Forum des auditeurs passionnés et critiques de France Culture

Mouais, OPA a un discours calibré pour son auditoire, et celui des matins est (supposé être) le plus intéressé par l'actupolitique.

Mitsouko a écrit:Je crois que ces données remettent les idées en place quant à l'importance de France Culture dans le paysage médiatique et quant à la façon dont la direction cherche à employer ces résultats.

Oui, mais on sait depuis toujours que FC est une station plutôt confidentielle. Mais même dans cette situation, l'argument de la recherche de l'audience n'est pas si simple à attaquer, pour une radio qui a vocation à *diffuser* de la *culture*.

J'en parlais quelques posts plus haut, à mon sens, il est juste de penser que FC vise à optimiser le produit de ces deux termes, ou disons plus simplement, à chercher le meilleur compromis entre les deux.

Concernant l'augmentation de l'audience cumulée de France Culture, sur le long terme, depuis dix ans elle est difficilement contestable. Sur les chiffres que j'ai pu glaner et recouper, elle était de 0,8% en 2000 (source Radioactu.com), 1,2% en 2005 (source JP Cluzel via Acrimed), 1,4% en 2009 (source Wikipedia) et donc 1,8% en 2011, soit 125% d'augmentation en 10 ans (de 400 000 à 950 000 auditeurs).

A mon avis, l'attaque ne peut porter que sur la quantité des concessions à apporter, côté culture, en retour de cette augmentation de la diffusion effective. Alors certes, il est beaucoup plus dur de mesurer quelque chose comme la densité culturelle du programme, que l'audience cumulée, mais il me semble qu'en comparant d'un programme de 2000 (ou 1999, ou 1997 suivant les goûts de chacun) et d'un de 2011, en première approximation, on pourrait y classer les émissions sur une base proposée par Nessie, celle qui distingue le stock du flux.

Dès ce niveau d'analyse, il est possible qu'il apparaisse que la quantité d'émissions à contenu de type "stock" transmise, fois le nombre de paires d'oreille, a baissé, en net. Ça disqualifierait complètement le discours sur l'audience, mais c'est à vérifier honnêtement.

La recherche d'audience n'est pas une tare et elle fait aussi partie de la vocation de la station ; je regrette simplement qu'au lieu de chercher un équilibre, on ne fait qu'abandonner l'idée qu'un programme culturel peut aussi faire de l'audience, et le contenu politique est passé du statut de renfort à celui de corps principal de programmation, avec une contamination progressive : tout sujet culturel ne vaut que s'il illustre un sujet politique et/ou social. On voit mal France Musique passer sa programmation au crible d'une lecture politique et social, car elle fait encore confiance en la valeur de sa vocation d'origine. C'est quand France Culture nous dit "La culture, oui mais..." que les choses dégénèrent.

Il y a 12 ans on avait le double langage de Laure Adler : bons sentiments + amûûûûr de la station radio France-Culture, couplés avec un management par l'éjection violente + la liquidation méthodique de tout ce qui avait fait l'ambiance sonore de France Culture depuis le début des 80's. Il lui a fallu 5 ans pour qu'il n'en reste plus que des miettes, dans un France Culture dépouillé de culture et dévolu à une idéologie où voisinaient un humanisme pour adolescents, et côté artistique un branchysme post-lang (Jack).

Aujourd'hui nous sommes en droit de redouter un autre cas de double langage avec Olivier Poivre d'Arvor, qui prétend faire de la culture mais renforce l'actu. Qui argue de faire du documentaire mais ne promeut que du reportage. Qui a renforcé l'engagement politique de la chaine dans un sens dominant, au mépris du service public. Qui argue que tout le monde est formidable, que les producteurs sont géniaux, que les auditeurs sont des amours la preuve ils sont un million. Il tartine un peu à la façon de Raphaël Enthoven jadis entre 9 et 10 : pommadage en gros. Que penser de ces exercices de pommadage : on sait qu'ils ont usuellement pour fonction d'endormir les naïfs et de dissimuler un authentique mépris, au service d'un arrivisme personnel.

On aimerait bien croire que Poivre ne correspond pas à ce tableau. Alors on se penche derechef sur ce qu'il nous offre : hélas avec dose croissante de crême, c'est toujours moins de culture, toujours plus de soupe. Mais une radio qui est de plus en plus de la télé mal maquillée. Avec des tours inspirés du modèle télé, et -là est son originalité- de l'info qui manipule à la tonne, comme on n'en avait jamais entendu sur la fréquence.

Et il vend ça comme un projet culturel. Dont un des plus fiers exemples est ici, dans le fil Taddéi (et là on clique, puis on craque)

OPA fait parler de lui aujourd'hui, surtoute en raison de son soutien à François Hollande dans une tribune dans l'Express. Voici un article assez cinglant sur la question, où l'on apprend qu'OPA se fait "chambrer pour ses ambitions ministérielles", lui qui avait d'abord soutenu Martine Aubry, puis Hollande, toujours dans l'espoir de pouvoir briguer un poste ministériel :

http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/emmanuel-berretta/nicolas-sarkozy-titille-radio-france-la-ou-ca-fait-mal-01-03-2012-1436694_52.php

Ce qui me désole le plus, c'est l'exemple déplorable qu'OPA représente pour ses troupes : toute décence, pudeur et politesse ont disparu et on n'est plus capable de se retenir. On décide que l'engagement politique menant à la consigne de vote est beaucoup plus important que les missions et l'identité d'une station. Elle peut servir de paillasson. Et les auditeurs, vague foule molle et malléable, méritent sans aucun scrupule que l'on transforme en profondeur leur station, pourvu qu'elle s'aligne sur un discours politique répété, ressassé et présenté comme une évidence journalistique.
Il est utile de relire ce que dit Finkie quand il parle de la discipline de soi : se retenir, c'est être civilisé. Ne même plus comprendre que l'on enfreint toutes sortes de règles éthiques, déontologiques, professionnelles, c'est atteindre un nouveau degré dans le mépris de l'institution qui vous accueille (le plus temporairement possible, je l'espère).
Ce petit incident permet aussi de constater qu'on n'écoute sans doute pas (du tout) la station dans le cercle présidentiel : pouvoir évacuer à ce point le programme culturel pour le remplacer par de la contestation systématique, c'est que les coudées sont franches. Si le pouvoir politique devrait intervenir, ce serait pour obliger la station (de service public, rappelons-le) à respecter son cahier des charges. Je commence à comprendre pourquoi OPA est aussi obsédé par ses résultats d'audience. Son petit spot de pub, avec son côté "Depuis que j'utilise Petrol Hahn, ma station a doublé ses chiffres grâce au fait que nous sommes tous extraordinaires et très gentils et très forts", s'adresse en réalité aux prescripteurs politiques. Nous étions habitués à divers styles de direction, mais celui-ci, en terme de cynisme et d'ambitions avouées, emporte le gâteau, comme disent les Anglais.

On dirait que le Syndicat National des Journalistes de Radio France Culture n'apprécie pas vraiment ce mélange des genres :

http://www.snj.fr/spip.php?article4259

"Olivier Poivre D’Arvor, ça suffit !

--------------------------------------------------------------------------------
Ce matin sur France Inter, Nicolas Sarkozy a passé de très longues secondes (une minute vingt trois !) à critiquer la tribune d’Olivier Poivre d’Arvor dans l’Express. Le directeur de France Culture fait campagne pour François Hollande.

Le 12 octobre, nous avions déjà dénoncé le mélange des genres, en mesurant nos mots pour poser le problème sans nous attaquer aux personnes : « Nous avons de l’estime pour vous, avions nous écrit, ayez-en pour nos équipes. Ne nous obligez plus à écrire ce genre de texte, au nom des rédactions. Ne mettez plus vos radios dans l’embarras. Et si c’était impossible, tirez-en les conclusions. »

Nous n’avons pas été entendus. Après avoir soutenu Martine Aubry, Olivier Poivre d’Arvor s’est mis à manifester bruyamment son soutien pour François Hollande.

En prenant publiquement position pour un candidat, il a mis en péril la crédibilité de toutes les chaînes de Radio France, et nous ne pouvons rien répondre au Président candidat quand il attaque notre maison. Nous sommes fragilisés par les dérives ou les légèretés de nos responsables.

En n’édictant pas de règles, la direction de Radio France permet cette confusion.

Nous avons souligné, à maintes reprises, combien la nomination directe du PDG de Radio France par le Président de la République était grave, car elle créait la suspicion. Nous le maintenons.

Notre discours est le même quand un directeur de chaîne dérape, pour la gauche, la droite, le centre, ou tout ce qu’on peut imaginer.

Le SNJ demande à Jean-Luc Hees un rendez-vous urgent sur ce cas particulier, mais aussi sur les règles de fonctionnement qui doivent garantir la crédibilité que toutes nos rédactions s’acharnent à préserver, et à prouver.

Paris,"

Le Monde relaie l'affaire aussi, avec un désaveu sévère de la part de JL Hees :

"Interrogé, vendredi 2 mars, par la Société des journalistes, M. Hees a répondu : "C'est dommageable pour notre maison, et ça ne se reproduira pas. Notre maison, qui est irréprochable, ne peut perdre ne serait-ce qu'une once de son crédit en raison de l'attitude condamnable de l'un de ses dirigeants."

http://www.lemonde.fr/politique/article/2012/03/03/mis-en-cause-par-sarkozy-olivier-poivre-d-arvor-est-critique-a-radio-france_1651459_823448.html

"(...) qui est irréprochable", une relative dont J.L Hees pouvait facilement se passer et qui informe, soit sur son degré de lucidité, soit sur son niveau d'honnêteté, ou encore sur le sens qu'il donne aux mots.

Radio France est de toute manière malade, profondément, de ses rapports avec l'Exécutif. Ce n'est pas récent, évidemment, mais les conditions actuelles de désignation de ses dirigeants n'ont pu que radicaliser ce soupçon permanent de partialité.

La position de Poivre vert est évidemment scandaleuse et odieuse, à la fois en tant qu'elle met en cause l'ensemble de la station et qu'elle n'est, au surplus, qu'un signe supplémentaire d'une stratégie courtisane destinée à se placer, stratégie dans laquelle les principes moraux et les convictions n'ont à mon sens qu'une importance seconde.

Mais ce pauvre Hees se trouve désormais coincé dans un redoutable piège : ne pas sanctionner Poivre vert, c'est prêter le flanc de plus belle aux critiques lâchées par le présicandidat contre les ondes de service public, dont on ne peut effectivement dire qu'elles soient bien sévères pour l'opposition et bien tendres pour la majorité. Le sanctionner, c'est relancer le soupçon permanent d'assujettissement à un pouvoir dont la frénésie actuelle devant une défaite possible le 6 mai n'a selon moi d'équivalent que dans la danse du scorpion dans le cercle de feu, et se désigner soi-même à la vindicte d'un nouveau pouvoir éventuel dont, je le crains, les grandes déclarations réformatrices sur l'indépendance de l'audiovisuel public risquent de baisser d'un ton en cas de victoire.

Il y a pire, je le crains : faire porter le chapeau à Poivre, c'est s'imaginer que la dérive dans l'information est de son fait.

Or l'intoxication permanente de Huertas & Cie ne peut pas résulter d'un ukase venu du sommet. Il y faut le désir de toute une équipe de décideurs dans les conférences de rédaction, cela avec une foi, une constance, et une complète absence de scrupules journalistiques.

Je suis donc fort surpris de voir le syndicat des journalistes, qui vient de laisser passer 2 années de manipes, monter au créneau parce qu'en dehors de la station un type ambitieux se cherche un destin ministériel. On n'a pas attendu ce sketch pour enterrer la crédibilité de l'info que nous fabrique la Rédaction de France Culture.

C'est certain, la rédaction de FC n'a pas attendu ce directeur pour transgresser toutes les règles du métier. On peut penser, en revanche, par jeu de sympathies politiques mutuelles, que celui-ci ne fait absolument rien pour cadrer ses troupes, et que les réflexes de journalisme engagé jadis tolérés sont à présents encouragés et démultipliés. Quand on veut se faire aimer à ce point pour tous, et que l'on partage les mêmes idées politiques, les cartes blanches ainsi distribuées mènent au pire... Dans ce cas, on pourrait lire le communiqué du SNJ comme ceci : "Nous bidonnons l'information quotidiennement, mais avec une certaine habileté. En revanche, OPA et sa tribune pro-Hollande risquent de faire chavirer la barque."

En même temps, les ondes radiophoniques, qu'elles soient privées ou publiques, ne sont-elles pas en voie de "RAIsation"? Je fais référence ici au partage en appartements politiques de la radio-télévision italienne dans les années 1970, avec une chaîne pour la Démocratie Chrétienne, une chaîne pour le PCI, une chaîne pour le centre-gauche laïque, etc. (on pourrait aussi évoquer le modèle néerlandais où la représentation des sensibilités politiques et religieuses, héritage de la pillarisation, est consubstantielle au modèle même de l'audiovisuel public batave).

Car où que l'oreille se porte, il me semble que ce n'est guère l'objectivité et le balancement du traitement journalistique de l'actualité qui domine. je mets à part, évidemment, les stations dont le parti-pris idéologique est assumé, telle Radio Libertaire ou Radio Courtoisie. On me dira que le style des radios périphériques privées importe moins car, n'étant pas un bien public, elles ne sauraient être astreintes au respect de l'ensemble des sensibilités qui traversent son auditorat, qui n'est pas sa source directe de financement. Certes. Mais un quart d'heure d'écoute de RTL, par exemple (ma radio d'enfance...on ne devrait jamais confronter son enfance au présent) donne l'impression d'un pays assiégé par l'Anti-France, Anti-France qui, curieusement, correspond exactement aux contours des catégories dont FC et, plus largement, Radio France seraient les défenseurs et les propagandistes infatigables. Une exception qu'il me coûte de relever au regard du populisme épais et de la médiocrité revendicative de cette station : RMC : pas d'objectivité, mais toutes les opinions, même les plus grotesques, y ont droit de cité.

Dans le cas de FC, il me semble malgré tout que, chez un auditorat, disons, modéré, ou conservateur, la ligne de la station est contestable car elle repose sur cette prémisse que l'intelligence est à gauche. Cette prémisse entre en résonance avec une thèse fondamentale exprimée sur ce forum, à savoir que FC ne serait plus une radio culturelle, en vertu de quoi le gauchissement des informations serait symétrique de l'"hilotisation" des productions.

A dire vrai, mais c'est un débat trop important pour ne pas faire l'objet d'une longue réflexion, je me demande si FC, dans sa version actuelle, n'est pas, plus, le siège d'une nouvelle forme d'une radio culturelle qui peine à advenir que le signe d'une décadence d'une forme ancienne de la radiophonie à vocation culturelle qui n'a peut-être plus la même pertinence, en tous cas dans sa forme. Un jour, peut-être, j'exposerai mes idées sur ce sujet, lorsqu'elles seront moins confuses dans mon esprit et dépasseront le stade de la sensation.