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Les matins - Commentaires d'auditeurs de 2009 à 2014 Page 24 sur 86
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231Re: Les matins - Commentaires d'auditeurs de 2009 à 2014 - Jeu 05 Mai 2011, 01:11
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Nessie
232Les 20 premières minutes - 1) 7h35 à 7h42 - Jeu 05 Mai 2011, 01:13
- 7h37 : on ouvre sur la méthode d’écriture de la pièce de théâtre, écriture où le choix de Lordon est d’être narratif et réaliste : dire ce qui s’est vraiment passé. Il déclare n’avoir eu aucune autre intention. La reconstruction avec intention serait fictive, mensongère, mais aurait peut-être été plus intéressante.
Remarque : en un mot cette pièce livre la vérité avec un grand V. Noter que dans 15 minutes son auteur dira le contraire, mais à mon avis ça n’a guère d’importance : c’est un communiquant habile. Quand il se conduira avec un soupçon de calme et un ton un peu adouci, il sera redoutable. Mais paradoxalement, il pourrait être alors moins redouté ?
- 7h38 : nous vivons sous le corpus idéologique de la mondialisation néo-libérale, qui a produit un des plus grands sinistres de toute l’histoire du capitalisme. Ce corpus devrait être bazardé (liquidé) mais il en sort renforcé.
Remarque 1 : la source de la crise est couramment dite autre ; on désigne habituellement l’imprudence du système bancaire américain et un certain mode de consommation à crédit qui s’est emballé. Eventuellement il y a aussi les linéaments de la mondialisation financière. Si cette thèse est fausse j’aimerais bien savoir pourquoi. Mais en plus, on peut concevoir un néo-libéralisme avec une sphère financière mieux encadrée. Donc stigmatiser en gros la MNL (mondialisation néo-libérale) pardon mais ça sonne comme un slogan et un gros parti-pris.
Remarque 2 : si le système économique capitaliste sort renforcé après une mise sous surveillance, alors ça n’est pas le même système qui continue, mais un système amélioré. En faisant croire que tout continue pareil avec un blanc seing pour faire encore plus de conneries, Lordon ne décrit pas la réalité de ce que nous vivons.
- 7h41 : il y a maintenant une crise de la dette publique, qui résulte d’une crise de la finance privée. Mais en 2007 il n’y a pas encore de crise des finances publiques.
Remarque : ah bon il n’y a pas de crise des dettes souveraines, alors que depuis 40 ans les Etats ont vu croitre leur endettement d’année en année continûment ? Depuis longtemps la crise est annoncée au contraire : c’est tout le système qui fonce dans le mur depuis pas mal d’années. Le choc actuel, consécutif au méga-accident bancaire des Subprime, n’est il pas plutôt une cause accidentelle ? (prendre l’expression au sens Weberien). Ce que j’ai entendu dire en permanence entre 2000 et 2007 m’incite à croire que sans ce plantage des Subprime, nos sociétés incapables de se réformer couraient tout autant à la crise par l’endettement.
- 7h41 : Les finances publiques dans un premier temps en sortiraient enrichies (ah tiens, quel miracle ?), mais dans un second temps il y a un choc récessionniste, induisant entre autres la hausse du chômage
Remarque : ouf, on respire, il y a bien une catastrophe pendant un instant on a failli en douter.
Remarque : le chômage était en croissance continue ou quasi depuis 35 ans, mais il est évident que le chômage est dû à la crise actuelle. Avant tout allait si bien.
- 7h42 : résultat, le contribuable paie. Ici un tableau catastrophique du contribuable pressuré à tous les niveaux.
Remarque : on reconnait là le refrain populiste "braves gens on vous vole ! braves gens on vous ment (cf la formule "on cherche à vous faire gober"). Je pense que c’est un énoncé dramatisant par sa généralisation. Personne ne nie que cette crise fait d’énormes dégâts, mais ce tableau de cata généralisée c’est celui d’un type qui cherche à foutre le feu. On sait que des penseurs économiques de très haut niveau comme Paul Jorion et Eric Cantona appellent de leurs voeux une panique, au besoin cherchent à la déclencher. Lordon ici fait tout pour l’alimenter. Bien en phase avec l’alarmiste éconophobe de la maison, ici polishiné par Julie.
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Dernière édition par Nessie le Jeu 05 Mai 2011, 13:01, édité 3 fois
Nessie
233Les 20 premières minutes - 2) 7h42 à 7h48 - Jeu 05 Mai 2011, 01:15
- 7h42 : Le monde de la finance mord la main de l’état qui l’a sauvé (dit par Clarini et approuvé par Lordon)
Remarque : c’est une métaphore qui n’a pas sa place dans un discours qui se prétend scientifique. Pour un lecteur ou un auditeur habitué à des propos rigoureux et fiables, ce genre d’assertion allume un signal d’alarme. Si j’écoute FC c’est pas pour entendre des phrases dans le style de la Une du Journal du dimanche.
- 7h43 : un énoncé théorique fort : "bien qu’il n’y a pas de loi invariante et transhistorique de l’économie - il y a des configurations successives et des mutations du capitalisme. Entendez que l’économie est fondamentalement historique " (remarque : notez que ceci torpillerait suicidairement une bonne part du propos, aussi on place immédiatement un contre-énoncé parachuté : ) mais dans la spéculation il y a des mécanismes constants.
De là :
- 7h45 : Les crises s’enchainant, il était fatal qu’une crise décisive survienne.
Remarque : cet énoncé n’a rien de scientifique. C’est tout au plus un simulacre de Loi et un raccourci. J’ai l’impression d’entendre un météorologiste amateur qui énonce une loi fondamentale du temps qu’il fait.
- Ensuite vient une accélération des métaphores et de tournures qui sont des effets de manche : quelques instants plus tôt, on a parlé de Chiens crevés pour résumer quelques grands économistes et des théories qui étaient contestées, mais pourtant enseignées, et qui avaient leurs partisans. A ce moment : "la finance a fait bombance" + Il y a prise d’otage + Le corps social doit passer la serpillière. Dans la suite, on en entendra encore un certain nombre.
Remarque : désolé mais de tels énoncés ne sont pas d’une description rigoureuse. Ici l’orateur s’échauffe. De la part d’un économiste j’aurais apprécié d’entendre des chiffres et une démonstration. Au lieu de cela j’ai un récit de bistrot. Qui me reprochera d’avoir du mal à y croire tel quel et sans réserve ?
C’est qu’à mon avis -si j’ai ce droit- ça n’apporte rien ces effets de manche. Un oeil sévère y verrait de la frime et un oeil ignare y verrait "de l’ego". Je n’y vois que maladresse de communication : une pensée claire et analytique -et dans les sciences sociales c’est un impératif- qu’on la détaille en Revue ou qu’on la livre dans un media dont l’ambition est de faire réfléchir, on se doit de la transmettre sans images, ou alors exceptionnellement, en illustration ; et surtout, ça se transmet sans jugements implicites.
- 7h48 : ici une explication sur la construction narrative de la pièce. On apprend que l’histoire a été réécrite et la réalité modifiée, introduisant notamment un personnage qui figure le conseil scientifique d’Attac.
Remarque : il s’agit d’une pièce et non d’un rapport scientifique. Donc cette modification du réel n’est pas un mensonge : elle est justifiée par le souci pédagogique ; et même si c’est par souci militant, c’est de bonne communication. Donc personnellement ça ne me choque pas. Quant à l’apparition d’Attac, franchement je trouve qu’elle arrive bien tard dans la discute.
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Dernière édition par Nessie le Jeu 05 Mai 2011, 13:05, édité 2 fois
Nessie
234Les 20 premières minutes - 3) 7h48 à 7h55 - Jeu 05 Mai 2011, 01:16
- 7h49 : Il fallait nationaliser les banques.
Remarque : c’est un des seuls moments vraiment sérieux de cette première partie. Une injonction pratique, une proposition de réforme. C’était ici en soi le sujet de l’émission. On restera dessus environ une minute. Et l’invité, admet que ce choix était discutable, que ça aurait été discuté, et que lui juge l’option défendable. Ici j’admire sa réserve et son sens de la mesure. Suit un exposé technique pour préconiser la main rationnelle de l’Etat. Je trouve ça incroyable : on tient là LE vrai sujet de l’émission, dont Lordon lui même dit que c’est une option, un choix, que c’est là ce qu’il préconise, et il n’y a pas l’ombre d’une amorce de discussion là dessus.
- 7h50 : digression sur la notion de stress-test. Parallèle entre la sureté financière et la sureté nucléaire, donc entre les deux risques.
Remarque : malgré le parcours lexico-conceptuel un peu douteux, c’est un énoncé systémique (analogique) intéressant, mis au service d’un tableau apocalyptique. Et là même Julie n’en croit pas ses oreilles : comment elle devrait se passer de croissants bio ? Eh oui : le tableau de la rigueur en Grèce et au Portugal, qu’elle croyait aaapocalyptique redevient par comparaison un simple serrage de ceinture. Ce qu’on a toujours su, d’ailleurs, mais ce qui est totalement absent de l’esprit des forcenés de la consommation masqués en dénigreurs de la croissance, ceux qui poignardent l’économie de la main gauche et tendent la sébille de la main droite ou tiennent la banderole en manif, ce qui revient au même (ici je vise clairement le paradigme idéologique de la moitié des producteurs de FC, dont Clarini)
Conclusion locale : avec le tableau brossé par Lordon, impeccablement réaliste au point de sidérer l’animatrice, on a ici un cas de catastrophisme absolu. Ce catastrophisme impressionne les esprits et empêche de voir la contradiction interne : ce ne sont pas les banques qui ont pris l’économie en otage, mais l’ensemble du système qui avait dans les banques un maillon faible, et ce maillon on ne pouvait plus le laisser casser. Mais quand on veut diaboliser la finance privée, on y va à fond ? Oui, Frédéric Lordon il y va à fond. Navré, mais pour moi ça invalide la notion de prise d’otage (d’ailleurs le mot de chantage eut été mieux venu)
- 7h52 : Il était fou de laisser à des intérêts privés la sureté des dépots et des encaisses monétaires publiques à des acteurs (ici je ne recopie pas ses insultes) impliqués à fond dans la spéculation.
Remarque : ici encore ça me semble des plus crédibles, sauf que la nationalisation n’est pas la seule solution pour mettre en place un tel contrôle, et il reste à démontrer que c’est la meilleure. Mais on glisse là-dessus.
- 7h53 : Juste avant de faire l’éloge de Marx (je doute qu’elle l’ait lu et encore plus qu’elle y ait pigé quelque chose) Julie Clarini aligne un triple verdict pour fustiger les décideurs fautifs : cynisme, incompétence, forfaiture. Elle enchaine avec une allusion littéraire : le roi Ubu.
Remarque : hélas, cette image littéraire mériterait une sérieuse remise en place. A balancer comme ça autour d’une table de radio, c’est vraiment l’équivalent du Point Godwin sur le Web. Elle le sent bien, d’ailleurs, Julie, puisqu’elle ne connait pas l’oeuvre et elle le dit presque en clair. elle a donc répété un cliché (un de plus). Et parce que jusqu’ici l’émission est à sens unique, personne ne relèvera cette énormité. Même en seconde partie, Slama a trop d’amitié pour elle, il ne relèverait surement pas cette énormité au micro. Au mieux il va lui en dire un mot à la cafète ? "Chère enfant, vous dégradez votre style radiophonique quand vous avez recours à de tels clichés et à aussi mauvais escient".
- 7h55 : conclusion par une phrase abstraite de Spinoza retraduite par Bourdieu.
Remarque : ne sert absolument à rien sinon à justifier par un argument de double autorité le recours aux images et à la manipulation, donc la pièce.
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Dernière édition par Nessie le Jeu 05 Mai 2011, 01:36, édité 2 fois
Nessie
235En conclusion sur la première partie : remarques d'ensemble - Jeu 05 Mai 2011, 01:17
Ma conclusion : dans cette première partie, le propos de Frédéric Lordon consiste à récupérer tout à la fois la crise actuelle et l’ambiance de catastrophe avec par moments une sorte de joie mauvaise -je maintiens- très proche de celle d’un Baverez. Tous deux font partie des intellectuels qui sur le marché du prestige se font un max de bénèffe en attisant le catastrophisme. Avec Lordon, en gros c’est de l’anti-libéralisme de base, puisque le libéralisme est bombardé vecteur de toutes crises. Sauf que de crise en crise depuis 150 ans le niveau de vie s’est considérablement élevé, ceci sur tous les indicateurs possibles. Depuis 35 ans Attali dit que la crise est l’état normal de l’économie. Mais Attali a d’autres choses à faire que d’attiser les haines sociales. Lordon ne prend pas de gants ou plutôt il en a de fort épais pour attiser autant qu’il peut et diaboliser à tout crin. Et il va le faire au service d’une idéologie qui consiste d’abord à diaboliser la mondialisation, bilan de ladite mondialisation qui est toujours noirci à mort par sa chapelle idéologique (celle qu’un Emmanuel Todd appelle "la fabrique du borborygme"). Je me demande pourquoi on invite ce type sans mettre en face un économiste comme Daniel Cohen par exemple ? Ne cherchez pas : c’est parce que les Matins ont choisi de faire ce numéro à sens unique. Pour moi ça revient à donner une tribune à un bourreur de crâne.
Quant au remède qu’il préconise, ça serait de nationaliser la sphère financière. D’un coup de baguette magique, peut-être ? Non, voyons. Par confiance dans son sérieux et dans son intelligence, je suppose que Frédéric Lordon a ici un plan fort épais, car ça sera aussi complexe qu’international. N’empêche que là est le vrai sujet de l’émission. On a glissé sur l’examen de ce vrai sujet, peut-être jugé trop technique, et à la place on a mis un véritable numéro d’acrobate. Ca n’est pas tant à l’invité que j’en veux : il vient passer à la caisse car il est comme tout le monde, guidé par son intérêt. Non, j’en veux à ceux/celles qui ont monté ces 20 minutes à sens unique. Je suis vraiment désolé de conclure ce résumé de la première moité en ... parlant radio.
Restons un peu sur l’ambiance : je dois revenir sur mon agacement de ce matin, probablement causé par le réveil désagréable que m’a causé ce matamore à latinismes. Car en le réécoutant je dois dire que j’entends sa fameuse énergie et sa véhémence volubile, parfois un peu nerveuse mais après tout pas tant que cela, et surtout je n’ai pas retrouvé l’agressivité qui m’avait agacé ce matin à la fin et m’avait semblé culminer à la fin de la 2e partie. Il faut dire que dans ces 20 premières minutes, Lordon est ici face à une groupie qui roucoule ; elle saisit toutes les occasions de le pommader, par exemple quand elle lit ses vers montrant au passage qu’elle ne connait pas l’alexandrin classique, car ceux qu’elle présente comme parfaits ils contiennent leurs irrégularités & rimes approximatives. Ce qui n’a aucune importance d’ailleurs en ce qui concerne la pièce et son auteur. Mais je n’en dirais pas autant de l’animatrice : une littéraire, agrégée, qui ne connait pas sa propre matière, et il faudrait lui faire confiance pour introduire le propos d’un ingénieur de haut niveau, économiste, qui tout simplement déploie un propos idéologique conforme à ses options à elle ? Mais vous rigolez j’espère... ?
Dernière édition par Nessie le Jeu 05 Mai 2011, 04:32, édité 2 fois
Nessie
236Intermède - Jeu 05 Mai 2011, 01:32
<< Je crois, Nessie, que vous fantasmez le ton agressif et méprisant de Frédéric Lordon. >>
Je fais amende honorable là-dessus après l’écoute de la deuxième partie.
<< Il a le droit de prendre le postulat d’une théorie pour démontrer que cette théorie ne vaut pas tripette. C’est ainsi que le science avance. >>
Ca n’est aucunement une question de droit, mais de méthode. En l’occurrence, c’est la méthode de la polémique en public, et certainement pas une méthode scientifique.
<< Slama est un fameux hypocrite quand il demande quelque chose de constructif en 2 minutes.>>
Je ne crois pas que Slama soit responsable de la très mauvaise organisation de cette émission. J’en dit un mot dans mon exposé sur la 2eme partie. Pour que les thèses de Lordon soient justement présentées aux auditeurs je ne vois qu’une émission spéciale de L’économie en question ou mieux, de L’esprit public, à condition de régler avant la question de l’ambiance, et de s’astreindre à lui donner au moins 10 minutes d’exposé préalable et au moins 50% du temps de parole restant.
<< Sur la violence collective, c’est en effet, le terme de toutes rationalité(s) inconciliables dans un dialogue de mauvaise foi. Nul besoin d’être agressif pour énoncer cette évidence. (Parfois même la violence est ce qui est attendue stratégiquement en poussant quelques pics bien placés, je soupçonne Slama d’être de ce genre là)>>
Le problème est que la mauvaise foi c’est toujours l’autre. Vous faites plus haut l’apologie ou la préconisation de la science. je ne vois pas comment ça peut être compatible avec la normalité de la violence.
<< Les structures induisent les comportements >>
Faux. Les structures donnent un cadre aux comportements.
Dernière édition par Nessie le Jeu 05 Mai 2011, 04:29, édité 1 fois
Nessie
237A partir de la chronique de Slama - Jeu 05 Mai 2011, 01:33
- La chronique de Slama : il commence par attaquer la vogue anti-marché, qui fait ses choux gras de la crise avec une assurance qui a monté à pic depuis l’automne 2008. Puis il défend la thèse d’une responsabilité collective non de la finance ni du système, mais de la totalité des acteurs de l’économie. Je dois dire que je ne comprends pas où il veut en venir avec certaines mentions de la Grèce. D’un coup il appelle à la rescousse Jean Bodin pour rendre à l’individu sa liberté, mais aussi pour défendre un certain type de structure sociale, qui serait homogénéisée par le développement des classes moyennes, ceci pour réduire les risques d’explosion sociale, et occasionnant la distribution descendante des richesses.
C’est sur un ton effondré que Julie Clarini clôture cette chronique. Comme on se demande ce qu’elle a pu en capter, je mettrais bien une pièce sur la mine écoeurée de Frédéric Lordon qui donne ainsi à l’animatrice la marche à suivre. Pure spéculation ; mais si vous avez mieux, dites-le moi. Suivent quelques passes d’armes sur un ton plutôt cordial où Frédéric Lordon regrette de n’avoir pas le texte de la chronique pour pouvoir la réfuter ligne à ligne et même mot à mot. On veut bien le croire, car j’éprouve souvent le même sentiment quand j’entends la chronique de Julie Clarini ou celle de Philippe Petit. Donc je me mets très bien à sa place : c’est très frustrant de ne pouvoir décortiquer un tissu de fausseté (remarquez à faire c’est encore plus épuisant). Le hic, c’est que la réfutation peut s’appuyer sur la désignation d’erreurs factuelles, ou bien sur des options dont on se désolidarise, ou encore sur des croyances qu’on ne partage pas. Tant que l’exercice n’est pas fait, on ne sait pas très bien comment l’invité s’y serait pris.
D’abord ça commence mal : Lordon se dit "indécrottablement structuraliste" car il ne croit pas à la liberté des "acteurs", et comme bien d’autres avant lui, il récuse jusqu’au terme. Il ne le remplace pas par le mot "les agis" mais l’idée y est : nous sommes surdéterminés par le contexte, le libre-arbitre n’existe pas. De là, 2 remarques :
- d’abord le structuralisme c’est pas ça. Le structuralisme est une méthode littéraire d’analyse des systèmes abstraits et symboliques, disons pas trop évolutifs (ou alors on les prend dans la synchronie, qu’on me dise si je me plante) à fins d’en décrire le fonctionnement. Ca marche pour la phonologie, l’analyse des mythes, et peut-être les structures familiales. Certes le structuralisme n’a pas grand chose à voir avec l’individualisme, mais appliqué aux sciences sociales, il n’implique pas plus que ça le primat total des structures sur les conduites. Donc il ne dira rien de l’effet poétique, rien de la création, rien du choix individuel du conjoint ni du nombre des enfants dans la famille. Pourquoi ? Parce qu’il porte sur un autre niveau du réel. Ca n’est donc pas dans le structuralisme qu’il faut chercher la détermination du cadre social qui détermine l’individu. Ce primat porte un autre nom : c’est le holisme méthodologique. Chez Bourdieu ça donne le sociologisme qui en est une des versions les plus cocasses et les plus indignes au plan épistémologique. Chez Durkheim ou Marx ça donne une forme de la démonstration où l’individu disparait mais non parce qu’il est nié en tant qu’individu (au contraire, même aliéné il est reconnu), bien plutôt parce que l’analyse se situe délibérément à un autre niveau.
- la suite du raisonnement n’a rien à voir : elle se résume en gros à la légitimité de la poursuite des intérêts, donc à une thèse de l’Homo Economicus on ne peut plus basique. Dans un système déréglementé, chacun poursuivrait son intérêt de façon totalement dé-responsabilisé et égoïste. Terrible. Du sous-Rousseau du XXème siècle, parfait pour justifier toutes les contraintes qu’on voudra, et les lois liberticides avec le secours de la violence d’Etat. Au bout de l’idéologie Lordon, il y a l’enfer. D’ailleurs pour l’instaurer, il faudra la violence populaire. Sacré programme.
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Dernière édition par Nessie le Lun 09 Mai 2011, 23:08, édité 4 fois
Nessie
238Dans la fin de l'émission, pas d'Economie ou quasi - Jeu 05 Mai 2011, 01:34
Contradiction : alors qu’il a diabolisé les opérateurs de la finance qui ne cessent de courir après leur intérêt tout en déclenchant des catastrophes économiques, Frédéric Lordon désigne maintenant les vrais fautifs, tout en haut de la pyramide : ce sont les décideurs qui ont mis en place le système de la mondialisation financière, donc en gros la sphère politique + la banque. Bizarre, bizarre : et tous ces gens alors, eh bien eux ils échappent à la détermination sociale ? Mais pas plus, puisqu’ils cherchent eux aussi leur intérêt. Ici pour moi les deux interlocuteurs ont tout faux. Slama finasse sur le rapport entre l’offre et la demande, comme dit Basil. Et Frédéric Lordon sous des dehors marxistes (ce qui devrait le rendre plus sensible à l’aliénation de tous) diabolise les élites, qu’elles soient bancaires, mondiales, islandaises, et évidemment patronales (pourtant le patronat est aliéné). Pourquoi ça me gène ? Parce que la dénonciation des élites est un trait usuel du populisme. Parce qu’il n’y a aucune foi en l’homme : si on attend une moralisation ou un sursaut éthique, on attendra longtemps dit-il, et pourquoi ? Mais voyons, parce que ce sont les structures qui déterminent les comportements. Qui ne voit que ça tourne en rond : ce bouclage de causalité c’est précisément le pont-aux-ânes du sociologisme. Qu’on m’excuse de dire qu’en matière de science sociale, ça n’est qu’une position épistémologique parmi d’autres. En clair : un choix. Oui il y en a d’autres. Non ce holisme déterministe n’a pas mené bien loin, n’a jamais rien expliqué des sociétés, et il est d’un simplisme irrecevable. Bien sûr que le politique détermine bien des choses, mais il ne fait que fixer un cadre. Et par quoi les structures sont-elles déterminées ? Et quid des effets émergents ? Et quid de l’impossibilité du changement ? Ces questions fondamentales posées au holisme, je me demande comment le tableau simpliste de Frédéric Lordon pourrait y répondre. Certes, au moins pour le changement il est cohérent : il propose la solution du soulèvement populaire, ce qui dans le débat politique, est le signe d’une irresponsabilité aveugle. Je retrouve ici ma critique contre Paul Jorion : ces gens jouent avec le feu.
A part ça, je dois conclure en faisant amende honorable : autant je trouve horripilant le ton excité de Frédéric Lordon, autant je ne trouve plus que ce soit un ton agressif ou haineux. La haine est perceptible (même explicitement déclarée "le capitalisme est haissable") mais ce que j’entends, c’est plutôt un intellectuel doté à la fois d’un esprit et d’une élocution très rapide. De là un ton et une attitude apparemment très affirmés, à la limite du mépris peut-être, mais on sait que ça dissimule souvent une certaine fragilité. Ses effets rhétoriques et son ton asséné, je les vois maintenant plutôt comme des erreurs dues à l’immaturité, non sans un style qui emprunte de plus en plus à l’ironie dans les 10 dernières minutes. Mais à ce moment là il n’y a plus de propos sur l’économie elle-même : en multipliant les mini-vannes et les effets de manche dont pourtant il n’a aucunement besoin sauf pour faire glousser Julie Clarini, Lordon se lance dans un propos pamphlétaire contre la caste des économistes qui tiennent les commandes. Et ils sont tout aussi incrustés dans les médias dit-il, où les places sont trustées par des experts-économistes qui se maintiennent avec une santé remarquable malgré le désaveu des événements. Aïe aïe, faudra-t-il lui faire un procès en frustration ? Je n’en sais rien, et je n’aime pas beaucoup ces arguments. Mais je constate que ça déplace le débat hors de la théorie économique : nous ne sommes plus là que dans le fait politico-médiatique, le fait d’influence. Et de même, là encore, rien n’est démontré, car on n’entend aucun lien à l’appui d’une théorie économique hétérodoxe. La seule chose que j’entende Lordon ressasser, c’est qu’elle est étouffée cette vérité, par une caste d’installés. Le problème c’est que l’invité croit pouvoir les dégommer en citant un énoncé unique, qui sert de dogme représentatif mais qui -et là je ne suis pas d’accord du tout avec Basil- ne saurait résumer ni une doctrine économique, ni une pensée qui organise l’économie mondiale (et cela, qu’elle le fasse bien ou mal). Et précisément à ce moment, vient la fin de l’émission : elle est déplorable ! La question posée par Slama "Que proposez vous", ne devait pas être posée à 2 minutes de la fin, mais dès 8h20. Le résultat c’est que l’invité ne peut pas en citer une seule de ses solutions, parce qu’en 2 minutes c’est pis qu’une gageure. Mais quand même, s’il ne pouvait pas même en détailler une en si peu de temps, alors au moins il aurait pu énumérer des grands thèmes ou des titres de ses chapitres. C’est donc pour une autre raison qu’au lieu de propositions, comme voie du changement il abat sa carte du soulèvement populaire : c’est parce qu’il y croit vraiment comme moyen de changer les choses. Est-ce qu’il voit ça sous la forme Cantona ou sous la forme Slavoj Zizek ? On ne sait pas. En tous cas il est à-peu-près cohérent avec son optique holiste : quand on ne sait pas conceptualiser un changement de société, on n’arrive à imaginer que de la révolution. Et si moi j’ai imaginé rétrospectivement une violence dans son ton, c’est peut-être aussi parce que sa perspective de sédition, elle, est un appel à la violence.
Dernière édition par Nessie le Lun 09 Mai 2011, 23:02, édité 1 fois
Cancoillotte
239Re: Les matins - Commentaires d'auditeurs de 2009 à 2014 - Jeu 05 Mai 2011, 07:12
Ca donne l’impression suivante (non je n’ai rien pour la prouver) : c’est comme si de son point de vue une intelligence aussi aigüe que la sienne ne pouvait pas d’accomoder de solutions qui ne soient pas radicales. Il laisse tout ce qui ressemble à du raisonnable, à du consensus, aux esprits médiocres et patauds.
Slama n’était pas dans une forme olympique non plus, et ce qui aurait pu s’annoncer comme la continuation des disputes de Settembrini et Naphta n’a finalement pas accouché de grand chose.
Ses propositions méritent d’être discutées, mais je lui reprocherais de ne pas tenir compte et donc de ne pas répondre aux critiques de l’étatisation de l’économie par l’école du choix public.
Philomène
240Re: Les matins - Commentaires d'auditeurs de 2009 à 2014 - Jeu 05 Mai 2011, 12:49
Merci pour cette analyse de l’émission, je suis assez d’accord dans l’ensemble avec votre retranscription. J’ajoute ici mes remarques qui me semblent les plus significatives.
Le problème des sciences humaines, c’est qu’elles ne peuvent pas évacuer l’affect. Sinon elles ne seraient pas humaines, justement. Les figures de style fleuries que Frederic Lordon utilise ne me choquent pas vraiment dans son discours. Ces figures de style, me semblent être du même ordre que celles que vous utilisez pour portraiturer les producteurs de France Culture. Et il y a parfois de la vérité derrière une figure de style.
Sur la liberté, les positions holistes ou structurales des divers auteurs que vous citez je ne saurais vous répondre précisément.
Sinon à dire que la liberté est une notion bien difficile à saisir dans un système économique cherchant à cacher et à étouffer le plus possible la réciprocité hors du domaine marchand, et inversement a explicité contractuellement cette réciprocité dans le domaine marchand. Et la réciprocité passant par une médiation par infini, où est elle ??
Sinon sur les structures, nous ne sommes pas d’accord. Tachons d’élucider cela.
Je donne un cadre pour mettre d’accord 2 personnes : un échiquier de 64 cases + les pièces + les règles du jeu. Au finale, j’ai deux personnes qui jouent aux échecs pour se mettre d’accord à l’aide de stratégie de plus en plus complexe. Ce cadre encourage t il des comportements plus qu’un autre cadre ? Et le jour où le perdant sera identifié sera t il également le jour où il renversera la table ?
Le marché encourage t il les comportements que l’on y voit ? Ma réponse : Oui. Ces comportements sont ils souhaitables ? J’ai comme un doute.
Tout jeu rationnel ne fait que dérouler son « plan » interne que l’on découvre au fur et à mesure que l’on découvre le paysage et ses horizons. Et comme dans tout système avec des règles du jeu, il faut qu’un perdant (bouc émissaire) se trouve éjecté de la partie pour ramener un certain équilibre temporaire. J’ai un peu le sentiment que le problème ultime de la politique aujourd’hui c’est choisir le perdant mais sans en avoir l’air, sans que cela soit dit, et que surtout cela paraisse être naturel.
Nessie : « Personne ne nie que cette crise fait d’énormes dégâts »
Reste à savoir qui prend les dégâts à charge pour le compte de qui ?
Le propos de F. Lordon soulève cette question.
Chanda
241Re: Les matins - Commentaires d'auditeurs de 2009 à 2014 - Jeu 05 Mai 2011, 14:10
(à propos de la chronique de Slama).Nessie a écrit: Tant que l’exercice n’est pas fait, on ne sait pas très bien comment l’invité s’y serait pris.
Ben déjà, il aurait pu dire que la défense d’un "certain type de structure sociale, qui serait homogénéisée par le développement des classes moyennes", et ce ce dans le but de "réduire les risques d’explosion sociale" est une vision simpliste (et je suis gentille...) de la façon dont les conflits éclatent. Les explosions sociales, (si l’on donne bien à ce terme la même acception...), proviennent dans la très grande majorité des cas des classes moyennes, justement. Sans remonter jusqu’à la Révolution française, il suffit de prendre l’exemple des révoltes arabes ou du conflit en Thailande. Et pour appuyer les exemples, de remarquer que l’absence de classe moyenne (d’aucuns diraient de bourgeoisie) est justement un facteur bloquant l’irruption d’une révolution par le peuple : la révolution de 1917 est plus un putsch politique qu’une "explosion sociale", la révolte en Birmanie en 2007 échoue en partie pour cette raison, des pays pauvres (Laos) ou à la classe moyenne ravagée (Cambodge) sont plutôt "stables" de ce point de vue, la Chine voit émerger une classe moyenne qui est le fer de lance de la contestation qui survient alors que le niveau de vie augmente de façon considérable.
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