Je vous conseille d’écouter avec beaucoup d’attention l’intervention de Shmuel Trigano dans l’émission Maisons d’études du 28 avril dans laquelle il rend compte de son dernier livre politique du peuple juif, les juifs, Israël et le monde.
En voici un résumé non exhaustif:Victor Malka présente le livre de Shmuel Trigano comme un état des lieux inédit et original, qui n’est pas dans le prêt à penser et qui est comme une réponse au livre de Schlomo Sand comment le peuple juif fut inventé, lequel Schlomo Sand vient de faire paraître un livre dont le titre est « comment j’ai cessé d’être juif ».
Les deux compères estiment que cette voie de sortie est gratuite et ahurissante. Victor Malka estime que Schlomo Sand peut dire tout ce qu’il veut mais qu’il est contredit par des dizaines de milliers de livres.
Shmuel Trigano veut montrer la consistance du peuple juif. La dimension collective du peuple juif est selon lui assumée par l’Etat d’Israël. Après vingt-cinq siècles d’exil, le peuple juif a retrouvé indépendance et souveraineté. Malgré la dispersion, les Juifs n’ont pas disparu.
Le peuple juif est selon lui le fait de la religion et de la politique.
Remontons dit Shmuel Trigano à la scène primitive, la scène sinaïque (Moïse descendant du Mont Sinaï apportant au peuple juif les tables de la loi). Les Juifs ont alors été les témoins de la révélation divine, mais aussi des non-juifs qui étaient là, sans doute des esclaves des Egyptiens qui avaient saisi cette occasion pour s’enfuir. C’est alors que s’est conclue l’alliance avec la transcendance. Ils ont contemplé le Divin, ils ont vu ce que même le prophète Ezechiel n’avait pas vu. Tous les Juifs sont parti prenants à cette révélation. Ce qui s’est alors passé est ineffaçable, celui qui a vu Dieu une fois l’a vu pour toujours…
Le peuple juif, ajoute Shmuel Trigano n’est un peuple que par ses lois et par le consentement à ces lois. Les enfants d’Israël forment une communauté mystique. Victor Malka ajoute que les âmes des juifs de tous les temps étaient alors présentes à la scène sinaïque.
C’est quelque chose, dit-il de plus vaste que la religion. Une identification à une religion est selon lui impossible. Le judaïsme est une philosophie de la loi.
La transcendance est selon Shmuel Trigano constitutive du peuple juif. Au cœur de l’existence immanente des Juifs, il y a une dimension de transcendance irréductible. Il faut, dit-il, d’un point de vue intellectuel,
séculariser cette transcendance. C’est une transcendance radicale, un partenariat avec le Dieu allié, avec cette divinité qui ne se représente pas.
Le Juif assimilé donne la preuve de cette transcendance qu’il ignore et qui ne semble pas le concerner. Mais elle lui revient à la figure par l’antisémitisme.
L’émancipation dit Shmuel Trigano, a fait aux Juifs plus de mal que de bien. Elle a, selon lui, cassé la continuité du peuple juif dans la dispersion. Chez les émancipateurs, il y avait le projet de faire disparaître les communautés juives. C’est ce que disait l’abbé Grégoire. Il y avait le projet d’extirper la judaïté du juif.
Le peuple juif est selon Shmuel Trigano une donnée de la nature et de la réalité, c’est une donnée ineffaçable, indestructible et le destin des Juifs est collectif et tragique.
Il y a, dit Shmuel Trigano, quelque chose qui ne tourne pas rond dans la modernité politique (parce qu’elle ignore cette transcendance) qui selon lui alimente l’antisionisme et le nouvel antisémitisme.
La vie juive dans la modernité fabrique, dit-il, de l’assimilation. C’est une catastrophe pour le peuple juif, une catastrophe que le génie des Juifs ne trouve pas à s’investir pour la communauté à laquelle il appartient, c’est « en moins », c’est, mais il ne prononce pas le mot, une perte. Le destin des individus engloutit le destin du peuple.
Shmuel Trigano affirme que quand les Juifs assument leur identité collective, ils peuvent s’ouvrir à l’univers entier. Si on le permettait, c’est ce qui se passerait en Israël.
Shmuel Trigano voit une manifestation de cette transcendance dans la présence simultanée en Israël des ultra-orthodoxes, contre-société rigide qui n’admet pas l’Etat d’Israël et les hédonistes matérialistes de Tel-Aviv.
Et Victor Malka et Shmuel Trigano en reviennent au cas Shlomo Sand qui a le courage de déclarer qu’il a cessé d’être juif. C’est une pathologie, dit Shmuel Trigano. S’il veut sortir discrètement, ça le regarde, mais s’il veut entraîner le peuple dans son suicide, non.
§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§
Mes commentaires :
Pour le Gentil que je suis, les propos tenus par Shmuel Trigano sont proprement ahurissants. Je suppose, et j’espère qu’ils ne sont absolument pas représentatifs de ce que pensent les Juifs.
Le livre de Schlomo Sand qu’ils vouent aux gémonies est très riche et mérite vraiment d’être pris en considération. Il est heureux qu’il ait eu du succès et qu’il ait été réédité en version de poche. Il s’attaque à des mythes sur lequel est fondé le sionisme. Ce fameux exil des Juifs n’a pas eu lieu. Les Juifs ne sont pas les descendants des Hébreux , ils sont les descendants de populations diverses qui ont été converties au judaïsme au cours de siècles. Dans ces conditions , la notion de retour n’a pas de sens. Les vrais descendants des Hébreux sont très probablement les Palestiniens, comme David ben Gourion en avait eu l’intuition. Schlomo Sand explique que le peuple juif a été inventé par le fait qu’avant l’invention d’une nation juive, au XIXe siècle, il y avait des communautés religieuses qui ne constituaient pas à proprement parler un peuple. Toutes les tentatives de fonder l’appartenance au peuple juif sur autre chose que la religion ont lamentablement échoué. La culture ? Rien de commun sinon la religion entre un Juif de Marrakech et un Juif de Kiev. La race sur des données biologiques? Echec total des recherches, qui néanmoins se poursuivent.
Fonder un Etat sur l’appartenance à une religion, c’est quelque chose qui à notre époque ne marche pas. Cela aboutit à la négation de la démocratie et à l’instrumentalisation de la religion par le politique, ce dont les propos de Shmuel Trigano sont une preuve éloquente parmi beaucoup d’autres.
Que des centaines de milliers de livres contredisent les thèses de Schlomo Sand, c’est par excellence l’argument d’autorité et c’est un argument qui n’a aucune valeur. Des centaines de milliers de livres peuvent véhiculer une doxa, par exemple que le soleil tourne autour de la terre qui un beau jour s’effondre.
Quand Shmuel Trigano dit que peuple juif est le fait de la religion et de la politique, il ne manque pas d’air car tous ses arguments sont puisés à la religion et à rien d’autre, même s’il prétend que c’est au-delà de la religion. En tout cas, ses arguments sont plus irrationnels les uns que les autres.
Shmuel Trigano affirme bien que les enfants d’Israël forment une communauté mystique. Quand il fait remonter le peuple juif à la « scène primitive », les Juifs auraient été les témoins de la révélation divine et auraient vu ce que même le prophète Ezechiel n’avait pas vu et qu’à cette occasion ait été conclue l’alliance avec la « transcendance », je ne sais pas de quoi il parle sinon de religion. Quand il dit que c’est plus vaste que la religion, je ne sais pas ce qu’il veut dire. Shmuel Trigano nous parle un langage aussi étrange que serait aux oreilles d’un athée des considérations sur la Sainte Trinité, l’eucharistie ou la Communion des saints.
Quand Shmuel Trigano dit que le Juif assimilé, ignorant de cette transcendance qui ne semble pas le concerner, le découvre par l’antisémitisme, il a l’air de donner à l’antisémitisme une place dans le plan divin, comme si c’était un juste châtiment pour les Juifs qui ont rejeté leur appartenance.
Quand Shmuel Trigano dit que la transcendance est constitutive du peuple juif, il est en plein dans la pensée religieuse, il ne fait que reformuler la notion de peuple élu. Si j’avais été dans le studio, je lui aurais demandé si les non-juifs étaient exclus de cette transcendance. Mais ce qui m’étonne le plus, c’est son idée qu’il faut séculariser la transcendance. Dans un premier temps, j’y ai vu un grossier oxymore et je n’ai pas compris. Dans un deuxième temps, j’y ai vu la meilleure définition du cléricalisme, donner à des clercs, en l’occurrence à des rabbins qui se réclament de la transcendance des pouvoirs et des prérogatives.
C’est tout à fait ahurissant d’entendre de la bouche de Shmuel Trigano que l’émancipation des Juifs leur a fait plus de mal que de bien. Qui donc Shmuel Trigano convaincra-t-il , à part quelques antisémites patentés, en se disant pour les discriminations de toutes sortes, la marginalisation, le maintien dans un statut inférieur qui interdit toute ascension sociale qui a obligé tant de juifs à se convertir?
Shmuel Trigano dit que le peuple juif est une donnée de la nature et de la réalité, ineffaçable, indestructible. Comme le comme le montre son exposé, c’est une donnée essentiellement religieuse et de ce point de vue il rejoint les thèses de Schlomo Sand, une donnée durable sinon éternelle mais pas une donnée de la nature.
Je ne comprends pas bien Shmuel Trigano quand il dit que quelque chose qui ne tourne pas rond dans la modernité politique (parce qu’elle ignore cette transcendance), parce que le monde moderne a fait une belle place à l’Etat d’Israël, qui n’aurait jamais existé si on avait appliqué quand il le fallait le principe de souveraineté, règle du droit international aux Arabes dans la période post-ottomane.
L’idée que c’est une catastrophe pour le peuple juif que des grands savants juifs aient exprimé leur génie pour le monde des Gentils est proprement ahurissante. Faut-il reprocher à Einstein d’avoir été professeur à l’Université de Berlin puis à Princeton ? C’est une idée délirantequi si elle était appliquée conduirait à la marginalisation complète du peuple juif.
Quand Shmuel Trigano affirme que c’est quand les Juifs assument leur identité collective, ils peuvent s’ouvrir à l’univers entier, il dit ne pas nier que les Juifs puissent s’ouvrir au monde entier, mais il met ses conditions, qui sont extraordinairement vagues. C’est quand même avouez le, faire preuve d’arrogance.
Schlomo Sand se fait traiter de pauvre type et de cas pathologique parce qu’il dit qu’il n’est plus juif, mais c’est tout à fait logique dans son système de pensée puisqu’il démontre que l’élément constitutif de la condition de juif n’est pas autre chose que la religion juive. Je ne suis pas croyant, dit-il, donc je ne suis plus juif. On ne va quand même pas insulter quelqu’un qui dit : « je ne suis plus catholique ».
Et j’ai une question : que peuvent penser les Palestiniens, grands oubliés de cet entretien, de tout ça ?
Je résume : l’approche de Shmuel Trigano totalement religieuse , est hautement irrationnelle, de ce fait elle ferme le dialogue. Shmuel Trigano est pour un repli sur lui-même du peuple juif, il n’a que mépris pour une modernité non-juive qui à ses yeux ne favorise pas assez le peuple juif. Il se livre à une exaltation religieuse de ce peuple basé sur la transcendance, avec une idée de supériorité très suspecte sur les autres peuples qui sont dépourvus de cette transcendance. Il participe à l’instrumentalisation du judaïsme par le sionisme et ne dit pas que le sionisme est la cause d’un conflit dont le peuple Palestinien est la victime, frappé par une occupation qui s’éternise, les spoliations, des intimidations et qui se voit privé d’avenir.
Victor Malka a semblé, tout au long de l’entretien approuver son interlocuteur mais comme il est beaucoup plus ouvert et moins extrémiste que lui,
il n’a pas fait preuve d’une grande franchise, ce qu’on pourrait lui reprocher.