De nouveau un ton d'enfumeur ce matin aux Matins. Mais avec une énergie d'un cran au dessus de Lordon et de 5 niveaux au-dessus de Jorion. Qui est Emmanuel Pierrat ? Avant tout c'est un homme qui a réussi : un avocat brillant, une sommité dans son créneau ; c'est un bon client pour la radio, car il est volubile et plein de punch. Il fait donc figure d'invité idéal ce matin comme expert car il donne l'impression de connaitre son sujet et on veut bien le croire. Sauf qu'en dehors de son sujet déjà on entend quelques fausses notes, j'y reviendrai. D'ailleurs sa spécialité d'avocat à Pierrat, c'est plutôt le droit de l'Edition. Je ne dis pas que ça le rend moins estimable, et pas non plus non-compétent pour parler de cette affaire, mais enfin s'il est accoutumé des affaires de viol, ça serait bien de nous le dire tout de même. A défaut il est permis de douter, surtout qu'une fois de plus il n'y a pas de confrère en face. J'aurais préféré entendre un magistrat qui analyse posément, plutôt qu'un donneur de leçons qui s'exprime avec le ton péremptoire d'un asséneur. A mon sens il endosse un peu vite le rôle de procureur, et au final ce que j'entends c'est son numéro, et une fois de plus sa pub à la radio. Il aurait tort de s'en priver. Surtout que dans le studio, personne n'a assez de métier pour résister à autant de tchatche et à autant d'énergie vocale. Une fois lancé il parvient à placer 5 ou 6 fois plus de mots à la minute tout en coupant la parole à tout le monde : le Voinche lui-même en a le sifflet coupé. Un moment il continuera à brouiller le débat avec ses incises inutiles et ses lourdeurs. Quant aux deux féministes maison elles en rajoutent sans percevoir un seul instant qu'elles étalent une couche supplémentaire de rumeur sur une affaire déjà opaque. Il n'y a que pour Pierrat que les choses semblent claires. Eh bien non. Navré : les tribuns sans personne en face moi ça m'inquiète toujours un peu ou plus qu'un peu.
Si je fais le bilan des fausses notes ou des doutes, il y a des choses à dire :
- Pierrat qualifie de "capitaliste" et de "néolibéral" le fonctionnement de la Justice, parce que le marchandage y serait courant. C'est une grossière erreur d'étiquetage. Il n'ose peut-être pas dire que la Justice est instrumentalisée, biaisée par des arrangements où sous couvert de négociation, les plus combinards et les mieux fortunés ont la partie belle ? Mais le capitalisme (ou le libéralisme) ça n'a rien à voir avec le monde de la magouille, qui a existé de tous temps, et qu'on retrouve dans le capitalisme comme partout ailleurs. Pierrat vient de nous faire un bel amalgame, et qui n'apporte rien au débat, mais qui se trouve bien en phase avec le paradigme idéologique de France Culture. Vous je ne sais pas, mais moi si j'entends un avocat qui n'emploie pas le mot juste quand il place une incise en dehors de sa spécialité, j'ai tendance à douter de la validité de ses raisonnements et de ses prises de position. Surtout si dans le même temps je le vois mettre à ce point le paquet dans la prise de parole, avec un punch aussi remarquable. Après tout, à chacun son expérience : la mienne me dit que dans ce genre de prestation, l'énergie compense la qualité de l'analyse.
- Le combat juridique qui s'annonce avec cette première audience de DSK devant un jury populaire, Pierrat le décrit comme un affrontement entre deux équipes de fouille-merde, chacun s'efforçant de salir l'autre au bénéfice de son client ? Ca veut dire qu'en l'absence de certitudes sur les faits, en l'absence de preuves, on est partis pour juger Strauss-Kahn sur présomptions et sur des dossiers biographiques ? Euh, c'est vraiment ça, la justice américaine ?
- Il parle de Rykers Island comme s'il connaissait bien. Après tout, admettons puisque j'ai cru entendre qu'en plus du barreau de Paris il a eu celui de New-York. Ca ne veut pas forcément dire grand chose mais enfin ça lui donne autorité pour en parler. Le problème c'est qu'il va vite, bien vite, trop vite ? Il compare la prison de N-Y à celle de Fleury-Mérogis, et il se permet de conclure qu'elles sont identiques, mais il le fait sur un seul indicateur : l'effectif carcéral. Ca c'est de l'analyse à la truelle, pardon. Même en cherchant seulement du côté quantitatif, des indicateurs il doit y en avoir d'autres. Quand on veut comparer deux prisons, on ne se contente pas d'aligner les effectifs incarcérés : on regarde aussi ce qui se passe au plan démo-géographique (densité), médical (niveau de santé), au plan de l'organisation disons la vie en taule, la durée des peines, la population des gardiens, les incidents, les suicides, le parcours des prisonniers une fois libérés. Ca fait tout un tas d'éléments mesurables et certainement mesurés, qui permettraient de comparer un peu plus finement. On me dira que c'est pas le sujet, et on aura raison. Je trouve simplement que cette sortie ultra-rapide sur les deux prisons qui sont semblables, c'est un peu lège. Cet homme qui semble tout savoir, est-ce que par hasard il ne parlerait pas un tout petit peu vite parfois ? Ce je-sais-tout, sait-il vraiment tout ?
- Enfin juste avant la chronique de Meyer, la première partie se conclut ainsi : que Strauss-Kahn plaide un rapport sexuel consenti et ça reviendra à reconnaitre que pendant 3 jours il a menti. Ah bon ? Sauf que quelques minutes plus tôt, Pierrat lui-même nous a dit que DSK n'avait pas pu s'exprimer. Qu'on n'avait aucune parole de lui depuis son arrestation ? Soit j'ai loupé quelque chose, soit Pierrat va trop vite. Et comme il va très vite, à ce moment précis de l'émission, ma confiance en lui déjà pas bien flambante, est en chute libre.
Entendons-nous bien : quoique le personnage me soit terriblement antipathique comme tous les tchatcheurs dotés d'un super-brio, ici ça n'est pas à lui que je m'en prends mais à Voinchet qui gobe tout ce qui se dit, et se montre plus pressé de placer ses incises lourdingues que d'aider l'auditeur à ne pas se laisser embobiner. Je sors de cette première partie avec le sentiment d'avoir entendu un embobineur doué. Je suis désolé vraiment de préférer la clarté et la vérité au talent des parleurs, et encore plus désolé que France Culture ne m'aide pas à y voir clair parce que parfois dans la matinale on y donne la préférence aux seconds.
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