C'est pris sur le vif et non sans un sourire : dans la Grande table il y a quelques minutes, Antoine Bello présente son dernier roman, troisième épisode du cycle romanesque initié avec "Les falsificateurs". Le héros est un aventurier des temps modernes, qui fait son chemin et sa fortune en bataillant sur le terrain de l'information. Non pas l'information du journaliste, mais l'information comme matériau d'un grand flux qui circule en tous sens dans un réseau spatio-temporel planétaire fortement maillé. Au programme : histoire secrète et manipulation : un groupe secret modifie les archives de l'histoire jusque dans le dur entendez : jusque dans la pierre s'il le faut. L'idée est bien trouvée, tombe à pic dans son époque, est propice au spectaculaire aussi est-il bien dommage que le roman fasse pschitt. Au moins, en lisant Bello avec l'oeil circonspect on en apprend un peu sur l'information, peut-être même plus qu'avec la lecture de
la Théorie de l'information, roman d'histoire contemporaine qui avait fait quelque bruit sur FC à la fin de l'année 2012.
Du coup, il y a un second personnage principal dans le cycle des Falsificateurs. Ce second personnage c'est la Vérité ou plutôt la notion de vérité. Dans les romans de Bello, illisibles à force d'être vides, l'information et la vérité sont la matière première et l'enjeu d'une immense manipulation géopolitique menée par l'organisation secrète. Les romans d'Antoine Bello sont modernes en ce sens que 70 ans après Norbert Wiener, ils font de l'information et non plus de l'énergie tout à la fois le ressort et l'enjeu de la politique internationale et donc des guerres. Et dans ce troisième volume, c'est la plasticité de la vérité qui sera en cause.
Nous pouvons maintenant passer à notre histoire de Caroline : plasticité nous avons bien dit plasticité de l'information. Bello explique patiemment que pour parvenir à ses fins en instrumentalisant les médias, il n'est pas besoin de mentir aux journalistes : il suffit de puiser dans le pot de la vérité ce qui va leur plaire. Et pour produire du même événement des versions différentes à l'intention de naïfs différents (par exemple la presse réactionnaire et la presse progressiste), la même histoire peut être présentée sans mensonge aucun, il suffit d'adopter à chaque fois le bon angle. Oui tout au bout de cette théorie nouvelle on ne trouve pas grand chose de plus que ce B-A-BA journalistique : l'angle.
Et c'est ici que ça devient marrant, quand Caroline comme si elle voulait démontrer qu'Antoine Bello a mis dans le mille en théorie mais se plante en pratique, détourne carrément la conversation : elle lui demande pourquoi son roman qui s'appuie sur les grands événements géopolitiques des années précédentes, ne parle pas des "printemps arabes".
On sait qu'avant de trouver un débouché dans le meurtre de masse, les dits épisodes révolutionnaires ont tiré des larmes de joie et d'émotion dans France Culture pétri de romantisme révolutionnaire. De là, faisant d'avance l'impasse sur la violence dans la période de transition, il est bien normal que toute la station imprégnée d'islamophilie n'ait pas vu venir en plus les crimes de guerre perpétrés par le Califat. Il faut dire que pour la réprobation horrifiée, France Culture a déjà une cible idéale avec Israël on ne peut pas parler de tout saperlipopette mettez vous à leur place. Mais ce qui est cocasse, c'est de voir Caroline confirmer par l'exemple ce que vient de lui dire Antoine Bello : les journalistes ne s'intéressent pas à la vérité. Pour leur faire plaisir et obtenir d'eux un relais d'information, il faut leur dire ce qu'ils veulent entendre. Caroline aurait voulu qu'on évoque pour elle les merveilleux printemps arabes. Antoine Bello a raté. Mais son loupé confirme par l'exemple que sa thèse est juste. Juste vraiment ? Non, pas plus que sa théorie simplette de la mémoire : la théorie de Bello consiste à mettre en lumière un mécanisme de manipulation et à surestimer son poids dans le phénomène global de la communication.
A part ça, je ne lirai pas ce 3e titre parce que les deux premiers romans du cycle sont à la fois interminables et creux. Une fois passée l'intéressante présentation psychologique des personnages et une fois compris le fonds et les ressorts de l'histoire, on n'y trouvera plus d'action que squelettique, paradoxalement délayée dans ses temps morts alors qu'elle est survolée quand elle traverse une étape fondamentale. Les dialogues sont soignés mais ils ne disent rien, enfin rien d'autre que le message idéologique qu'Antoine Bello veut faire passer. Alors si le 3e volume est comme les deux précédents, le mieux est d'en lire un synopsis bien fait (maximum 3 pages). Et seulement "à défaut, lire l'original", comme Borges l'avait dit de l'Ulysse signé Joyce.
Il nous reste cette histoire de Caro. Il y a des histoires de Toto, il y a des histoires de Voinchet, et il y a des histoires de Caroline Broué. Parfois authentiques, parfois inventées, toutes montrent une vérité du héros comme les histoires drôles collectées par Antoine & Philippe Meyer disaient quelque chose du
communisme en URSS.