Opportuniste, l'excellent numéro de vendredi dernier (c'est le cas de le dire), 30 décembre 2011, m'est un prétexte idéal pour combler cette lacune.
Le thème en était De l’invention de l’algèbre à Descartes, et l'invité Roshdi Rashed, mathématicien, philosophe et historien, entre autre directeur de recherche émérite au CNRS.
La discussion de cette émission tournait autour de la dernière publication de l'invité, D’al-Khwârizmî à Descartes, Etudes sur l’histoire des mathématiques classiques.
Je signale et recommande l'écoute de cette émission car le sujet est passionnant, et traité de façon assez pointue. Il y est bien sûr question de l'apport des mondes arabes et persans, très important, à la discipline mathématique, notamment dans celui capital de la construction de l'algèbre. Algèbre qui va permettre une reformulation de nombreux problèmes dans un nouveau langage très général, et l'élaboration de techniques aux multiples applications.
Les avancées réelles faites par ce monde arabo-persan, qui s'empare de la technique grecque, et qui est irriguée des apports indiens, sont parfois questionnées, quelquefois niées. De façon très controversée dans le fameux "Aristote au Mont-Saint-Michel", mais l'on entend aussi de temps en temps ces positions, au micro de Finkie (je me rappelle au moins Rémi Brague là-dessus), ou dans la bouche d'un Max Gallo par exemple. On entend aussi, il faut bien le dire, toutes sorte d'exagérations en sens inverse.
La cure de rigueur et de précision, purgée de toute idéologie, est à ce propos un bon anti-émétique. Expliquant notamment que le célèbre fondateur de l'algèbre était lui-même techniquement bien moins agile qu'un Diophante, pourtant de 500 ans son ainé, mais que la radicalité de sa méthode, l'introduction d'une inconnue abstraite, et surtout les avancées de ses continuateurs, al- Karaji, al-Mahâni et de nombreux autres, qui dotèrent l'algèbre des opérations de l'arithmétique puis en appliquèrent les principes à la géométrie, furent de décisifs précurseurs des travaux entre autres de Viete, Descartes ou Fermat.
Quoi qu'il en soit, l'émission, bref aperçu du livre de l'auteur, réussit largement à donner l'envie de le lire.
Sur le style d'entretien, Abdelwahab Meddeb est, je trouve, un très bon questionneur, il ne recule pas devant les difficultés et invite ses invités à préciser les points durs de leur propos. J'aime également l'ambiance et la respiration de ses émissions. Mais ses reformulations sont souvent peu claires, ses longues digressions paraissent chercher volontairement les termes les plus abscons à disposition.
Également, ressemblant en cela à Enthoven, il saute sur la plupart des occasions de faire montre de ses larges connaissances, au prix souvent d'interruptions abruptes de l'invité. Celui du jour semblait d'une grande humilité, ce qui s'accordait bien avec ce dernier trait de Meddeb, et dont les relances, plutôt bienvenues, tiennent d'un métier bien maîtrisé. Ça n'en est pas moins un tropisme un brin fatiguant.
Mais pas de fine bouche avec le genre de sujet, on en redemande !
(*) Lâcher la basse source de cette formulation, piquée à Brassens, en coûterait trop à la bienséance du forum