Malgré des atouts indéniables dont le métier (certain) et la bonne volonté (évidente), la Fabrique de l'histoire est à bout de souffle, à la fois épuisée et épuisante. Elle ne cherche même plus à masquer son affiliation au paradigme idéologique de la maison. Or que nous dit ce paradigme ? Que tout ce qui est efficacité, profit, gain, modernité ne peut être que moralement condamnable, car antagoniste de la sacro-sainte écologie décroissante, seule politique acceptable comme chacun sait puisque sans elle l'Homme n'a pas d'avenir.
En application de ce credo, voici la thématique de la semaine dernière (16 au 19 février) : le progrès. Sujet historique s'il en est, mais l'équipe d'Emmanuel Laurentin saura en faire un sujet exclusivement idéologique. Qu'est-ce que le progrès ? Comment le définir ? Quelle est son existence objective ? Quelles en sont les implications idéologiques ? Comment évoluent les mentalités sous l'effet du progrès ? Quelles forces sont en jeu : forces sociales, morales, politiques ? Soyez tranquilles braves gens, vous ne saurez rien de tout ça car nos idéologues de France Culture ont choisi d'organiser à leur façon la problématique du progrès en 4 épisodes. Accrochez-vous, le programme est du niveau d'un "Tout l'univers" de la pensée alter. Les 4 sujets dans l'ordre de leur diffusion :
- Lundi : Thomas Edison, l'inventeur qui pratiquait le spiritisme.
- Mardi : Le Dr Voronoff qui expérimenta la greffe de testicules de chimpanzés sur l'homme.
- Mercredi : Jean Nocher l'Orson Welles du pauvre, viré de la radio après un canular radiophonique, puis essayiste et pamphlétaire à la fois utopiste et alarmiste, unique auteur d'une feuille de chou "Le pamphlet atomique"
- Après ces trois regards parfaitement neutres qui représentent le progrès dans toute sa vérité, voici le Jeudi et pour redoubler de neutralité nos historiens vont se pencher sur la contestation du progrès, "que les technophiles présentent comme inéluctable". Notez bien cette conclusion de la présentation, qui sous-entend a) qu'il existe des technophiles ; et b) qu'ils vous manipulent. Le mot inéluctable est ici à prendre au sens implicite de "non désirable mais imposé par l'ordre des choses". Au rendez-vous, l'inévitable condamnation des "dominants", ceux qui veulent vous forcer à assimiler le progrès, ils sont vos maitres car les organisateurs de l'esclavage industriel. Ironie : ce débat comme le reste de la semaine est piloté par des enfants gâtés du monde moderne, les militants rousseauistes qui ont la main sur le programme de France Culture sans toutefois se priver de chérir les gadgets techniques qui font d'eux les dominants dans la lower-intelligentsia urbaine.
4 épisodes qu'on peut résumer ainsi :
- portrait en obscurantiste de celui qui fut le plus grand détenteur de brevets de l'époque moderne
- portrait d'un grand médecin (donc homme de progrès merci de suivre) qui proposait de vous greffer des couilles de singe pour vous rendre la jeunesse
- portrait d'un pamphlétaire excité et farfelu, prophète de l'ère atomique à l'esprit gourmand d'anticipation
- discussion à sens unique, valorisant les critiques du progrès depuis la révolution industrielle. Les 3 auteurs invités présenteront le progrès comme une idéologie et comme une croyance collective, sans laisser supposer un instant qu'il puisse avoir une part concrète, objective. Sans non plus laisser entrevoir que le refus du progrès puisse être son pendant idéologique, comme un obscurantisme qui répondrait à un autre obscurantisme ? Mais non même pas : il n'y a que l'idéologie du progrès, et à France Culture il n'y a pas de paradigme idéologique, tout au plus il y a des gens qui vous alarment contre le soi-disant-progrès, au motif les plus divers : dérive capitaliste, dégâts environnementaux.
Il faut lire sur le site de France Culture les 4 présentations écrites de ces 4 numéros : chacune est en soi une mini-charge contre l'esprit de progrès. Les personnalités ont été bien choisies et comme si ça ne suffisait pas, elles seront présentées comme des loufoques. Mais diable, pourquoi Voronoff et pas Bogomoletz ? Pourquoi Jean Nocher plutôt que Jules Verne ? Pourquoi Edison et pas Steve Jobs ? Heureusement pour rétablir l'équilibre voici 3 intellectuels de notre temps, sérieux, mesurés, lucides. En 4e journée il n'y avait donc plus qu'à donner le coup de grâce aux technophiles (pouah !) sans même évoquer l'existence d'une technophobie idéologique ? Et pourquoi en 4 émissions sur le progrès n'entendra-t-on parler à aucun moment de niveau de vie, ni d'espérance de vie, ni de confort ni de loisirs, ni de recherche scientifique, ni de connaissance, ni d'instruction, ni du recul des maladies ou de la violence ?
A ces questions la réponse tient en quelques mots ou plutôt en quelques formules : France Culture + Paradigme idéologique + Bourrage de crâne + Foutage de gueule. Cette semaine déplorable montre que la relation entre les 4 formules est à l'occasion parfaitement synonymique.
Dernière édition par Nessie le Sam 28 Fév 2015, 11:20, édité 6 fois