Philaunet a écrit: Ce qui me convainc, c'est que vous disiez que cette démonstration ne vous a jamais convaincu. Car je me suis de nouveau rendu compte récemment que les mythologues et les "penseurs des spiritualités" des années 1970 comme Claude Mettra, le conteur, ou Michel Cazenave le jungien explorateur des structures archaïques, que l'on a pu entendre longtemps sur France Culture (les deux ensemble dans cette émission récemment rediffusée le 23 février 2012 : "Le nouvel an et l'éternel retour de Mircea Eliade" - 10 janvier 78 - par Michel Cazenave et Claude Mettra), ceux-là, donc, ont tendance à prendre leurs constructions intellectuelles et leurs phrases poétiques (?) pour des réalités. Je précise que j'aime beaucoup entendre Claude Mettra conter des histoires.
Bonjour à vous - Merci de pardonner ma manie de l'ellipse et mon refus des guillemets d'ironie, que je vais rétablir céans.
La "merveille" était en quelque sorte la trouvaille théorique sur le Carnaval qui structurerait l'année populaire. Le sujet Carnaval a été l'une des 3 ou 4 plus constantes obsessions de Claude Gaignebet. Elle culmina dans une série d'émissions sous la bienveillance d'Agathe Mella et Claude Mettra. Le résultat en fut un volume sobrement intitulé "Le carnaval" et modestement sub-titré "essais de mythologie populaire". Paru chez Payot en 1974 dans la collection "Le regard de l'histoire", le livre est co-signé par Marie-Claude Florentin à qui était due la mise en forme écrite de ce que Mettra qualifie dans sa préface de "pérégrination orale". Quand on a croisé une seule fois Gaignebet ou qu'on l'a seulement vu déconner dans un numéro d'Apostrophes face à Flandrin, on imagine très bien le joyeux bordel qu'il a dû falloir mettre en ordre déjà pour la radio, en suite pour le livre.
Livre foisonnant, aussi inspiré qu'inspirant et qui n'est gère facile à trouver. Sporadiquement apparait un exemplaire dans un rayon de bouquiniste. Il faut le saisir si l'on veut ne pas se trouver condamné à se replier sur la bibli municipale entre deux lardons et 3 mères de famille qui n'auront rien de carnavalesque. Outre le volume 1 du Folklore de Van Gennep, je conseille ces 2 autres lectures :
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Mythologie chrétienne (Philippe Walter) réapparu en 2003 chez Imago, considérablement remanié après la première parution chez Entente.
- Aux origines de Carnaval (Anne Lombard-Jourdan) chez Odile Jacob en 2005, moins acrobatique que Gaignebet elle fait quand même remonter la chose jusqu'à Cernunnos ce qui est tout aussi discutable et tout aussi érudifiant quand on considère le matériau étalé.
A part ça je partage votre scepticisme à la lecture ou à l'écoute de Gaignebet autant que de Cazenave et Mettra sur nombre de sujets. Leur version de l'imaginaire n'est pas celle de LeGoff, et heureusement elle n'est pas non plus celle d'un Maffesoli. De là leurs brillantes constructions (et le Carnaval de Gaignebet en est une) échappent à la fois au délire du second et au sérieux scientifique du premier. Elles peuvent demeurer fortement empreintes de spéculation, et par eux-même présentées comme si c'étaient des conclusions validées. Or ces gens sont tout sauf des Popperiens et ce genre de souci ne les effleure pas ou plus. Le hic, c'est que quiconque est un peu frotté de rigueur méthodologique pourra en concevoir une réelle gène et le leur reprocher. Mais voila : ils en savent énormément, et ils en proposent encore plus, alors c'est au lecteur ou à l'auditeur de disposer. La densité d'érudition ainsi que la grande qualité poétique et intellectuelle du résultat risque de court-circuiter le normal scepticisme qui devrait parfois se faire jour chez le lecteur. En l'occurrence, ici comme ailleurs Gaignebet ordonne et assène un nombre considérables de faits qui ne font pas preuve même si elle tient debout sa construction -vous me direz que c'est bien là le minimum- et en cas de démontage il en resterait toujours une belle tentative. Reste que ce puzzle interprétatif contient à l'appui une telle quantité de faits, qu'il est difficile de le liquider comme une simple délire. J'en dirai de même de Philippe Walter, et de tout le courant de la "mythologie française". La-dessus je regrette de n'avoir rien trouvé de clairement exprimé de la part de Nicole Belmont sinon son franc scepticisme mais c'était à une époque où tout ce qui citait Dontenville était encore bien marginalisé. Je suppose que des Jean-Claude Schmitt ou même Claude Lecouteux ont un avis nuancé sur la question. Bref il y a de quoi faire un débat dans La Fabrique, dans la 4eme partie d'une semaine consacrée au carnaval.
Malgré mon scepticisme j'aime beaucoup entendre -et voir- Mettra non seulement comme lecteur ou conteur, mais comme auteur de documents radio et télé. C'est de la bien plaisante littérature et toute emplie de savoirs, mais aussi belle et sympathique soit-elle on y cherche en vain les signes d'une méthode qui permettrait de classer le résultat dans la connaissance scientifique. Là où un Flandrin ou bien un Michel Pastoureau ont réussi leur coup parce qu'ils s'appuient sur du concret et limitent leur sujet, nos lascars sont plutôt des explorateurs et des poètes, tous ces gens sont finalement des sortes de symbolistes qui approchent la vérité d'une autre façon sur nombre de sujets qu'on reste en droit de trouver douteux sinon assez vaseux par endroits.