C'est l'historien médiéviste
Jean-Claude Schmitt qui vient s'asseoir à cette première table d'écoute radiophonique. La parution, en mai dernier, de son ouvrage « Les rythmes au Moyen Âge » lui a valu de nombreuses invitations, pas seulement sur
France Culture. Le choix de cet historien, et surtout du thème abordé, a pour avantage de neutraliser les velléités catéchisantes qui saturent les propos entendus sur FC. Pliez, tordez, dépliez, essorez cela en tous sens : les rythmes du Moyen Âge nous prémunissent contre toute glose partisane, contre toute torsion obsessionnelle. Tout se jouera donc sur la qualité des entretiens et de la production.
Vous apprécierez le fair-play de ce choix : on ne savonne pas la planche...
Trois versions au programme, trois émissions d'horizons divers, trois angles différents.
Les auditeurs affûtés identifieront dans l'instant les producteurs / productrices. Ce n'est pas là grand mystère...
1/ L'introït Version A :
Après quelques propos généraux fournissant à J.-C. Schmitt l'occasion d'exposer la genèse et la mise en œuvre de son projet, on rentre dans le vif, par le biais d'une carte sonore qui fait réagir l'historien des rythmes :
[son mp3="http://rtsww-a-d.rts.ch.edgesuite.net/la-1ere/programmes/sous-les-paves/2016/sous-les-paves_20160925_full_sous-les-paves_32c521d6-c921-45b7-ab36-54b689d90bb0-128k.mp3" debut="05:31" fin="06:52"]
Version B :
La diffusion d'un extrait du
Remède de Fortune de Guillaume de Machaut (
Dame, mon cuer en vous remaint, dans une interprétation de Marc Mauillon), sert d'introduction au lancement de l'entretien :
[son mp3="http://media.radiofrance-podcast.net/podcast09/10076-06.06.2016-ITEMA_21002761-1.mp3" debut="09:53" fin="10:03"]
(On notera l'expression métadiscursive appuyant la volonté didactique « pour introduire à l'ouvrage dont nous allons parler tout de suite... »)
Version C :
Le
Poème symphonique pour 100 métronomes de G. Ligeti prélude à une élégante transition de la productrice :
[son mp3="http://www.francemusique.fr/sites/default/files/asset/aod/2016/39/WL-ITE_00083053_RSCE-10.mp3" debut="00:36" fin="01:35"]
2/ Les rythmes de l'entretienVersion A :
Répartition de la parole productrice / invité : 30/70
Des questions courtes, assez généralistes, permettant, par de nettes relances, l'exposé lumineux de l'historien :
[son mp3="http://rtsww-a-d.rts.ch.edgesuite.net/la-1ere/programmes/sous-les-paves/2016/sous-les-paves_20160925_full_sous-les-paves_32c521d6-c921-45b7-ab36-54b689d90bb0-128k.mp3" debut="12:44" fin="12:54"]
Version B :
Répartition de la parole producteur / invité : 50/50
Des questions qui n'en sont pas. Une paraphrase – longue, laborieuse – d'un producteur cherchant son bon-point (j'ai bien lu votre livre, n'est-ce pas?) et laissant, in extremis, la parole au spécialiste. Un exemple parmi une dizaine :
[son mp3="http://media.radiofrance-podcast.net/podcast09/10076-06.06.2016-ITEMA_21002761-1.mp3" debut="14:07" fin="14:59"]
« Alors euh, euh, c'est ça qui est extraordinaire c'est que vous allez donc euh nous montrer dans ces rythmes du MoyenÂge comment euh la.. la vie de l'homme et de la femme est une sorte de microcosme comme on l'imagine d'ailleurs au Moyen Âge de ce macrocosme qu'est euh l'univers créé par Dieu et que ces rythmes euh de l'homme et de la femme sont des rythmes qui sont en en relation euh pensés comme tels en tous les cas par des gens comme Hildegarde de Bingen ou comme d'autres personnes, pensés comme tels et qu'il faut donc les les agencer en fonction de ce que l'on sait des astres de leur circulation de la façon dont ils euh dont ils euuuhhh tournent euh donc euh dans euh la le ciel et et comment soleil et lune sont là justement pour pouvoir nous dire ou dire à ces hommes et ces femmes du Moyen Âge ce qu'est le rythme de la vie d'une certaine façon et du monde. »
Version C :
Répartition de la parole productrice / invité : 30/70
Des questions pointues, permettant un cheminement dans les marges du thème, et qui requièrent, de la part de l'historien, une attention et une réactivité de tous les instants :
[son mp3="http://www.francemusique.fr/sites/default/files/asset/aod/2016/39/WL-ITE_00083053_RSCE-10.mp3" debut="14:06" fin="14:19"]
Conclusion :
Version A :
Un numéro de
Sous les pavés, sur Espace 2 (nouvelle mouture du
Grand entretien), produit et présenté par Laurence Difélix, journaliste culturelle. Le choix d'un angle généraliste, un entretien agréable qui ne se prend pas pour autre chose que ce qu'il est, de la vulgarisation de grande qualité.
Version B :
Vous avez reconnu
Emmanuel Laurentin et sa fabrique de questions improbables. Un art de l'entretien-brosse à reluire, surchargé d'hyperboles de fayot (« maître livre », « entreprise absolument folle », « absolument gigantesque, titanesque », « extraordinaire »), une fiche de lecture pour révision. Les propos lumineux de J.-C. Schmitt révèlent par contraste les maladresses de l'intervieweur. Pourtant, je n'avais pas savonné la planche...
Version C :
L 'angle choisi par Karine Le Bail, pour son numéro d'
Un air d'histoire est celui de la musicologue. Les questions précises et intelligentes, que ne viennent parasiter ni la fanfaronnade, ni la maladroite recherche de reconnaissance, rythment un entretien de haute tenue et parfaitement mené. La productrice sait de quoi elle parle et tire le meilleur parti de l'historien dans le domaine qui lui est propre : la musicologie. Ce qui fait de cette version (ma préférée) la plus enrichissante, la plus pointue.
Remarques :
- Comme on peut s'y attendre, seule la version C de Karine Le Bail propose de nombreux extraits musicaux.
- Les trois versions se complètent parfaitement : J.-C. Schmitt, sollicité dans des domaines variés, se répète rarement (hormis les exposés sur le mot « rythme », quasi-identiques en A et C). L'auditeur fait son miel des trois émissions à travers des sujets également passionnants : le rythme et les images, les calendriers, les danses macabres, le rôle des cloches (version A), la danse, le rythme dans les bâtiments médiévaux, les horloges et la représentation du temps, l'écriture du scribe et l'invention de la minuscule caroline (version B), l'évolution de l'accentuation de la langue latine, la
Ballade des pendus de Villon, la notation musicale, le
Roman de Fauvel, les citations d'Élias Canetti, la peinture de P. Klee, le charivari (version C)
- On retrouve, chez les trois producteurs, la surcharge habituelle de la fonction phatique - premier prix quand même à Laurentin. Jean-Claude Schmitt sait désormais qu'il se nomme Jean-Claude Schmitt... (À tel point que Karine Le Bail conclut par un "merci Jean-Michel Schmitt")