Pour les 60 ans de France Cu, pour ne pas gêner les programmes ronronnants et creux de la journée, ni les énièmes rediffusions des Nuits qui peinent à se renouveler, s’est ouvert une page spéciale intitulée platement «
1963-2023 : les iconiques de France Culture ».
Encore des icônes, encore ce vocabulaire religieux qui envahit tout France Cu. Vocabulaire de pub. Le marketing marche à fond, tout est platounet, formaté à mort, et donc iconique.
« On vous offre une plongée dans nos archives les plus singulières : plus d'une centaine de documentaires, émissions, podcasts originaux, fictions qui ont obtenu de prestigieux prix... »
Quatre passages obligés :
- « on », le fameux « on » qui pense à votre place, guide suprême et mystérieux de votre vie.
- « vous offre », car c’est un cadeau tombé du ciel, c’est un service public, payé donc par nos impôts, donc un auto-cadeau bien enrobé dans son paquet marketing.
- « une plongée », car dans l’aujourd’hui du maintenant, tout ce qui est iconique doit être immersif. Le service com’ a bien bossé.
- « ... qui ont obtenu de prestigieux prix... » France Cu a-t-elle obtenu des prix non-prestigieux ? Pas du tout. Jamais. Et puis les prix, c'est essentiel. Toutes les émissions qui n'en ont pas obtenu méritent de rester dans l'oubli. Les prix, il n'y a qu'ça d'vrai.
Le reste :
- « plus d’une centaine » = 71 émissions, certaines en plusieurs parties, donc ça doit faire un peu plus de cent. Peut-être que des ajouts sont prévus…
- L’énumération qui suit est pleine de promesses : « documentaires, émissions, podcasts originaux, fictions »
« émissions » = les docus, pode & castes et fictions ne seraient donc pas des « émissions » ? Y’a-t-il un plumitif qui sait se relire et qui réfléchit au sens de ses phrases dans le site à France Cu ?
Dans les 71 émissions, pour l’instant, aucune fiction, et surtout que des émissions qui labourent les thèmes socio-popo déjà en œuvre dans les répétitifs programmes actuels.
L’ouverture d’esprit s’est refermée sur la sociologie, et tout voir à travers ce prisme peut conduire à une sévère déprime. Pensez, tout ce que nous faisons n’étant que déterminisme social, nous casant systématiquement dans des cases socio-popos, y’a pas d’quoi se sentir libre au dedans de sa tête.
26 émissions seulement datent d’avant l’an 2000. Parmi ces 26 plein de docus historiques et de socio-popo, cela va de soi, comme si pendant 37 ans, France Cu n’avait fait à peu près que ça.
Aucune émission ne date d’avant 1970, et : pas de fiction, ni même un seul « Papous dans la tête » ou « Mi fugue mi raisin », pour ne donner que deux exemples.
37 ans balayés vite fait, alors que les années 10 et 20, donc les émissions socio-popos récentes, sont bien plus largement documentées. Parfois, et même souvent, ces émissions étaient déjà en ligne sur le site.
France Cu remet donc en ligne des émissions déjà en ligne. Un concept pour le moins original.
Parmi les moments marquants de la chaîne, pointent une flopée de doses de LSD et de Feet on the bullshit : antiterrorisme (2022), Mesrine (toujours 22), psychiatrie (2021), Expériences absconses et inaudibles (2019-20), des gens qui s’battent pour changer l’monde à la pelle (Les pieds dans la merde, 2019), scènes de crimes, réfugiés, nombrilisme aigu, séjour à l’abattoir, de la socio à gogo… le tout allant de 2010 à aujourd’hui. Cela nous fait zéro fiction, et beaucoup de popo, de litique, et de docus formatés. Au total, 37 émissions sur les 71. Plus de la moitié, juste pour la décennie (et des poussières) la plus calamiteuse de l’histoire de France Cu, juste pour documenter le passage de France Cu de radio culturelle à une radio actu socio-popo brassant des programmes qui formellement, soit ne ressemblent à rien, soit sont tellement formatés, reprenant les gimmicks les plus éculés de la tévé, qu’il est difficile de parler de création originale.
La première décennie 2000 est couverte par 8 émissions seulement, des docus, des témoignages, de la socio & popo. Vu les émissions choisies, ce n’est pas bien grave. Comme la variété n’est pas de mise, pas la peine d’en mettre plus, mieux vaut mettre en valeur l'aujourd'hui du présent, ça va plus vite.
Pour ce qui concerne l’originalité, il faudra chercher dans les années d’avant 2000, même si les thèmes choisis sont, et ce n’est pas un hasard, les mêmes que ceux du France Cu d’aujourd’hui. Le fameux « on » voudrait occulter tout un pan du passé du la chaîne qu’il ne s’y serait pas mieux pris. Ou alors ce pan en question fait partie d’un no man’s land ignoré involontairement. Car en dehors de la socio-popo, existe-t-il autre chose, je vous le demande ?
Petite sélection, sans doute pas exhaustive, mais presque.
«
Improvisation IV : l'événement » de Marc Desclozeaux (20-01-1977), réalisation Jeanne Rollin-Weiss
Contrairement à ce qui est indiqué sur le site, ce n’est pas un ACR.
« Des habitants de la rue Mouffetard, à partir d'une enquête sur un événement imaginaire : ce qui est pour eux un événement, ce qui les indigne, la démolition de certains immeubles, le bruit, l'insécurité, la disparition des petits commerces, les impôts, les étrangers... » (Quelle surprise...)
Ateliers de Création Radiophonique :«
Comment vous la trouvez, ma salade ? » (20-12-1970) de René Farabet et Jacques-Pierre Amette.
Société de consommation, marchés & grandes surfaces. (Re-quelle surprise...)
«
Questionnaire pour Lesconil » (23-03-1980) de Yann Paranthoën
Note d’intention : « Murray Schafer, chercheur canadien, a fait une enquête dans 5 villages d'Europe afin d'étudier leur paysage sonore : Skruv au sud de la Suède, Bissingen au sud de l'Allemagne, Cembra au nord de l'Italie, Dollar en Écosse. Il a choisi Lesconil en Bretagne. À l'origine, ici, les seuls repères étaient ceux donnés par l'écoute attentive des sons naturels - vents , vagues, chiens aboyants, cloches, jeux d'enfants - qui rythmaient la vie des habitants. L'intention radiophonique de ce "Questionnaire pour Lesconil" a été de confronter le travail de Murray Schafer sur l'environnement sonore de ce village, à la vérité quotidienne telle qu'elle est vécue par les pêcheurs, les habitants, d'entendre au propre, si l'instinct d'écoute de chacun ne se trouvait perturbé, perdu même, par l'arrivée depuis une vingtaine d'années, de sons nouveaux, sophistiqués, de bruits violents, agressifs et trop souvent éloignés de la nature : moteurs, treuils... (…) »
Déjà publiée en CD il y a une vingtaine d’années accompagnée d’un ouvrage sur Paranthoën.
Une version courte de «
Good Morning Vietnam » de Claude Johner et Janine Antoine. Cf
cet autre billet pour la version longue.
«
VIIIe station souvenirs-bazar » (22-10-1974) de
René JentetPortrait radiophonique de Jérusalem.
«
Georges au Sporting » (10-07-1983) de Yann Paranthoën.
Portrait de Georges Perros. Paranthoën se rend à Douarnenez pour rencontrer ceux qui ont connu l’écrivain.
Émission diffusée à l’origine dans un ACR proposant à nouveau «
Yvon, Maurice et les autres... et Alexandre, ou la victoire de Bernard Hinault dans Paris-Roubaix 1981 ». Son titre : « Articulations autour d'une rediffusion »
«
Visages bosniaques » (06-10-1996) de René Farabet
Présentation : « Petit oratorio composé à partir d'un projet du Laboratoire de sculpture urbaine à Grenoble de Philippe Mouillon : "Légende(s)".
Dix portrait photographiques d'habitants anonymes de Bosnie-Herzégovine ont été proposés à des écrivains vivant en cercles concentriques d'éloignement croissant, de Sarajevo au reste de l'Europe.
Dix images pour de multiples "légendes". Dix images que chacun interprète, comme on se regarde dans un miroir.
Texte / Voix : Eqrem Basha, Demosthenes Davvetas, Velibor Colic, Nedim Gürsel, Ismaïl Kadaré, Vaclav Jamek, Carol Mann, Abdelwahab Meddeb, Jasmina Musabegovic, Danièle Sallenave, Vidosav Stevanovic, Abdulah Sidran, Beseat Kiflé Selassié, Vesna Kulenovic
Interprètes : Loleh Bellon, Jean Bollery, Jean Dautremay, Kaye Mortley, Andrzej Seweryn, Andrée Tainsy, Michel Hermon »
Nuits magnétiques : «
Gens du marais » (13 au 16-06-1989) une exploration du marais poitevin, par Jean-Pierre Milovanoff, réalisation Mehdi El Hadj.
Note d'intention : « Le marais poitevin est une des dernières grandes zones humides en France. Au total, près de 90 000 hectares de marais au-dessous du niveau de l'océan. L'absence de routes en a fait pendant des siècles le refuge des persécutés et des insoumis. Aujourd'hui l'équilibre de cette région est menacé. En donnant la parole aux éclusiers, aux maîtres de digues, aux pêcheurs, aux paysans, aux bateliers, nous avons tenté de restituer un peu de la beauté fragile des paysages et les qualités humaines des gens du Marais. »