Salut à tous les trois dans ce fil qui démarre sur roue arrière.
J'ai été moins enthousiaste qu'Agathe, mais moins sévère que Phil. En premier lieu, bien du mal à encaisser l'émotionnite de Finkie, qui devrait travailler ses accents, notamment réduire ses syllabes d'attaque (victime d'un renforcement dû à la présence de Lucchini ?) ; mais j'ai encore plus de mal avec le mélange de joie mauvaise et de méchanceté hystérique de Lucchini quand il s'envole avec sa mitrailleuse embarquée pour changer en passoire des ennemis un peu imaginaires, et qu'il ne se hasarderait pas à conceptualiser. La-dessus aucun des deux ne se fatigue vraiment, il faut dire que le tableau moyen du bo-botisme parisien leur fournit une cible facile. Trop facile, peut-être ? Oui. Excessif, vraiment ? C'est à voir.
Car il y a quelque chose d'instructif dans l'affrontement de ces deux morales : les branchés progressistes ici décrits comme un troupeau occupé à beugler sans risque contre une morale traditionnelle dépassée (leur gros fantasme), voient leur concert troublé par quelques sons de cloche dissonants. Mais n'oublions pas que les deux râleurs de cette émission se trouvent minoritaires dans le monde artistique et intellectuel, où il est de bon ton et de bon teint de se la jouer moral & prop-sur-soi, sans trop prendre de risques. C'est plutôt à cette industrie de la posture que s'en prennent Finkie et Lucchini.
Cela dit, comme Finkie je ne peux lire Murray qu'à petites doses, non parce qu'il est exclusivement satirique, bien plus parce que je ne le trouve pas si bon écrivain que ça. Pourtant je reviens régulièrement à son "Empire du bien" qu'il avait édité chez les Iconoclastes en 1991. Si je reprends les 2 chapitres "Trémolo business" et "Tartuffe", je constate qu'ils sont d'autant plus utiles ... qu'ils sont minoritaires. Je ne les crois pas si proches de la morale moyenne traditionnelle et à courte vue, si tant est que cette chose existe. Et ils résument bien l'essentiel des agacements que je partage avec nos deux dialogueurs de ce samedi-là.
Quant à la bien-pensance, comme d'autres clichés elle mérite peut-être analyse, et même si c'est une tarte à la crème rhétorique, car elle me semble pour cette fois, du bon côté. Corrigez-moi si je me trompe, mais elle me semble avoir été introduite dans le débat récent, précisément par la collection Iconoclastes, en 1990. Ensuite de quoi la bien-pensance aurait été reprise par ceux-là mêmes qui étaient visés. De là une généralisation de son usage, et la perte de sens. Mais le qualificatif perd-il toute valeur, d'être repris en trick rhétorique par tous et par chacun se jetant à la tête le même reproche, mais appuyé sur des convictions qui n'ont aucun point commun ? Au contraire il est plus utile que jamais, non pour fustiger les modes du Paris de Delanoë, ni pour débiter comme ce samedi-là de l'intolérance contre ce qu'ils disent être la bétise, mais pour réagir à l'agressivité idéologique. N'oublions pas comment les choses ont commencé : depuis 35 ans Finkie critique la société telle qu'il la perçoit, en essayiste et non en sociologue, ce qu'il n'est pas en effet (et ça crève les yeux), d'ailleurs il ne prétend pas l'être. S'il n'avait pas été aussi assidûment agressé de façon personnelle, il n'aurait probablement pas retourné sa hargne contre la confrérie des grandes gueules. Sa position d'intellectuel indépendant devient difficile à tenir quand, alors qu'il met en doute une thèse où il discerne une pétition de principe ou un préjugé idéologique, il reçoit en réponse de l'attaque personnelle à seule fin de le disqualifier, mais sans rapport avec le fond du sujet. Ce trick déloyal, les idéologues et les petits soldats de l'intelligentsia ne s'en privent pas. En conséquence il est plus souvent "qualifié de ..." que contredit sur le fond. A cet égard, le dialogue que Ronny Brauman et Finkie ont réussi à renouer est un bel exemple de rétablissement après crise. Mais quand il se trouve face à Demorand qui lui demande 3 fois en 2 minutes "êtes-vous devenu un homme de droite ?", disons qu'à terme, la tentation est de répondre autrement que par la raison. C'est un piège que Finkie ne parvient pas ou plus à éviter. Pour cette raison aussi, la lassitude des combats qui ne mènent nulle part, il avait annoncé récemment qu'il ne voulait plus se flinguer la santé en polémiques hargneuses. Ça serait bien s'il re-déséquilibrait Répliques pour y pousser la proportion de sujets culturels à 75 ou 80%. Du coup, j'ai bien apprécié celui d'hier que j'ai pris en route (sur Chesterton polémiste).
Cela dit, il y en a des tartes à la crème, sur FC. Pas tant de celles qu'envoient les gloupiers, mais des scies argumentaires de penseurs qui ne se foulent pas, de Gallo à Bourmeau en passant par Munier, Clarini, même Veinstein. Il y en a tellement que la chaine est soit un thermomètre de l'intelligentsia et si c'est vrai alors c'est dramatique (heureusement, ça reste à démontrer), soit un petit univers fermé sur lui, et aussi fiable qu'un journal d'opinion. Dans les deux cas, elle ne manque pas de servir chaque jour et presque à chaque heure sa ration d'articles obligés, et là de quoi faire un beau catalogue d'idées reçues : niaiserie idéologique, clichés rhétoriques, moraline à deux ronds. L'erreur serait de croire que ce théâtre bruyant résume la vie des idées, qui a bien d'autres pièces à nous proposer. Après tout, les deux hystéries de samedi (accents émotionnels du producteur, jubilation excitée de l'acteur) ne sont là qu'en réaction. Je ne crois pas que ça suffise à diagnostiquer des réactionnaires, d'ailleurs n'est-ce pas là une autre tarte à la crème ?