Un diptyque à ne vraiment pas manquer :
Si je t'oublie Odessa 1/2 Une histoire entre légende et réalité 11-09-2022 &
Si je t'oublie Odessa 2/2 La persistance d'un vieux rêve intime 18/09/2022.
La première émission commence, et la seconde se termine, avec un hommage à l'actuelle directrice de France Culture, Sandrine Treiner dont est évoqué l'ouvrage "Le goût d'Odessa", directrice qui a aussi écrit
L'idée d'une tombe sans nom signalé dans
ce post suite à un entretien à la RTS .
On notera avec amusement ou davantage qu'Isabelle Némirovski a des inflexions de voix qui rappellent très fortement la voix de Sandrine Treiner [son mp3="https://media.radiofrance-podcast.net/podcast09/13094-11.09.2022-ITEMA_23130392-2022C21364E0028-21.mp3" debut="01:50" fin="04:01"]
Marc-Alain Ouaknin est sobre, précis, fait de bonnes relances et les choix musicaux sont pertinents. De l'excellente radio culturelle.
« Le retour, en grec, se dit nostos. Algos signifie souffrance. La nostalgie est donc la souffrance causée par le désir inassouvi de retourner », écrit Kundera dans son roman intitulé « L’ignorance ».
La phrase d'amour tchèque la plus émouvante dit: stýská se mi po tobě : « j'ai la nostalgie de toi ; je ne peux supporter la douleur de ton absence. » Nostalgie et ignorance, ajoute Kundera, formant un couple magnifique que formule avec clarté la langue espagnole (anoranza vient du verbe anorar (avoir de la nostalgie) qui vient du catalan enyorar, dérivé, lui, du mot latin ignorare (ignorer)). Sous cet éclairage étymologique, conclut-il, la nostalgie apparaît comme la souffrance de l'ignorance. Tu es loin, et je ne sais pas ce que tu deviens. Mon pays est loin, et je ne sais pas ce qui s'y passe. »
Celui qui, du lointain de nos récits mythologiques l’incarne par excellence est bien sûr Ulysse …
Ce dont Catherine II de Russie se souvint très certainement quand elle choisit le nom de la ville qu’elle fit construire comme capitale de la nouvelle Russie en 1794 et qu’elle appela : Odessa, féminin d’Odysseus, inscrivant dans ce nom mystérieux ce qui allait devenir le destin d’une ville à l’aura légendaire et qui n’a cessé de susciter désir et fantasme de l’origine comme le résume d’un trait frappant Anne Gorouben: « On ne va pas à Odessa on y revient » ou encore Camille de Toledo dans un vibrant texte pour Le Monde des livres du 11 mars dernier alors que l’armée russe se tenait aux portes de la ville : «Odessa n’appartient pas seulement à l’Ukraine. Odessa nous y sommes nés ou nous y renaîtrons un jour. »
Comment expliquer un tel lien avec cette ville de la mer noire, comment comprendre un tel pouvoir d’attraction ? Quels imaginaires ont nourris Odessa pour qu’elle en nourrisse tant en retour ? Quelle part ont joué les juifs dans la construction de cet imaginaire puissant, eux dont la présence est attestée alors même que la ville nouvelle n’est pas encore sortie de terre et qui ont représenté jusqu’à la seconde guerre mondiale 1/3 de sa population ? Et ces juifs d’Odessa, qu’ont-ils de particulier ? A quel point ont-ils été construits par cette ville aux sept langues et aux accents méditerranéens ? Que s’est-il inventé à Odessa dont nous pouvons tant redouter la fin ?
L'invitée : Isabelle Némirovski, Docteur de l’INALCO (études juives et hébraïques), fondatrice et présidente de l’association "Les Amis d’Odessa", œuvre à reconstruire la parole mémorielle de la communauté juive odessite aux expressions plurielles et au rayonnement international
Le livre de l'invitée
Histoire, mémoires et représentations des Juifs d'Odessa - Un vieux rêve intime Éditions Honoré Champion, 2022.
Descriptif savoureux du début du deuxième volet :
L’histoire est connue et elle est racontée par Georges Perec dans son petit livre intitulé Ellis Island : on conseilla à un vieux juif russe de se choisir un nom bien américain que les autorités d’état civil n’auront pas de mal à transcrire. Il demanda conseil à un employé de la salle des bagages qui lui propose Rockefeller. Le vieux juif répète plusieurs fois de suite Rockefeller , Rockefeller pour être sûr de ne pas l’oublier. Mais lorsque, plusieurs heures plus tard, l’officier d’état civil lui demande son nom, il l’a oublié et répond, en yiddish : Schon vergessen (j’ai déjà oublié) et c’est ainsi qu’il fut inscrit sous le nom bien américain de John Ferguson.
On connaît moins l’histoire de ce jeune Samuel qui arrive lui aussi à Ellis Island en 1901. Ne parlant pas un mot d’anglais, il ne comprend pas la question de l’officier de l’immigration qui lui demande son nom. Pensant qu’on lui demande d’où il vient, il répond alors "Odessa" et le fonctionnaire inscrit dans son registre plus ou moins ce qu’il entend. C’est ainsi que Samuel Dassin, père de Jules Dassin, et grand-père de Joe Dassin, fit son entrée en Amérique.