Samedi dernier (29 mai) dans un format réduit à 30 minutes pour cause d’émission spéciale, Michel Ciment accueille Dominique Noguez pour une discussion sympathique et amicale. Le livre de Noguez ("Cinéma &") ne porte pas exclusivement sur le cinéma expérimental, mais c’est bien à lui que la conversation réservera la plus grande part.
En début de dialogue Noguez raconte comment, alors qu’il y a 45 ans de ça il travaillait à sa thèse sur le cinéma expérimental, il a incroyablement dû ramer rien que pour visionner les films en question dans des projections toujours rares et des rendez-vous improbables, bref : la pénurie. Difficulté qui aujourd’hui serait presque inexistante dit-il, du fait des copies vidéo et des DVD qui circulent plus facilement. On peut même dire que l’accès en est plus facile qu’à nombre de documents sans audace, ordinaires ou même académiques, mais piégés dans les archives en France où ils se trouvent bloqués par le délire du système de conservation. Plus loin dans la discussion, Noguez signalera que le Ciné indépendant peut maintenant se diffuser à domicile. Certes il ne dit rien de la distribution commerciale mais on y est presque, ça sera pour une prochaine émission. A condition d’être doté de souvenirs précis de la télé des 90’s, on peut y entendre un écho d’une conversation de 1992 dans un numéro de Bouillon de culture, qui mettait aux prises Chabrol avec Umberto Eco. Entre deux bons mots sur Antonioni et sur le Dr Johnson, les deux zèbres étaient tombés d’accord sur la révolution que pouvait apporter la vidéocassette à usage privé : chacun peut maintenant revoir la scène ou l’image de son choix, chacun peut se constituer sa collection. "La culture cinématographique va pouvoir exister" disait Chabrol. Si on compare notre époque à celle de leur jeunesse, on constate que la culture cinématographique est généralisée, et pas seulement dans la vie urbaine. Qu’elle soit de bonne qualité ou suffisamment raffinée, c’est une autre question. Mais il n’y a pas de doute qu’elle a cru en intensité et en importance : dans les années 45 à 60, les cinéphiles érudits comme l’étaient des Truffaut ou Godard étaient une version minoritaire de ce qui est devenu aujourd’hui, pour le mieux un mode de vie et de consommation culturelle de passionnés, et pour le pire une mode urbaine qui, aussi agaçante soit-elle, garantit au moins un certain niveau de consommation donc de production. Ainsi l’offre cinéma aura, malgré la concurrence de la télé ou plutôt avec son soutien (même si on a longtemps cru le contraire), rencontré une demande qui s’est formée progressivement. Qu’on en juge par l’édition en librairie : le nombre de livres publiés chaque année sur le cinéma a été multiplié par un facteur 20 ou 30 ; et il en va de même dans une ville comme Paris pour la quantité de mètres de rayons en librairie et bibliothèques au cinéma. Qu’on songe qu’en 1975 il existait à Paris 3 librairies spécialisées en cinéma, et un squelettique rayon à la Fnac. On voit donc quand même comment une pratique culturelle se généralise, probablement, au fil de la diffusion à domicile, de plus en plus contrôlée et commandée par le consommateur : d’abord une chaine télé, puis plusieurs, puis des cassettes et maintenant du DVD.
Je ne crois pas que le ciné indépendant devrait ni ne pourrait suivre le même chemin de notoriété, mais simplement que la diffusion domestique lui donne maintenant une chance d’accéder à la diffusion conforme à sa vocation. Il ne s’agit pas ici de mérite car ce dernier est plutôt incertain, mais simplement pour le cinéma marginal, il y a enfin une chance sportive de rencontrer son public qui, lui, n’a rien de marginal.
Pendant que Noguez raconte quelques anecdotes qui font réfléchir ou rigoler (par exemple sur l’humour de Michael Snow), Michel Ciment montre qu’il a une connaissance réelle mais peut-être un peu superficielle du sujet, à citer toujours les mêmes noms Mekas, Emshwiller et Warhol, et à rapprocher le ciné expé de l’art contemporain, enfermé dans des musées et jamais projeté sinon à un public restreint. Noguez recadrera à ce moment là, en soulignant que ce cinéma est disponible à domicile et va donc pouvoir échapper à l’enfermement. Et aussi, ça il ne le dit pas, il échappe naturellement aux délires de la cotation.
A part ça, la discussion n’évite pas les généralités utiles et instructives sur le genre : cinéma artistique, cinéma de plasticiens, quel rapport avec le cinéma populaire ? L’amateur initié peut même se sentir un peu agacé de ces scies analytiques. Mais (on est sur France Culture les gars), on peut parier qu’une bonne part de l’auditoire curieux va découvrir quelque chose dans ce Projection Privée, quelque chose qui fera résonner certains, surtout du côté des amateurs de l’ACR ou de feu Surpris par la nuit.
En début de dialogue Noguez raconte comment, alors qu’il y a 45 ans de ça il travaillait à sa thèse sur le cinéma expérimental, il a incroyablement dû ramer rien que pour visionner les films en question dans des projections toujours rares et des rendez-vous improbables, bref : la pénurie. Difficulté qui aujourd’hui serait presque inexistante dit-il, du fait des copies vidéo et des DVD qui circulent plus facilement. On peut même dire que l’accès en est plus facile qu’à nombre de documents sans audace, ordinaires ou même académiques, mais piégés dans les archives en France où ils se trouvent bloqués par le délire du système de conservation. Plus loin dans la discussion, Noguez signalera que le Ciné indépendant peut maintenant se diffuser à domicile. Certes il ne dit rien de la distribution commerciale mais on y est presque, ça sera pour une prochaine émission. A condition d’être doté de souvenirs précis de la télé des 90’s, on peut y entendre un écho d’une conversation de 1992 dans un numéro de Bouillon de culture, qui mettait aux prises Chabrol avec Umberto Eco. Entre deux bons mots sur Antonioni et sur le Dr Johnson, les deux zèbres étaient tombés d’accord sur la révolution que pouvait apporter la vidéocassette à usage privé : chacun peut maintenant revoir la scène ou l’image de son choix, chacun peut se constituer sa collection. "La culture cinématographique va pouvoir exister" disait Chabrol. Si on compare notre époque à celle de leur jeunesse, on constate que la culture cinématographique est généralisée, et pas seulement dans la vie urbaine. Qu’elle soit de bonne qualité ou suffisamment raffinée, c’est une autre question. Mais il n’y a pas de doute qu’elle a cru en intensité et en importance : dans les années 45 à 60, les cinéphiles érudits comme l’étaient des Truffaut ou Godard étaient une version minoritaire de ce qui est devenu aujourd’hui, pour le mieux un mode de vie et de consommation culturelle de passionnés, et pour le pire une mode urbaine qui, aussi agaçante soit-elle, garantit au moins un certain niveau de consommation donc de production. Ainsi l’offre cinéma aura, malgré la concurrence de la télé ou plutôt avec son soutien (même si on a longtemps cru le contraire), rencontré une demande qui s’est formée progressivement. Qu’on en juge par l’édition en librairie : le nombre de livres publiés chaque année sur le cinéma a été multiplié par un facteur 20 ou 30 ; et il en va de même dans une ville comme Paris pour la quantité de mètres de rayons en librairie et bibliothèques au cinéma. Qu’on songe qu’en 1975 il existait à Paris 3 librairies spécialisées en cinéma, et un squelettique rayon à la Fnac. On voit donc quand même comment une pratique culturelle se généralise, probablement, au fil de la diffusion à domicile, de plus en plus contrôlée et commandée par le consommateur : d’abord une chaine télé, puis plusieurs, puis des cassettes et maintenant du DVD.
Je ne crois pas que le ciné indépendant devrait ni ne pourrait suivre le même chemin de notoriété, mais simplement que la diffusion domestique lui donne maintenant une chance d’accéder à la diffusion conforme à sa vocation. Il ne s’agit pas ici de mérite car ce dernier est plutôt incertain, mais simplement pour le cinéma marginal, il y a enfin une chance sportive de rencontrer son public qui, lui, n’a rien de marginal.
Pendant que Noguez raconte quelques anecdotes qui font réfléchir ou rigoler (par exemple sur l’humour de Michael Snow), Michel Ciment montre qu’il a une connaissance réelle mais peut-être un peu superficielle du sujet, à citer toujours les mêmes noms Mekas, Emshwiller et Warhol, et à rapprocher le ciné expé de l’art contemporain, enfermé dans des musées et jamais projeté sinon à un public restreint. Noguez recadrera à ce moment là, en soulignant que ce cinéma est disponible à domicile et va donc pouvoir échapper à l’enfermement. Et aussi, ça il ne le dit pas, il échappe naturellement aux délires de la cotation.
A part ça, la discussion n’évite pas les généralités utiles et instructives sur le genre : cinéma artistique, cinéma de plasticiens, quel rapport avec le cinéma populaire ? L’amateur initié peut même se sentir un peu agacé de ces scies analytiques. Mais (on est sur France Culture les gars), on peut parier qu’une bonne part de l’auditoire curieux va découvrir quelque chose dans ce Projection Privée, quelque chose qui fera résonner certains, surtout du côté des amateurs de l’ACR ou de feu Surpris par la nuit.
Dernière édition par Nessie le Lun 09 Mar 2015, 21:54, édité 3 fois