au micro de France Culture notamment comme invité de la matinale, on avait l'habitude de l'entendre moins poseur. Est-ce d'endosser finalement le rôle de producteur qui le pousse ainsi à se caricaturer lui-même ? Ca pourrait s'atténuer avec le temps, du moins il faut l'espérer. Déjà en 1962 dans "Chronique d'un été" il faisait se gondoler des salles entières dans le rôle auto-biographique du gosse de bourge passé sac au dos de Jeanson-de-Sailly à la rue d'Ulm, et parlant comme sa grand-mère à l'heure du thé, l'anse de la tasse serrée entre le pouce et l'index, petit doigt levé, biscuit Hédiard délicatement tenu dans l'autre main. Puis vinrent les ââânnées mânifes. Puis après un stage dans la jungle et un séjour de quelques années au cachot, on le retrouvait un peu dégrossi avec 20 ans de plus et quelques cicatrices, chargé de missions internationales par/auprès du Président Mitterrand. Ensuite de quoi, en devenant invité récurrent sur France Culture depuis environ 25 ans, il montre que loin de s'être atténué, son style oral emphatique empire jusqu'à l'auto-caricature. On lui attribuerait volontiers la médaille d'or de la pose si ladite médaille n'avait été décernée une fois pour toutes à Julie Clarini dans dans dans euh euh le role euh le rôle de la pro'productrice qui ni, ni n'y n'y connait rien en sciences ni en, en, en littérature mais dégoise sans complexe son ignorance sur tous ces sujets tout en faisant semblant de bafouiller non pour cacher qu'elle n'a rien à dire mais pour le bonheur d'imiter son maître spirituel Bourdieu.
Concernant la forme radiophonique elle-même je vois peu de choses à dire de cette émission du vendredi, étant donné la grande économie du dispositif. Bien que Debray ait l'habitude des studios, on le sent encore quelque peu novice dans le rôle du producteur, ce qui laisse un espoir : s'il réécoute ses émissions avec une oreille critique, il pourrait alléger un peu son style, désépaissir la couche de frime qui enrobe l'expression des idées. Et aussi peut-être renoncer à cette manie absurde d'introduire lourdement la pause musicale (probablement imposée par un chef de service ou un directeur de programme) en interrompant son partenaire avec presque autant d'impolitesse qu'un serveur de brasserie débutant retire l'assiette de fromage de dessous le nez du dîneur pour fourrer à la place celle du dessert parce que bon on n'a pas que ça à faire, j'ai des consignes vous savez.
A part ça, comme le dit Henry, Debray est loin d'être un imbécile. Et de fait ça s'entend aussi : son émission est loin d'être creuse, c'est même une des plus intenses que j'aurai eu à écouter récemment. Le contenu est riche, indubitablement. Riche en idées plus qu'en faits, mais ça dépend de l'invité ; riche en engagement aussi : clairement assujetti au paradigme idéologique de France Culture : anticolonialisme, égalitarisme, anti-atlantisme, romantisme révolutionnaire, valorisation des damnés de la terre, tout cela ressassé de façon intense. Presque aussi intense est la comédie permanente du producteur non sans risque pour ce dernier d'accueillir un invité aussi boursouflé de l'ego qu'il l'est lui-même alors là le mélange vire à l'explosif, avec ce résultat que l'agacement de l'auditeur atteint à son tour des sommets d'intensité.
J'écris tout ceci sans méchanceté aucune, car en fin de compte on peut aussi penser que Régis Debray se trompe de média : si l'époque était encore à la lecture, il serait probablement plus performant comme directeur de revue (chez Gallimard je veux dire hein, pas celle de l'Alcazar). Et justement, sans qu'on puisse m'accuser de privilégier systématiquement l'écrit loin de là, c'est avec grand intérêt et une notable économie de temps -économie nerveuse aussi- que j'en lirais des transcriptions par exemple dans France-Culture-papiers si cette publication existait encore et à condition tout de même que le dialogue s'y trouve dégraissé des ronds-de-jambes qu'il échange avec certains invités. Eh oui, parce qu'il y a ça aussi pour horripiler l'auditeur. J'y reviendrai en parlant du dialogue avec Bertrand Badie, où le risque d'explosion atteint la cote d'alerte.
Enfin on peut se demander dans quelle mesure une troisième émission de géopolitique vient faire double/triple emploi avec Cultures mondes et Affaires étrangères. Je n'y vois pas raison de refuser l'arrivée de celle-ci, mais on aurait pu supprimer l'une des deux autres, qui ne sont nullement culturelles. Si comme le dit Henry l'Histoire fait partie de la culture et si la guerre fait partie de l'histoire, alors il serait dommage de ne pas donner sa chance au vendredi de Régis Debray qui vise nettement plus haut.
Je n'ai encore presque rien dit du contenu. J'y reviendrai ultérieurement, pour rendre compte des 2 autres émissions que j'ai moulinées (non sans mal) après le numéro d'ouverture : celle du 7 octobre avec Gérard Chaliand, et celle du 11 novembre avec Bertrand Badie. Très différentes l'une de l'autre, autant que diffèrent le style personnel de l'un et de l'autre invité. Pour Badie, j'ai renforcé mes hypothèses et ma critique en écoutant aussi les 20 minutes passées dans le studio de la matinale le 30 août face à Guillaume Erner. Henry trouvera dans les deux l'exposé du paradoxe de la puissance. "J'y reviendrai", mais peut-être qu'Henry reviendra avant moi.
(à suivre)