Emmanuel Todd est un homme qui a tout pour plaire, c’est un bel esprit, original, éloquent, vigoureux, quand on entend sa voix dans le poste, on tend l’oreille, quand il donne des conférences, les salles sont pleines à craquer, il est sincère, du moins donne l’impression de l’être, très chaleureux, amusant, c’est un auteur à succès et un théoricien auteur de thèses savantes et décoiffantes sur les systèmes de parenté, censées expliquer sinon tout dans notre société du moins beaucoup de choses.
Le 29 octobre, il venait dans l’émission de Marc Voinchet à l’occasion de la nouvelle édition en poche de son essai
après la démocratie. Il a comme de coutume pratiqué un Sarkozy bashing d’une rare vigueur qui l'a conduit à quelques dérapages.
Emmanuel Todd est plutôt convainquant quand il dit que le président s’est fait élire par les couches les plus âgées de la société, que par voie de conséquence il défavorise les jeunes qui n’ont plus comme seul recours que de descendre dans la rue.
Je le suivrais volontiers quand il s’élève contre la politique anti-immigrés du Président, rassurante pour les couches les plus âgées, effarouchées par les troubles des banlieues et donc rentable électoralement mais c’est quand même lui qui a nommé Fadela Amara pour s’occuper des quartiers à problèmes.
Il parvient à faire passer un réel frisson quand il dit que dans l’état où se trouve la France ses déficiences morales et intellectuelles n’ont pas été des obstacles mais qu’elles l’ont aidé à conquérir le pouvoir. Bigre, il y va fort !
Il n’est pas d’accord avec l’analyse du Monde que le Président a perdu des points dans l’opinion et gagné la bataille politique, c’est ce qu’affirment un certain nombre d’analystes politiques, en particulier Jérôme Jaffré et ça se tient assez bien, il est celui qui aura su dans la tempête tenir la barre, il est possible que les électeurs s’en souviennent, on sait que dans des circonstances analogues, Chirac avait capitulé en rase campagne que les problèmes n’avaient pas été résolus et que notre pays ne s’en était pas trouvé mieux.
Il n’est pas convainquant du tout quand il dit que la réforme des retraites n’a pas de substance, même s’il n’est pas seul à le dire, c’est une idée qui traîne partout, c’est aussi ce que prétendait Marcel Gauchet, manière de botter en touche pour évacuer le problème. Mais ce n’est pas ce que dit Danièle Karniewicz qui sait de quoi elle parle puisqu’elle est présidente de la CNAV, Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse, la dame dit que cette réforme représente la moitié du chemin à parcourir pour combler les déficits, l’autre moitié sera obtenue par une mise à contribution des retraités eux-mêmes.
Il dit que le problème de la France, c’est la déroute de l’appareil industriel, c’est tout à fait vrai, mais la question des retraites et de l’équilibre des comptes sociaux a bien quelque chose à voir avec cette déroute. Les fameuses charges sociales et les intérêts de la dette publique y sont bien pour quelque chose.
Il se moque des propos de Jean-Michel Aphatie qui fait l’éloge de l’attitude des britanniques qui acceptent avec stoïcisme un plan d’austérité très sévère, son argument c’est moi, l’Angleterre, je connais lui il ne connaît pas, son ignorance est abyssale, mais pourquoi les propos de Jean-Michel Aphatie ne sont pas pertinents alors qu’ils semblent bien l’être, il ne prend pas la peine de l’expliquer. C’est l’argument d’autorité et Marc Voinchet décidément pas très réactif ne le relève pas.
Selon lui, le Français auraient compris que s’adapter au modèle ultra-libéral ne servait à rien parce que le néolibéralisme, c’est dépassé. Là, que ce soit de bonne ou de mauvaise foi, il commet une erreur extrêmement courante chez les intellos français, c’est de confondre les règles immémoriales de l’économie et le néolibéralisme qui n’est qu’une exacerbation et une idéologisation sans doute abusive de quelques thèses libérales en soi acceptables. On pourra « dépasser le néo-libéralisme », c’est sans doute largement fait, on ne sera pas dispensé pour autant d’avoir des produits d’assez bonne qualité et assez bon marché pour qu’on puisse les vendre dans un certain nombre de pays.
Quand il s’en prend à la politique extérieure de Sarkozy, il se met à dire absolument n’importe quoi. Il dit que la France s’est mise à dos le monde musulman, et cite comme exemple l’Afghanistan, la Turquie et l’Iran, que le résultat, c’est qu’on avait une mauvaise image dans les pays émergents et qu’on ne pouvait plus vendre une seule centrale ni un seul TGV. Tout ça, c’est du roman. La France ne s’est pas mise à dos les pays musulmans, Afghanistan, Turquie et Iran sont des cas très particuliers, on est copains comme cochons avec les Emirats, on y installe même une base militaire, ce qui est à peine croyable, on va même jusqu’à y implanter le Musée du Louvre et la Sorbonne, excusez du peu. Sarkozy a fait tout ce qu’il a pu pour qu’on soit très bien avec le Brésil et on espère leur vendre les Mirage, espérons que ça ne va pas rater. Avec la Russie, il a plutôt bien tiré son épingle du jeu dans l’affaire géorgienne. L’affaire de l’échec à Abu Dhabi s’explique autrement que par la politique, ce que nous avions à leur proposer ne correspondait pas à leurs besoins. C’est par ailleurs tout à fait faux que la France n’arrive pas à signer de gros contrats.
On peut s’amuser de ce que dit Emmanuel Todd, être séduit par ses analyses décoiffantes et sa causticité décapante, il ne faut surtout pas croire ce que raconte ce gourou du protectionnisme, ses solutions seraient pires que le mal.