La direction a décidé de nous verser dans les oreilles et par conséquent dans notre cerveau les MEILLEURS moments de la journée du festival des idées qui tourbillonnent telles des bananes broyées dans un mixer. N’est-ce point à la ligne une idée de la plus haute hauteur ?
La réponse est oui sans hésiter. Ceux qui ont hésité n’existent plus, leur hésitation, et leur corps avec, s’est engouffrée dans le trou noir de l’oubli, résultat : 150 % de oui à cette question. Des rumeurs chuchoteraient 200 %, mais faute de vérification, tenons-nous en au pourcentage le plus fiable : 150 % de oui sans hésiter.
Ces MEILLEURS moments qui remplissent, à coups de marteau pour que tout rentre, notre nuit, ils sont déjà à l’écoute depuis fin novembre, mais qu’à cela ne tienne, il faut survivre avec son temps et reproposer en flux en podcast en réécoute en suppo en gélule en purge ces moments de radio magiques avant de les rerererereproposer jusqu’à la deuxième édition du festival des idées que nous devons retenir pour créer un monde meilleur, celui avec les petits oiseaux qui cuicuitent, les humains qui s’embrassent tous dans une ronde universelle de bonheur sans respecter les gestes barrières pour fêter la fin des inégalités dans le monde et la fin de la fin du monde.
Même, la Terre sera enfin plate, épurée de toutes ses inégalités géologiques.
J’ai écouté pour vous le début de cette nuit. Je me suis arrêté au bout d’une dizaine de minutes, c’est-à-dire pile au moment où la lumière s’est faite en mon âme et mon corps, où j’ai enfin assimilé dans mon âme et mon corps toutes les tâches à accomplir pour rendre notre monde mondialement meilleur.
Pourquoi s’arrêter aussi vite ? Mais tout simplement pour me mettre plus vite à la tâche, retrousser les manches de mon pyjama (je rappelle que c’est la nuit) et changer tout de suite le monde en commençant par couper la radio pour aller me coucher.
La minute de présentation, par la direction.
Après une fanfare de cuivres flamboyante, la voix prophétique de la direction nous annonce solennellement que la journée des zidées, celles qui « pensent et agissent pour l’avenir », fut un tel succès qu’elle méritait de basculer la nuit pour faire enfin le tour du cadran. Annonce grandiose faite avec en fond sonore l’ouverture de la huitième de Mahler, les cloches de Notre-Dame, l’alarme incendie de la Maison de la Radio & de la Muzik et le bruit d’un volcan en éruption. J’en pleure encore.
Climat, économie, société : par où commencer ? Une « masterclass d’idées ».
Tout à coup, a.k.a. soudainement, la voix de la direction n’est plus celle de la nuit des idées, mais celle de la journée des idées rediffusée la nuit. Un saut temporel d’une telle audace que j’en pleure toujours.
« Par où commencer ? »Quand on sait qu’il faut tout changer, que tout va de traviole, il faut commencer avec méthode, et donc savoir par quoi on commence. Pas par la fin, mais par le commencement. Encore faut-il le trouver, dans ce foutoir monstre.
Est-ce que vous déroulez une pelote de laine en commençant par le milieu vous ? Non. Pour éviter la fin du monde, c’est du kif, faut trouver le bout, et le bon bout.
La direction de la radio à tuture et la direction éditoriale de la tévé à tuture se sont associées pour nous présenter quatre spécialistes qui en réfléchissant ensemble vont trouver en moins d’une heure le bout sur lequel on va tirer pour sortir toutes les solutions des problèmes du monde pour vivre enfin dans le bonheur d’un Eden retrouvé.
La direction de la radio tuture commence dans le vif du sujet. L'oignon est tranché dès la première seconde, j’en arrête toujours pas de pleurer.
Le vif, celui du sujet, consiste en la présentation détaillée de tous les invités, et même en un rappel de, outre leurs titres de gloire, leurs invitations dans d’autres émissions à radio tuture.
Comment naissent les idées, comment, une fois nacquites, doit-on les élever ? En batterie, sous la mère ? Les deux en même temps ?
Vaste question, qui n’empêche pas de continuer à dérouler en plus en cadeau les différentes œuvres des quatre invités des idées, toutes couronnées de gloire dans une apothéose de prix. J’en pleure encore et toujours.
La direction à radio passe la main et la voix à la direction à tévé, a.k.a. Boris, pour reformuler la question qui forme le socle de ce monument à idées et qui s’était noyée dans ces deux minutes de cv bien remplis.
Or, Boris se la joue en solo, et refuse de faire ce qu’on lui a demandé. Il préfère reprendre à nouveau tout à zéro et causer du famous questionnaire à idées. Je lui laisse la parole deux secondes, le temps de chercher un mouchoir. J’en peux plus.
« ...euhm alors peut-être un un un petit détour par euh le le questionnaire puisque vous le savez ce festival a la particularité euh sa sa sa euuuuuh sa programmation repose en partie sur un questionnaireuh soumis soumis à toute la potula population et en particulier aux plus jeunes aux dix-huit trente-cinq ans et et et et pour donner un peu le les les souhaits du temps euh lu lu lu l’humeur de la jeunesse c’est vrai les les les euh y’a quelques éléments assez euh... »Je reprends, et je vous résume lalalalalala suite. Les jeunes, ils sont prêts à affronter le pire. Alors le monde d’après, le monde d’avant… est-ce que y’a le monde d’après ou pas, that is the question qui n’est pas celle de « par où qu’on commence » mais c’est pas grave tant que y a des idées on prend.
La première réponse qui vient est éclairante. Figurez-vous que rien que d’y repenser, j’en pleure.
La première réponse de la première spécialiste consiste à corriger une erreur dans la présentation de son cv tout à l’heure. La direction à radio elle coupe direct, car l’erreur vient d’elle, mais en fait, a.k.a. en vrai, l’erreur vient d’internet, l’endroit où l’on lit le plus de conneries. La preuve, sur le site de France Trutrucre, on peut en lire un paquet, dixit la direction elle-même. Et en plus, ce qu'on lit correspond souvent à ce qu'on entend.
En vrai de vrai, a.k.a. en vrai au cube, l’assistant qui lui a pondu le texte de présentation, il va passer un sale quart d’heure. En tout cas c’est mon idée pour le monde d’après l’émission.
La réponse : 67 % des jeunes s’attendent au pire pour le monde d’après, qui par conséquent n’existera pas.
Boris, a.k.a. Boris, coupe à son tour : non, c’est pas 67 mais 76 %.
Le pourcentage est répété plusieurs fois pour bien qu’on s’en imprègne.
Alors pourquoi ces 76-et-non-ces-67 % ?
La spécialiste apporte une réponse qui, je vous la donne en mille, a eu pour conséquence de me faire pleurer. Les jeunes s’attendent au pire parce que snif snif ils sont ANXIEUX.
Et cette anxiété, a.k.a. eco-anxiété, elle mérite un développement fourni, qui impacte lourdement tous les synonymes d’anxiété, parce que Covid sans fin qui rappelle toutes les épidémies de l'avant qui disent quelque chose de l'épidémie de l'aujourd'hui.
La solution de la spécialiste : psychologiquement y’a des choses à faire. Elle a bien préparé sa réponse et cite un discours de Camus en 1957 qui parle tellement d’aujourd’hui, a.k.a. résonne très fort encore aujourd’hui. Conclusion : « ...c’est ça qu’j’voulais dire. »
Second spécialiste : nous sommes dans une crise car nous sommes en train de sortir de notre stabilité millénaire. Ce qui explique la crise. L’instabilité entraîne une fragilité, écologique et sociale. Entre deux pleurs, j'irais même plus loin en affirmant qu'inversement, la fragilité provoque de facto une instabilité.
Il faut donc faire quelque chose, il faut faire face, s’adapter, trouver la solution en se retroussant les manches, du pyjama par exemple.
Au bout de dix minutes, l’idée est là qui, comme mes larmes, jaillit d’un coup : il faut faire QUELQUE CHOSE.