Cavanna 2/5 :
L’engagement écologique au pays des idéologies défuntes. Au début du second entretien, Cavanna fait remarquer à Ludovic Sellier la profusion des questions qui lui sont posées, une manie toujours familière à nombre de producteurs de F.C. :
Ludovic Sellier :
Cavanna, vous connaissez le reproche simpliste qu'on adresse toujours aux écolos. On dit qu'on est écolo par dégoût du progrès. Est-ce que c'est cela qui vous fait écologiste ? Est-ce que vous êtes écolo par haine de la voiture ? Et d'abord est-ce que vous êtes écolo ou environnementaliste ?
Cavanna :
Bon, attendez, si j’ai bien compté il y a quatre questions l’une derrière l’autre. [son mp3="http://franceculture.fr/sites/default/files/sons/2014/06/s26/RF_B77E724E-3ECA-40BD-9EF9-CC850E7D282A_GENE.MP3" debut="00:44" fin="01:15"]
Puis, sans crier gare, survient cet incroyable moment que tout journaliste en herbe devrait archiver pour ne jamais le reproduire, sous peine de se voir infliger un camouflet mémorable :
Sellier :
Dans vos écrits, vous dites par exemple : « On a vu à l’œuvre à Vaison-la-Romaine la boue purificatrice ».Cavanna :
J’ai dit ça ? « La boue purificatrice » ? Ouh. Alors je voudrais le contexte, s’il vous plaît.Sellier :
Vous expliquiez à propos de Vaison-la-Romaine, (…) qu’on avait entouré le fleuve sans respecter ce qu’il était, entouré le fleuve de maisons et que le fleuve a débordé, qu’on n'avait pas fait attention à ce qu’il était, et donc en passant et en tout rasant, il y avait eu une boue purificatrice qui nettoyait finalement cette terre des méfaits des hommes et de ses bêtises.Cavanna :
Ecoutez même si j’avais pensé boue purificatrice, je l’aurais mis entre guillemets. Est-ce qu’il y avait des guillemets ?Sellier :
Ça l’était.
Cavanna :
Alors là mon vieux, vous n’avez pas dit les guillemets. Et c’est ça que je vous reproche. Parce que quand j’ai écrit purificatrice entre guillemets, ça veut dire que je fais parler un autre à ma place. Je fais parler Monsieur Ducon. Hein ? Alors Monsieur Ducon dira « purificatrice ». Voilà, ça y est, fermons la parenthèse.[son mp3="http://franceculture.fr/sites/default/files/sons/2014/06/s26/RF_B77E724E-3ECA-40BD-9EF9-CC850E7D282A_GENE.MP3" debut="10:05" fin="11:09"]
A sa suite, ce deuxième exemple est une dérive gratuite d'un journaliste qui cherche l'étincelle :
Sellier :
L’écologie, l’engagement politique de Cavanna, ça passe aujourd’hui aussi par la défense des animaux et de Brigitte Bardot. Quand vous comparez par exemple la pêche, la chasse, la corrida, finalement quand vous défendez les animaux qu’on massacre dans les abattoirs, les poulets qu’on assassine et que vous comparez tout ça parfois au nazisme, vous n’avez pas l’impression de taper fort ?Cavanna :
Qui a fait ça ? Qui a dit le mot nazisme ? Où ai-je fait ça ? Attention, attention ! Même dans mes emportements, même dans mes colères, je fais très attention à mon vocabulaire. Même si au fond de moi, je pensais qu'il y avait une analogie, je me serais bien gardé de l'écrire, parce que on se serait trop empressé de me le foutre en travers de la gueule.Sellier :
Il n’y a pas de « génocide des poulets » ?Cavanna :
Génocide ? Ça veut dire quoi génocide ? Ça veut dire destruction d’une ethnie. (…)
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Même si, une minute après sa défense, Cavanna se tire une balle dans le pied. Et à ce moment-là, le dialogue change de nature. De journaliste, Ludovic Sellier devient un citoyen qui s'ouvre à Cavanna et aux auditeurs :
Cavanna :
C'est là où Brigitte Bardot a eu beaucoup de mérite, il y a bien longtemps déjà, quand elle a créé son œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs, qui a été je crois son premier acte en faveur des bêtes. Personne n’y avait songé avant elle. Personne ne s’était préoccupé de savoir comment on tuait les bêtes, dans quelles conditions. Or ces conditions sont épouvantables. Ce n’est pas une boucherie, cette horreur oui, c’est horrible, c’est Auschwitz, oui, oui, oui.Sellier :
Non, non, non.Cavanna :
Pourquoi ? On n’a pas le droit ? On n’a pas le doit d’employer ce mot sacré ?Sellier :
Probablement oui.Cavanna :
Ah bon ?Sellier :
Vous pensez qu’on peut comparer des poulets dans une batterie (coupé)
Cavanna :
Pour moi, toute souffrance est dégueulasse, toute.[son mp3="http://franceculture.fr/sites/default/files/sons/2014/06/s26/RF_B77E724E-3ECA-40BD-9EF9-CC850E7D282A_GENE.MP3" debut="13:14" fin="14:28"]
Le combat vire à la guerre de mots. Puis, le journaliste n’hésite pas à reprendre Cavanna quand celui-ci emploie un mot à la place d’un autre.
Cavanna :
J’en ai discuté d’ailleurs avec des gars médecins, spécialisés dans le dépistage du sida et dans le traitement des sidateux (coupé)
Sellier :
Sidéens.
Cavanna :
Je dis ce que je veux. Sidéen, ça me gêne.
Sellier :
Bah, sidateux, ça me gêne.
Cavanna :
Sidateux, ça minimise, ça les rend plus familiers.
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Dans l'exemple ci-dessous, Cavanna use d'une force de persuasion, qui laisserait de marbre un journaliste d'aujourd'hui. A la place de la réponse de Sellier intimidé ou désemparé, un silence aurait probablement prévalu.
Cavanna :
Il y a une campagne d’affichage qui vous dit : « Je suis séropositif, alors tu m’aimes quand même ? » Bah oui mais, qu’est-ce que ça vient foutre ? La réponse est : oui je t’aime, mais garde tes distances. Oui ou merde ?Sellier :
Oui.
Cavanna :
Bon. Alors on se fout de notre gueule (…)
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Autre exemple d'abus d'interprétation rattrapé par Cavanna :
Sellier :
Et si on trouve qu'il y en a trop [des sidéens, dont des hémophiles],
et si on fait un dépistage, et si on découvre qu'il y en a trop, et si on décide que plutôt que de les laisser de liberté, il vaut mieux les enfermer (coupé).
Cavanna :
Attendez, attendez, où vous m'emmenez là ? Je n'ai pas dit ça moi. Je demande simplement s'il est bon, meilleur ou plus mauvais de faire prendre conscience de l'étendue, d'abord individuellement de chacun de savoir où il en est, et puis aussi point de vue statistique, où on en est en France.
Sellier :
Non, je voulais simplement vous faire réagir à cette idée que ce que vous écrivez a une portée qui vous échappe complètement, fatalement, inévitablement.[son mp3="http://franceculture.fr/sites/default/files/sons/2014/06/s26/RF_B77E724E-3ECA-40BD-9EF9-CC850E7D282A_GENE.MP3" debut="22:20" fin="23:16"]
Un dernier affrontement à fleurets mouchetés pour le plaisir :
Cavanna : (…)
la plupart des pin’s
sont fabriqués là-bas [en chine].
Sellier :
En français, on dit : épinglette.
Cavanna :
Oui, mais enfin, je veux être compris là, hélas. [Un temps]
On dit épingle pour traduire pin’s
?Sellier :
On dit épinglette.
Cavanna :
Epinglette ? Ce n’est pas très heureux.
Sellier :
C’est comme sidéens, sidateux, sidaïque. Cavanna :
A partir du moment où d’un mot anglais, on veut franciser, on déconne. Interview est traduit par quoi ? Sellier :
Entretien.Cavanna : (…)
Entretien, oui, là vous avez le mot juste. Je crois bien que c’est la première fois que j’entends interview traduit par entretien. Félicitations.[son mp3="http://franceculture.fr/sites/default/files/sons/2014/06/s26/RF_B77E724E-3ECA-40BD-9EF9-CC850E7D282A_GENE.MP3" debut="26:33" fin="27:12"]
>> Retrouvez ci-dessus la transcription du
1er numéro.
>> Ci-dessous la transcription du
3ème et du
4ème.