L’opération commando Proust continue. De force, à coups de marteau, Proust doit rentrer dans la grille pour que la com’ soit parfaite et qu’une farandole de podcasts Proust défile devant nos oreilles atterrées.
Suite donc, avec une nouvelle productrice, qui aborde Proust sous un angle nouveau :
l’angle mort.
Elle avoue d’entrée qu’elle n’a jamais compris que pouic à Proust, ce machin long et illisible.
Opération Proust avec plein de producteurs qui ne l’ont pas lu. Cela se passe de commentaire mais en fait on va en faire quand même.
L'ignorance avouée fait partie du plan com’. Le producteur l'avoue pour montrer qu’il est au même niveau que l’auditeur, qui, je le rappelle, est supposé être ignorant, sortant de l’œuf, sorte de sous-Candide ultra con.
« Je dois ici faire un aveu… Je n’ai jamais lu Marcel Proust. Ou plutôt, je n’ai jamais réussi à lire Proust. Trop long, trop aride, trop difficile. Et finalement, je suis bien loin d’être seule à éprouver cette difficulté. »La littérature, ce sont deux choses : le pognon et les prix. Et alors que pendant des décennies l’obtention du Goncourt par Proust a été grosso & modo le cadet des soucis de tout lecteur, le prix revient au devant de la scène, parce qu’à part les prix et le pognon, que voulez-vous dire quand on ne l’a pas lu ?
Comment faire une émission quand on n’a pas lu le sujet dont au sujet duquel il est question. Simple :
La Recherche est un fait social total, et plus que le texte qu’on comprend pas, il reste la marque Proust, label de qualité d’une gamme de produits dérivés ma foi plus compréhensibles que le produit de base.
«
Comment des lors (sick)
expliquer cette passion pour l’écrivain, devenu icone (sick)
, alors même qu’il est peu lu ? Qui sont aujourd’hui les aficionados du prix Goncourt 1919 ? »1919, c’est ultra vintage ! Comment peut-on lire un truc aussi antédiluvien ?
Que penser alors des lecteurs de Chrétien de Troyes ? D’Homère ? Mais qui les lit ces vieux machins ?
La beauté d’une œuvre ne se mesure pas à ses chiffres de vente. La littérature n’est pas une épicerie, contrairement à ce que l’on entend toute la semaine dans les multiples émissions promo de la chaîne.
Quand on pense au tollé qui avait suivi le traitement empreint de beaufitude subi par
La Princesse de Clèves…
Mais qui lit
La Princesse de Clèves ? Hein ? Qui ? Des noms ! Vite !
Sur France Turtucucutre, on cire les pompes de livres mal fichus, bourrés de clichés, qui viennent de sortir et qu’il faut vendre. Business business.
Mais
La Recherche, elle, est supposée être illisible.
La direction de la chaîne a claironné qu’elle voulait faire dans le « pédagogique ». En avouant tout de suite que le livre qui va faire l’objet d’une opération commando spécial est illisible, c’est sûr que les auditeurs qui n’ont pas lu
La Recherche vont se jeter dessus, LOL.
Alain Proust ? Du sous Marcel Ernaux, rien de plus.
Alors qu’en fait,
La Recherche est tout sauf illisible. Mais quand on ne s’intéresse pas à l'art, à la littérature, mais uniquement à la popolitique et au sociétal, la lecture de Proust est tout simplement inenvisageable.
Faire de la pédagogie aurait consisté à rendre accessible l’œuvre de Proust, mais comment voulez-vous rendre accessible une œuvre qui vous gonfle au plus haut point, à tel point que vous ne l’avez pas lue ?
« Peut-on faire découvrir, et aimer cette littérature, notamment aux plus jeunes, quand le temps dévolu à la lecture s’amenuise génération après génération ? » s’interroge mollement la productrice qui n’a pas lu
La Recherche.
La réponse est une énième émission qui invite les auditeurs à se baigner dans le doux bain de l’inculture. Finalement, si on y réfléchit deux secondes, à part respirer, manger, aller au petit coin et dormir au chaud, de quoi a-t-on vraiment besoin ? A-t-on besoin de s'emmerder à lire Proust ?
Cette émission sociologique qui fait de Proust un artiste vintage dont il faut acquérir les produits dérivés (madeleines, expos, livres de sociologie) fait suite à un reportage de la rédaction qui allait dans le même sens, intitulé
« Qu'on le lise ou pas, 100 ans après sa mort, Marcel Proust fascine toujours »La rédaction nous joue donc Fascination avec « c’est pas une lecture facile », et le fameux effet « début de siècle », moulinades clichetonnantes autour du « c’était mieux avant ».
Le reportage donne la parole à ceux qui sont les mieux placés pour causer :
« Nombreux sont ceux qui ont tenté de lire À la recherche du temps perdu sans jamais en atteindre la fin. "J'ai déjà essayé de lire Marcel Proust mais je ne suis jamais allée au bout", sourit Solange. » La suite est du même tonneau, et dérive vite vers une pub même pas déguisée pour un entrepreneur qui fait son beurre avec le commerce de madeleines, qu’il a eu l’ingénieuse idée d’appeler « madeleines de Proust ».
« En plus d'être une icône littéraire, Marcel Proust se révèle être un ambassadeur de la madeleine, produit qui s'exporte très bien aux États-Unis et au Japon où l'on compte de nombreux fans de l'écrivain. La "madeleine de Proust" est d'ailleurs la plus recherchée sur internet. »Business & fétichisme. Conclusion du reportage :
« À chaque fois que l'écrivain est venu à Cabourg, il dormait au Grand Hôtel. Aujourd'hui, la chambre 414 lui est dédiée. À 380 euros la nuit, elle est réservée près de 300 nuits par an. »« Comment (...) expliquer cette passion pour l’écrivain, devenu icone (re-sick)
, alors même qu’il est peu lu ? »Question débile. Je l’ai reproduite deux fois pour mettre vos nerfs à l’épreuve.
En tout cas, la réponse que nous offre la radio culturelle (culturelle, dingue non ?) est simple : soyez passionnés, bande de moutons, mais surtout, vous cassez pas la tête à lire ce pavé illisible, achetez plutôt le livre de notre sociologue de la lecture invitée, achetez des madeleines, allez à l’expo du moment, allez dépenser votre pèze à Cabourg.
Cassez votre tirelire, mais surtout ne lisez pas Proust, c’est trop long et trop chiant.
Suivez les conseils éclairés des producteurs de France Tructrucucure.