La veille de cette émission, sur Facebook Hubert Huertas et Brice Couturier croisent le fer : le premier accusant le second de "Trumpisme" au prétexte que le futur président des USA, tout comme son ami et collègue, critique de façon globale les médias. Il faut ne pas avoir écouté les éditos de Couturier pour l'accuser de rouler pour Trump, et il faut raisonner bien étrangement pour taxer Couturier d'une quelconque convergence avec Trump parce qu'en 2016 ce dernier a dans certaines de ses communications, usé d'un trait argumentaire que Brice Couturier avait mis à son étal depuis déjà 12 ans. Il aurait été plus juste et pas moins comique de prétendre que c'est Trump qui est devenu 'couturiériste'. Mais que voulez-vous, c'est du Huertas. Ainsi l'on voit par quelle sorte de journaliste fut dirigé le Service politique de la Rédaction de France Culture quand au début de l'année 2012 vint le temps de remplacer un président UMP par un président PS, et on ne s'étonne pas qu'à France Culture ait lieu une nouvelle levée de boucliers contre un journaliste qui pendant 5 ans se démarqua quotidiennement de la norme idéologique en vigueur dans la maison.
Le dommage pour le parti des médias dont France Culture prend la défense en tentant de démontrer qu'il n'existe pas et qu'il n'est que vue de l'esprit, c'est que si l'on accueille Couturier pour lui donner la parole et éventuellement tâcher de discuter sa thèse, dans les faits on ne cesse de lui donner raison en se conduisant exactement comme Couturier le décrit : par la leçon de morale, par le prêchi-prêcha, et par le biais du jugement appliqué à l'information.
Soucieux de prendre la défense de la classe journalistique, Guillaume Erner se cramponne au principe du fact-checking, comme si le fact-checking était l'alpha et l'oméga de la rigueur journalistique. Hélas c'est loin d'être le cas : on peut biaiser une information factuellement juste, en la présentant de façon orientée ; et l'on peut aussi biaiser la couleur générale de l'information par un choix judicieux des faits que l'on reportera : ils seront tous authentiques, mais d'autres faits qui entrent en contradiction seront laissés dans l'ombre quoique tout aussi authentiques. On peut saturer le public avec des informations bien choisies et délaisser celles qui pourraient le pousser à se mal conduire (comprendre : voter à rebours du souhait dont est porteur le parti des médias). Certes l'expression de 'parti des médias' est contestable, en ce qu'elle semble induire une organisation concertée ce qui est peu crédible. Mais elle correspond à une réalité qui n'a pas encore été assez analysée.
Depuis une dizaine de jours, les médias français (et ils ne sont pas les seuls) sont en pleine tempête : pour une écrasante majorité de journalistes, il était évident que le meilleur choix pour les USA était Hillary Clinton, et il était presque aussi évident que le peuple Américain voterait en ce sens. La réalité a démenti ce souhait qui, déguisé en pronostic, masquait à peine une prise de position. Mais la faute professionnelle qui a empêché ces braves gens de prévoir correctement la suite des événements, et avant tout d'informer de façon conforme à l'idéal du métier, cette faute persiste alors même que l'échec a été constaté : Guillaume Erner persiste à employer le terme de 'catastrophe' pour parler de la présidence Trump à venir. Or nous n'en sommes pas là. Le mandat ni l'action politique de Donald Trump ne sont pas encore entamés mais ça n'empêche pas Erner (et à toute heure la rédaction de France Culture) de les juger 'catastrophiques'. A tout le moins on comprendrait qu'un journaliste dise son inquiétude, ou rende compte de l'inquiétude du peuple (ou de celle des élites, d'ailleurs). Mais de catastrophe, point. Le sommet en ce genre a été atteint par Nicole Gnesotto qui, vers 11h30 ce dimanche dans l'Esprit Public, déplore la situation où se trouve maintenant l'Europe, aux mains de deux dictatures : la première des deux étant les Etats-Unis d'Amérique, la seconde étant la Turquie qui "dirige l'OTAN". L'Amérique = une dictature ; et l'OTAN dirigé par la Turquie. Voila comment s'exprime le parti des médias. Non que Donald Trump ou Erdogan soient des personnages spécialement sympathiques, mais enfin par quel fact-checking de tels propos peuvent-ils se prétendre étayés ? Réponse : par aucun, mais uniquement par la prise de position de Madame Gnesotto. Quand les journalistes ne jouent pas à faire du spectacle sur un non-événement, ils ne peuvent pas s'empêcher de tenter l'allumage des bombes émotionnelles par lesquelles ils s'assurent l'entrée dans les représentations. Le parti des médias existe bien, sinon comme un parti du moins comme un mouvement social peu formalisé et pourtant bien réel, et France Culture en est une de ses émanations les plus manifestes.