surpris a écrit:Ce matin Guillaume Erner interroge Alain Finkielkraut dans
Alain Finkielkraut : 30 ans de Répliques Vendredi 13 novembre 2015.
Après écoute du passage diffusé avant 8h, j'observe que là, finie la fiction d'un Erner poli, qui laisse parler son interlocuteur, qui le respecte même quand il n'en partage visiblement pas les idées.
On tombe, cette fois-ci, à bras raccourcis sur l'invité, on lui coupe grossièrement la parole, on n'écoute plus ! Quand Finkielkraut se plaint qu'on utilise à son propos l'insulte pure (« nauséabond », « putréfaction »), Erner trouve qu'au fond, il s'agissait là peut-être d'une réaction normale à la « violence » des propos de Finkielkraut (oui oui, Erner, a bien employé le terme « normal » à propos de ces insultes...). [il faut décidément que je me renseigne sur l'usage des pastilles]. Pourtant, si l'on peut être d'accord ou pas avec telle ou telle idée de Finkielkraut, une chose est sûre : il présente ces idées avec courtoisie et à mille lieues de l'insulte. Et lui, au moins, dans son émission, laisse parler ses invités (un des rares à le faire avec Philippe Meyer).
Ce non-dialogue avec Erner a dû rappeler quelques mauvais souvenirs à Finkielkraut : ceux de ses passages sur Inter face à Demorand. Même voix, même arrogance auto-satisfaite, même façon de claironner ses vacheries. Consolation : d'entrée de jeu Finkielkraut a tout de même pu stigmatiser Thierry Pech qui dimanche dernier lui avait envoyé un petit seau de merde depuis le micro de
L'esprit public.
Eh oui, au fil des semaines, elle ne cesse de rétrécir au lavage, la fiction d'un Erner toujours porteur de l'ethos du sociologue. Certes il avait fait preuve d'une grande courtoisie en face de Chevènement, homme de gauche. Certes pour déglinguer Gaymard homme-de-droite, il avait fait appel au porte-flingue Yvan Jablonka en lui déléguant deux missions : torpiller le livre de l'invité, et le disqualifier en tant que personne. Jablonka d'ailleurs s'en était bien tiré, dans la double veine a) "vous avez tout à fait le droit d'écrire ce que vous voulez" ; mais enfin tout de même b) "vous instrumentalisez l'histoire". J'aimerais bien savoir qui, des politiciens et des essayistes engagés, n'instrumentalise pas l'histoire. Jablonka lui-même dont les travaux ne laisseront peut-être pas une trace bien importante, est-il la caution méthodologique absolue en la matière ? Anyway, c'est toujours un bonheur de s'entendre dire par un opposant "vous avez le droit de....". Cette façon de rappeler à l'autre ses droits est tout à fait usuelle dans la rhétorique des inspecteurs de la pensée. Pech lui-même, maître du genre, sait la manier à l'occasion.
Mais fermons cette parenthèse car ce matin Erner n'a pas délégué : il s'est employé lui-même à savonner la planche de son invité. Et en deuxième partie d'émission il a réussi à coincer Finkielkraut sur une bourde, alors que ce dernier qui manque singulièrement de combativité, n'avait pas eu le punch ou le mauvais gout de relever celles de son collègue dans les premières minutes de la rencontre. Aneffet Finkie s'est embourbé sur l'après-massacre du début de l'année et Erner a saisi l'occasion pour s'accrocher à son bas de pantalon : "Qui, qui qui ?? Dites moi qui, donnez-moi des exemples !!!! Arf arf agrrôôôô... ". Tandis que dans les 10 premières minutes alors qu'Erner multipliait lui-même les erreurs, Finkielkraut n'étant pas venu là pour une discussion entre chiffonniers, le laissait envoyer ses piques sans les relever avec l'indignation qu'elles méritaient, comme le montrent ces exemples :
- Des positions "très violentes", dit Erner ici : [son mp3="https://cdn.radiofrance.fr/s3/cruiser-production/static/culture/sons/2015/11/s46/NET_FC_17bfa19e-17b9-4c5b-aff1-73ede5468ac3.mp3" debut="75:00" fin="75:30"]
- Vous faites la même chose que Thierry Pech : [son mp3="https://cdn.radiofrance.fr/s3/cruiser-production/static/culture/sons/2015/11/s46/NET_FC_17bfa19e-17b9-4c5b-aff1-73ede5468ac3.mp3" debut="75:45" fin="76:15"] (noter l'euphorie d'Erner sûr de tenir un bon coup, euphorie ici très perceptible dans le ton de la voix)
- "Mais si vous venez de le dire" en pointant quelque chose que Finkielkraut, précisément, n'a pas dit : [son mp3="https://cdn.radiofrance.fr/s3/cruiser-production/static/culture/sons/2015/11/s46/NET_FC_17bfa19e-17b9-4c5b-aff1-73ede5468ac3.mp3" debut="78:00" fin="78:25"]
En face, Finkielkraut n'aura à présenter que sa plainte d'être harcelé par ce qu'il appelle le progressisme mainstream, comme "surprise que nous réserve notre temps".
Résumons : au critère de la combativité, Erner gagne la partie et de loin. Par contre, pour la qualité rhétorique il s'enfonce tout seul. En gros le piège qu'il avait bricolé pour attraper son Finkie dès la première mi-temps afin de le livrer tout cru aux érinyes pendant la pause se résumait à "Vous faites vous même ce que vous reprochez aux autres". Finkielkraut n'est visiblement pas un polémiste de la forme, sinon il aurait pu explicitement renâcler devant l'usage récurrent d'un procédé à peine plus évolué que le trick de cour d'école "c'est toi qui le dis mais c'est toi qui n'y es !!", dont voici encore un exemple [son mp3="https://cdn.radiofrance.fr/s3/cruiser-production/static/culture/sons/2015/11/s46/NET_FC_17bfa19e-17b9-4c5b-aff1-73ede5468ac3.mp3" debut="79:55" fin="80:30"]. Et tout autant il aurait pu s'étonner explicitement de se voir opposer comme seules preuves à charge des extraits tirés d'un seul de ses livres et parmi les plus anciens encore. Quel dommage tout de même qu'un type aussi nul en sciences sociales que l'est Finkielkraut puisse produire une analyse personnelle au nez et à la barbe d'un doctoré en sociologie qui au fil des semaines se spécialise dans la promotion d'une bouillie prédigérée, idéologiquement partisane. Et nous on s'étonnera de moins en moins maintenant que le glaçon de la neutralité a fondu sur le brasero idéologique maison, on ne s'étonnera plus de constater que quand il ne sort pas ses citations de Weber et quand il renonce à embaucher un porte-flingue pour dézinguer l'ennemi, franchement au plan intellectuel Guillaume Erner ne pisse pas bien loin.