Viper’s dream de Jake Lamar
Réalisation : Laurence Courtois
Avec : Tony Harrisson, Andréa Schieffer, Charif Ghattas, Cyril Guéi, Bénédicte Mbemba, Bruno Henry, Eric Vincent , Sorisso, Alex Fondja, Antoine Doignon
Et les musiciens : Edouard Pennes, David Grebil, Malo Mazurié, Bastien Brison
Bruitage : Sophie Bissantz
Prise de son, montage et mixage : Eric Boisset, Pierre Henry
Assistante à la réalisation : Manon Dubus
Jake Lamar est un auteur américain vivant en France. Sa spécialité, le polar.
Son dernier récit est écrit pour la radio. Il sortira prochainement sous la forme d'un roman.
L’histoire commence en 1961. Clyde Morton, dit Viper, vient de tuer pour la troisième fois de sa vie. Il est recueilli par la baronne Pannonica de Koenigswarter, protectrice des jazzmen.
Alors Viper va faire défiler son passé. Musicien raté, il va vite intégrer la pègre.
Mélange de réalité (la baronne, Monk...) et de fiction, ce polar est construit sur le principe somme toute classique du flashback où nous allons progressivement revivre les différents meurtres de Viper.
La vie d’un petit trafiquant d'herbe de 1936 à 1961. Les ouvertures de clubs, les trafics de marijuana, puis d'héroïne, les quelques meurtres, les filles faciles...
Personnages sans véritable épaisseur, histoire qui enfile les clichés à la pelle.
Les "portraits", terme excessif, de musiciens sont limités à des caricatures qui les réduisent à leur statut de drogués et d'ambianceurs de clubs. L'histoire de la musique importe peu, de toute façon elle est résumée par un texte tout droit sorti d’un dictionnaire du jazz.
Concernant les jazzmen, l’auteur les saupoudre dans le décor comme des éléments exotiques, ils ne font que passer et on débite sur eux des bouts de biographie sans même prendre le soin d’effectuer un travail d’écriture quelconque.
Un exemple parmi tant d'autres (7ème épisode) : [son mp3="https://media.radiofrance-podcast.net/podcast09/13026-13.03.2019-ITEMA_22007047-0.mp3" debut="01:40" fin="03:04"]
Autre exemple, ouverture du premier épisode, un bout de biographie de Pannonica : [son mp3="https://media.radiofrance-podcast.net/podcast09/13026-04.03.2019-ITEMA_21998533-0.mp3" debut="00:40" fin="01:50"] etc...
Un conseiller musical est crédité au générique, alors que les enregistrements qui défilent durant la série se retrouvent sur des compilations de type « Les 100 meilleurs morceaux de jazz pour les nuls », ce qui ne met pas en cause la qualité réelle de bon nombre de musiques choisies, mais la culture musicale des employés de la station.
Un anachronisme malheureux dans le premier épisode : non, les 33 tours n’existaient pas dans les années 20 et 30 (15ème minute). On tournait en 78 tours, et ceci jusqu’en 1945, mais c’est vraiment dans les années 50 que le 33 prend son envol. On dira que c'est un détail, que la plupart des auditeurs n'en ont rien à faire. Mais pour une série qui se vante d'être documentée, c'est un peu dommage.
Et puis si on suit ce raisonnement on peut empiler les anachronismes en tablant sur l'ignorance des auditeurs. Ce qui est un indicateur de la haute idée que l'on se fait de ce dit auditeur.
La musique : Il faut aborder le problème de l’utilisation de la musique dans une dramatique radio. Le problème est un peu le même au cinéma.
En fait, c’est très simple. Lorsque dans une scène dialoguée vous avez une bande son contenant une musique de qualité supérieure en "tapis sonore", qu’écoutez-vous ?
Dans un dialogue, si l’on vous passe une pièce de Charlie Parker ou de Duke Ellington, et qu’en plus le réalisateur le met au même niveau sonore que les dialogues, l’oreille est tiraillée forcément, entre le besoin d’écouter le dialogue afin de suivre l’histoire, et l’envie irrésistible de suivre la musique.
En écoutant ce dialogue, les oreilles sont atteintes de "strabisme auditif". Écouter le dialogue ou "So What" de Miles Davis (= compilation "Le jazz pour les nuls", ce qui n'empêche que le morceau est superbe) [son mp3="https://media.radiofrance-podcast.net/podcast09/13026-15.03.2019-ITEMA_22009162-0.mp3" debut="02:17" fin="04:00"] La musique est un tapis décoratif, et rien d'autre. Les exemples abondent...
C'est pour cela que la musique originale employée ici est plus pertinente.
Au cinéma, un réalisateur va utiliser la musique, en contrepoint ou complément du dialogue, ou de l'image, la musique étant intégrée, et non superposée platement, à la bande son et à l'image.
Quant à Scorsese et son utilisation massive dans certains de ses films de musiques existantes, marquées par leur époque, il est en quelque sorte le modèle de ce feuilleton, revendiqué par sa réalisatrice (voir
Téléram'). Passons sur le fait que la fiction radiophonique à France Culture se contente d'être à la remorque du cinéma, sans essayer d'avoir un langage plus original. Chez Scorsese, cette musique peut être au devant de la scène, accaparer une bonne partie de la bande son mais elle joue en quelque sorte le rôle de narrateur qui va aussi donner du rythme au récit.
Pour en revenir à Viper’s Dream, cette plate superposition de la musique sur les dialogues, outre qu’elle ignore complètement le problème soulevé plus haut, considère finalement le jazz comme une musique d’ameublement, ou pour le dire franchement, une musique d’ascenseur. Pour faire "jazz". Une scène romantique ? On passe un solo langoureux de Johnny Hodges en fond pour les auditeurs qui n'auraient pas compris.
Les acteurs : Leurs voix sont un peu "vertes", sans grand caractère, comme souvent dans les fictions actuelles de France Culture. De plus, l'argot ne leur est manifestement pas naturel.
Ils n’ont pas la voix de leurs personnages. De petits gangsters ne peuvent parler d’une manière aussi appliquée, aussi articulée. Et lorsqu’ils parlent anglais, "it’s not english, it’s Wall Street English".
Les dialogues sont parfois curieux, les personnages se rappellent leur nom à chaque réplique, peut-être pour que l’auditeur ne se perde pas. Pas d'inquiétude, aucun risque.
Dans le passage suivant, nous ne ferons pas de commentaire supplémentaire sur le manque de naturel de l'interprétation et nous compterons pas moins de cinq fois "Clyde" et cinq fois "Yoyo" (pour Yolanda) dans la bouche des personnages. En deux minutes.
[son mp3="https://media.radiofrance-podcast.net/podcast09/13026-12.03.2019-ITEMA_22006125-0.mp3" debut="04:49" fin="06:56"] Et là aussi les exemples abondent.
On notera dans les dialogues l'empilement de lieux communs.
La révélation finale, qui concerne la nature du dernier meurtre, ne provoque chez l'auditeur qu'une surprise mesurée.
Chez les personnages aussi, alors tout va bien.