À propos du
post 274 Lvstvcrv(https://regardfc.1fr1.net/t452p270-la-fiction-a-france-culture#31351) a écrit: (...) Belle interprétation, effectivement. Et les thèmes musicaux conviennent tout à fait, en nature et qualité, à l'"ambiance" de la pièce (mais sur quels critères ? difficile de préciser !).
Deux réserves cependant.
- La plus gênante : l'accompagnement musical en arrière-plan de la parole des acteurs : une hérésie qui gâche un peu la fête. De la musique entre les scènes ou les actes, entre deux dialogues : à la radio, pourquoi pas, cela meuble intelligemment les blancs. Mais en même temps que les acteurs, cela gêne complètement l'écoute de l'autre musique, plus discrète : celle de Racine, langue et versification, combien précieuse et délicate.
La pièce dure 1h45, les inserts musicaux joués en direct entre les paroles doivent être une demi-douzaine de 30 secondes, soit trois minutes, à vérifier. Les accompagnements musicaux doivent être au nombre d'une douzaine, d’environ 15 secondes, soit trois minutes. Pour laisser une très grande marge, on va dire que sur 1h45, 1h30 est du texte pur. Il faut ne jamais avoir entendu les lectures de France Culture (dans les
Chemins de la philosophie ou ailleurs) lourdement écrasées par des nappages sonores complets pour trouver à redire à ces délicats et rares accompagnements.
Ces deux réserves sont sans doute cohérentes avec votre remarque tellement moderne, malheureusement : le texte serait "on ne peut plus actuel". C'est une maladie des adaptations modernes : ce matin encore France Musique vantait une mise en scène "très actuelle" de la Traviata (par ailleurs très bien interprétée vocalement, d'après l'échantillon diffusé)
Aussi je ne vous conseille pas d'écouter la
Grande table Bérénice, femme actuelle du 29/05/2018 où l'on s'attend à chaque instant à entendre que Titus est un salaud d'homme qui exploite une femme orientale, reine de Palestine, laquelle résiste néanmoins en proto-féministe qu'elle est à l'oppression machiste. Les migrants pointent aussi leur nez. Un peu comme avec Py qui considère qu'Eschylle a anticipé l'Aquarius et Salvini... En passant, si l'on n'aime pas entendre "voilà" conclure chaque bribe de phrase, on n'écoutera pas Mélodie Richard qui jouait le rôle de Bérénice à L’Odéon au printemps.
Ecouter les intermittences du cœur de Racine ou de Proust n'informent en rien sur celles que l'on peut éprouver aujourd'hui (si même on en éprouve encore).
Il n'y a pas de sentiments éternels ou universels. Ecouter Racine ou la Traviata ne nous dit rien sur nous, pas plus qu'assister à du théâtre Nô.
C'est une opinion.
Revenons à l'écoute :
Mais cette écoute doit nous permettre de mieux connaître une autre culture : celle de la France aristocratique du 17°s. Les valeurs morales, sociales ont changé, et les connotations du texte nous échappent totalement
Cette écoute est une réjouissance pour l'oreille et l'esprit. Qui est ce "nous", le pluriel de majesté ?... Personnellement, j'ai lu plusieurs fois
Bérénice dans des éditions annotées avant l'écoute. C'est une possibilité. Mais je ne dirais pas non plus qu'il faille le faire pour écouter cette interprétation de la
Comédie-Française. D'ailleurs, FC s'est bien gardée de mettre un introduction ou de diffuser une interview d'Eric Ruff. On lui sait gré de cette intelligence à considérer que Racine peut s'apprécier en dehors de valeurs morales et sociales datées qu'il faudrait expliquer.
(...) Mais enfin, l'ensemble est assez agréable à écouter, mais doit plutôt nous donner envie de relire la pièce.
"lire", ça fait moins pédant. Enthoven qui n'avait pas lu nombre de livres qu'il commentait nous invitait, sans cesse, à partir de 2004, à "relire" tel ou tel, notamment Proust, considéré par lui comme hilarant à chaque page, ce qui prouve qu'il n'avait pas lu
La Recherche (mais qu'il voulait qu'on achète le volume chez son éditeur).
Enfin, le texte de Racine n'est pas un livre de lecture, mais une pièce de théâtre qui s'apprécie par l'incarnation du verbe.
C'est pourquoi France Culture en diffusant cette interprétation de la
Comédie-Française remplit parfaitement sa mission.