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Henri Maldiney avec Alain Veinstein Page 4 sur 8
Bas de page ↓Hottento
Invité
31Entre parenthèses. - Mer 22 Juin 2011, 23:38
C\'est quoi un artiste authentique ?(un)Hottentote.(un)Knx
Philomène
32Re: Henri Maldiney avec Alain Veinstein - Mer 22 Juin 2011, 23:42
Je crois que vous nous avez bien fait gouter cette poésie. Merci François.
Dans le rythme, il ne faut pas oublier, les répétions (signifiantes) des deux premières strophes du poème entier. Les 3 strophes sont des variations du même « thème ». Mes remarques portaient sur le poème entier… Je n’avais pas remarqué toutes les allitérations.
Pour moi, les symboles ne sont pas des mots. Les mots ne peuvent qu’évoquer un symbole, jamais le définir totalement. Les mots sont des lettres mortes, tandis que les symboles sont chargés (plus ou moins) d’affects. Et le jeu des symboles forme la vivante signification (qui peut différer fortement d’une personne à une autre).
Vous mettez la « barre » de l’exigence artistique très, très haute. Il ne doit plus rester beaucoup de monde dans le cercle des poètes authentiques ! J’angoisse à l’idée de vous demander qui ils sont… Non, ne dites rien, je crois qu’il vaut mieux se faire une idée par soi-même.
Encore merci à vous.
Dans le rythme, il ne faut pas oublier, les répétions (signifiantes) des deux premières strophes du poème entier. Les 3 strophes sont des variations du même « thème ». Mes remarques portaient sur le poème entier… Je n’avais pas remarqué toutes les allitérations.
Pour moi, les symboles ne sont pas des mots. Les mots ne peuvent qu’évoquer un symbole, jamais le définir totalement. Les mots sont des lettres mortes, tandis que les symboles sont chargés (plus ou moins) d’affects. Et le jeu des symboles forme la vivante signification (qui peut différer fortement d’une personne à une autre).
Vous mettez la « barre » de l’exigence artistique très, très haute. Il ne doit plus rester beaucoup de monde dans le cercle des poètes authentiques ! J’angoisse à l’idée de vous demander qui ils sont… Non, ne dites rien, je crois qu’il vaut mieux se faire une idée par soi-même.
Encore merci à vous.
Hottento
Invité
33Authentique. - Mer 22 Juin 2011, 23:57
Ah non Basil, ne reculons pas devant les grandes questions : c\'est quoi un artiste authentique ?(un)Hottentote.(un)Knx
antonia
34Re: Henri Maldiney avec Alain Veinstein - Jeu 23 Juin 2011, 08:16
Hottentote: pour authentique,je suppose que vous pouvez vous reporter comme moi au petit Robert : "Qui exprime une vérité profonde de l'individu et non des habitudes superficielles, des conventions"
mais votre question, au delà de la provocvation , exprime notre inquiétude: comment reconnaitre un véritable artiste?
je crois que, justement, Henri Maldiney , donne des clés avec ces concepts, qu'il faut se donner le temps d'assimiler: rythme, vide, ouverture.
Cela a l'air d'être tout un apprentissage que de reconnaitre où il y a du rythme,du vide . Le rythme, c'est très flagrant dans le poëme de Verlaine, mais dans une peinture, cela ne saute pas aux yeux. le vide, non plus. Par contre, l'ouverture me semble plus évidente.
mais votre question, au delà de la provocvation , exprime notre inquiétude: comment reconnaitre un véritable artiste?
je crois que, justement, Henri Maldiney , donne des clés avec ces concepts, qu'il faut se donner le temps d'assimiler: rythme, vide, ouverture.
Cela a l'air d'être tout un apprentissage que de reconnaitre où il y a du rythme,du vide . Le rythme, c'est très flagrant dans le poëme de Verlaine, mais dans une peinture, cela ne saute pas aux yeux. le vide, non plus. Par contre, l'ouverture me semble plus évidente.
Philomène
35Re: Henri Maldiney avec Alain Veinstein - Jeu 23 Juin 2011, 11:25
Antonia, Hottentote,
Le rythme, dans un tableau, je le chercherai dans la répétition des formes (couleurs...) (ou des personnages). Si de telles répétions ont lieu, avec leurs variations, cela crée une sorte de mouvement…
En ce qui me concerne le problème est moins dans l’identification d’un « artiste authentique » que de ne pas oublier de sens se dégageant d’une œuvre. Chercher à identifier un « artiste authentique » participe à la falsification des artistes… Cherchons les « artistes authentiques » et nous tombons mécaniquement dans le schéma caricatural exprimé par le tableau de Tansey que j’ai donné en exemple.
Le rythme, dans un tableau, je le chercherai dans la répétition des formes (couleurs...) (ou des personnages). Si de telles répétions ont lieu, avec leurs variations, cela crée une sorte de mouvement…
En ce qui me concerne le problème est moins dans l’identification d’un « artiste authentique » que de ne pas oublier de sens se dégageant d’une œuvre. Chercher à identifier un « artiste authentique » participe à la falsification des artistes… Cherchons les « artistes authentiques » et nous tombons mécaniquement dans le schéma caricatural exprimé par le tableau de Tansey que j’ai donné en exemple.
françois
36Re: Henri Maldiney avec Alain Veinstein - Ven 24 Juin 2011, 20:41
Pour Hottentote (31) :
Bonjour,
C’est une excellente question, mais je la sens un peu ironique. Elle renvoie à une autre : qu’est-ce que l’art ? L’art vrai, l’art authentique. Je laisse Henri Maldiney apporter lui même des éléments de réponse :
« Au fond, ce qui détruit l’authenticité, c’est toujours l’interprétation. … Si l’artiste n’est pas saisi par son œuvre, ce n’est pas un artiste. S’il ne reconnaît pas que son œuvre est plus grande que lui, c’est-à-dire, si à un certain moment, elle ne l’étonne pas, de telle façon qu’il se demande comment elle est là, je n’ai affaire qu’à un fabricant, un artisan supérieur. Et je dois dire que c’est évidemment, et ça a toujours été, l’immense majorité de ceux qu’on a appelés artistes. Il suffit de parcourir soit les galeries parisiennes, soit les galeries du Louvre, pour avoir exactement la même impression. — Beaucoup d’artisans et très peu d’artistes ? — Bien sûr, et tout ça en raison même d’une orientation spécifiquement occidentale, l’avoir, avoir et pas être. Alors, qu’est-ce qu’on peut posséder ? On peut posséder des objets, et l’art n’est pas un objet. Je suis scandalisé quand je suis au Louvre et que je vois une inscription sur une porte : « objets d’art ». Un objet d’art est le contraire d’une œuvre. Une œuvre existe, au sens, non pas trivial, mais au sens exigeant, c’est-à-dire qu’elle doit se tenir hors d’elle-même, et intégrer son « hors ». Tant qu’une œuvre ne se présente pas telle, je ne peux pas l’appeler une œuvre d’art. Et je suis prêt à faire une espèce de découpage brutal entre les œuvres d’art et celles qui prétendent l’être. »
Je parlais d’art authentique, dans un message précédent, pour faire la différence entre l’art vrai et l’art fabriqué du genre de ce tableau de Tansey. Pour « l’art vrai », relisez ce qui précède. Je suis tout disposé à répondre à vos questions si vous en avez.
Bonjour,
C’est une excellente question, mais je la sens un peu ironique. Elle renvoie à une autre : qu’est-ce que l’art ? L’art vrai, l’art authentique. Je laisse Henri Maldiney apporter lui même des éléments de réponse :
« Au fond, ce qui détruit l’authenticité, c’est toujours l’interprétation. … Si l’artiste n’est pas saisi par son œuvre, ce n’est pas un artiste. S’il ne reconnaît pas que son œuvre est plus grande que lui, c’est-à-dire, si à un certain moment, elle ne l’étonne pas, de telle façon qu’il se demande comment elle est là, je n’ai affaire qu’à un fabricant, un artisan supérieur. Et je dois dire que c’est évidemment, et ça a toujours été, l’immense majorité de ceux qu’on a appelés artistes. Il suffit de parcourir soit les galeries parisiennes, soit les galeries du Louvre, pour avoir exactement la même impression. — Beaucoup d’artisans et très peu d’artistes ? — Bien sûr, et tout ça en raison même d’une orientation spécifiquement occidentale, l’avoir, avoir et pas être. Alors, qu’est-ce qu’on peut posséder ? On peut posséder des objets, et l’art n’est pas un objet. Je suis scandalisé quand je suis au Louvre et que je vois une inscription sur une porte : « objets d’art ». Un objet d’art est le contraire d’une œuvre. Une œuvre existe, au sens, non pas trivial, mais au sens exigeant, c’est-à-dire qu’elle doit se tenir hors d’elle-même, et intégrer son « hors ». Tant qu’une œuvre ne se présente pas telle, je ne peux pas l’appeler une œuvre d’art. Et je suis prêt à faire une espèce de découpage brutal entre les œuvres d’art et celles qui prétendent l’être. »
Je parlais d’art authentique, dans un message précédent, pour faire la différence entre l’art vrai et l’art fabriqué du genre de ce tableau de Tansey. Pour « l’art vrai », relisez ce qui précède. Je suis tout disposé à répondre à vos questions si vous en avez.
Dernière édition par françois le Sam 25 Juin 2011, 15:47, édité 1 fois (Raison : incomplet)
françois
37Re: Henri Maldiney avec Alain Veinstein - Sam 25 Juin 2011, 19:48
Pour Basil (32) :
Oui, vous avez raison au sujet des trois strophes qui forment un tout. Je me suis seulement concentré sur les vers cités. Vous dites que les symboles ne sont pas des mots et, sans doute, pensez-vous qu’ils sont plus que des mots. Il faudrait savoir ce que vous entendez par symbole, quelle portée ce terme a pour vous. Ce qui me gêne toujours avec cette notion, c’est qu’elle est séparatrice. Le symbole est un étant qui renvoie à autre chose qu’à lui-même. Rappelez-vous la définition donnée par Merleau-Ponty, là où il est question de l’argent. « Qu’est-ce qu’un symbole ? C’est un étant à partir duquel nous avons ouverture à l’être. Hé bien, à partir de l’argent, nous avons ouverture à tout, à notre existence. Alors, qu’en reste-t-il ? Elle est devenue elle-même un objet. » Seul un objet s’acquiert pour de l’argent. Aujourd’hui, tout est devenu marchandise, même le malheur. Et donc, tout est devenu objet. Car tout est médiatisé, et ça fait monter l’audimat, comprenez-vous ? L’argent symbolise le pouvoir, la jouissance à quoi il donne « ouverture ». Ouverture à l’être, dit Merleau-Ponty. Mais cet être est celui de la métaphysique occidentale, et c’est plus un « avoir » qu’un « être ». Et donc l’être n’est lui-même qu’objet. Ce que l’art n’est justement pas. Ni les éléments fondateurs de son rythme, comme le sont les mots dans la poésie qui, comme je l’ai dit, sont des formes. C’est pourquoi, c’est peut-être aller trop vite que de dire que les mots ne sont que lettre mortes. Ce n’est certainement pas le cas pour Verlaine ! Vous aurez compris qu’en citant Merleau-Ponty Henri Maldiney se fait critique. Cette définition du symbole comme ce qui donne ouverture à l’être rappelle d’ailleurs ce que disait Edmond Ortigues : « l’être ne peut être que dit ». Quelle suffisance ! Le dire dont il s’agit ici ne dit justement rien, il ne fait que représenter. Il fait fi de la présence des choses, et de notre présence à elles, de la manière même dont elles nous sont présentes. Le dire poétique, c’est bien autre chose… Souvenez-vous de la rosace de la cathédrale. Et puis, voyez ces gens qui passent leur temps à discourir. Ce bavard impénitent qui est descendu de la première navette spatiale ne l’aurait même pas remarquée, la rosace…
Vous me dites que je mets la barre de l’exigence artistique très haute. C’est que l’art est pour moi, comme pour Maldiney, non à percevoir (comme un objet), mais à exister (à quoi il nous met en demeure), l’existence étant prise ici, non au sens trivial, dit encore Maldiney, mais au sens exigeant du mot. Exister, c’est être hors de soi à l’avant de soi. Formule énigmatique ! Il faudrait que vous lisiez Penser l’homme et sa folie. Exister, c’est ce à quoi nous sommes appelés, ce que nous rappelle l’œuvre d’art… authentique. Comme vous le dites, il n’y a pas beaucoup de vrais poètes. Mais peu importe le nombre quand quelques vers suffisent :
Nulla unda
Tam profunda
Quam vis amoris
Furibunda.
que l’on traduit par ces autres vers :
Keine Quelle
so tief und schnelle
Als der Liebe
reißend’ Welle.
Ce n’est pas vraiment une traduction, mais un autre poème. Un poème est intraduisible, de même qu’un tableau, qui ne peut être reproduit. L’eau n’est pas la même, elle est celle d’une source profonde dans les vers latins, d’un torrent agité dans les vers allemands. La lumière est toute différente ! Et donc l’“amoris” n’est pas la “Liebe”. Mais surtout, le rythme du poème est radicalement autre. On n’a pas dans l’allemand (Quelle, schnelle, Welle) l’équivalent de nulla unda, profunda, furibunda. C’est à nouveau la musique des syllabes qui est première, laissant la syntaxe loin en arrière. Laissez sonner et résonner Quelle… funda… : la signifiance insignifiable du poème s’impose à vous, au niveau du sentir. Ce sentir sur lequel il faudrait revenir plus longuement, car sans lui rien de ce qu’écrit Maldiney ne peut se comprendre.
Encore un mot, au sujet de la répétition, celle de funda en latin, et de Quelle ou Welle en allemand (les deux mots ont quasiment la même prononciation). « On ne croit vraiment que ce qui n’arrive qu’une seule fois. » Vous vous rappelez ? Alors, qu’en est-il ici ? De ces mots qui se « répètent » ? Hé bien c’est une illusion. De répétition, il n’y en a aucune. Car la forme réelle, ce ne sont pas les mots tels que nous les voyons écrits, porteurs de la signification qu’en donne le dictionnaire. Les mots du poème sont porteurs d’une signifiance insignifiable, non d’une signification qui soit fixée une fois pour toutes, quel que soit l’usage qui en est fait. Le poème, comme toute œuvre d’art, ouvre son propre espace, un espace qui est en auto-mutation. C’est cet auto-mouvement qui exige, à un certain moment, le retour de funda ou de Quelle.
Je vais vous donner un autre exemple. J’ai étudié un chant africain (deux voix féminines) que j’ai entièrement noté. Il est constitué de plusieurs séquences séparées par de brefs moments d’inspiration (il le faut bien !). Et j’ai constaté, après coup, qu’une séquence se présentait identiquement une seconde fois. Répétition ? Sans nul doute, mais seulement au niveau de la partition. Si je procède à une lecture objective (de sons d’une hauteur et d’une durée déterminées) il y a bien une séquence qui se répète. Mais une fois que je suis porté par le rythme même des séquences, il m’est impossible de percevoir une répétition, je ne suis plus dans la perception, mais dans le sentir. Je vais vous en donner la preuve. Ce chant est celui d’une mère qui est accompagnée par sa très jeune fille. Elles ne chantent pas à l’unisson, il s’agit de ce que nous appelons si mal « polyphonie ». Hé bien, c’est tellement peu une répétition, qu’au moment où revient cette séquence, que je repère comme identique sur la partition, la fillette accompagne sa mère d’une tout autre façon. Preuve qu’il n’existe pas de répétition dans ce chant. Les « formes » que nous percevons sur le papier ne sont pas les formes réelles. Il en est de même pour toute musique « authentique ». Voyez ce que j’ai dit à Antonia au sujet d’un simple son : sa forme (en mouvement) n’est pas dans ce que nous entendons, elle est muette. Mais quelle puissance ! « Sonore » signifie bien autre chose que ce que l’on croit (les décibels).
Oui, vous avez raison au sujet des trois strophes qui forment un tout. Je me suis seulement concentré sur les vers cités. Vous dites que les symboles ne sont pas des mots et, sans doute, pensez-vous qu’ils sont plus que des mots. Il faudrait savoir ce que vous entendez par symbole, quelle portée ce terme a pour vous. Ce qui me gêne toujours avec cette notion, c’est qu’elle est séparatrice. Le symbole est un étant qui renvoie à autre chose qu’à lui-même. Rappelez-vous la définition donnée par Merleau-Ponty, là où il est question de l’argent. « Qu’est-ce qu’un symbole ? C’est un étant à partir duquel nous avons ouverture à l’être. Hé bien, à partir de l’argent, nous avons ouverture à tout, à notre existence. Alors, qu’en reste-t-il ? Elle est devenue elle-même un objet. » Seul un objet s’acquiert pour de l’argent. Aujourd’hui, tout est devenu marchandise, même le malheur. Et donc, tout est devenu objet. Car tout est médiatisé, et ça fait monter l’audimat, comprenez-vous ? L’argent symbolise le pouvoir, la jouissance à quoi il donne « ouverture ». Ouverture à l’être, dit Merleau-Ponty. Mais cet être est celui de la métaphysique occidentale, et c’est plus un « avoir » qu’un « être ». Et donc l’être n’est lui-même qu’objet. Ce que l’art n’est justement pas. Ni les éléments fondateurs de son rythme, comme le sont les mots dans la poésie qui, comme je l’ai dit, sont des formes. C’est pourquoi, c’est peut-être aller trop vite que de dire que les mots ne sont que lettre mortes. Ce n’est certainement pas le cas pour Verlaine ! Vous aurez compris qu’en citant Merleau-Ponty Henri Maldiney se fait critique. Cette définition du symbole comme ce qui donne ouverture à l’être rappelle d’ailleurs ce que disait Edmond Ortigues : « l’être ne peut être que dit ». Quelle suffisance ! Le dire dont il s’agit ici ne dit justement rien, il ne fait que représenter. Il fait fi de la présence des choses, et de notre présence à elles, de la manière même dont elles nous sont présentes. Le dire poétique, c’est bien autre chose… Souvenez-vous de la rosace de la cathédrale. Et puis, voyez ces gens qui passent leur temps à discourir. Ce bavard impénitent qui est descendu de la première navette spatiale ne l’aurait même pas remarquée, la rosace…
Vous me dites que je mets la barre de l’exigence artistique très haute. C’est que l’art est pour moi, comme pour Maldiney, non à percevoir (comme un objet), mais à exister (à quoi il nous met en demeure), l’existence étant prise ici, non au sens trivial, dit encore Maldiney, mais au sens exigeant du mot. Exister, c’est être hors de soi à l’avant de soi. Formule énigmatique ! Il faudrait que vous lisiez Penser l’homme et sa folie. Exister, c’est ce à quoi nous sommes appelés, ce que nous rappelle l’œuvre d’art… authentique. Comme vous le dites, il n’y a pas beaucoup de vrais poètes. Mais peu importe le nombre quand quelques vers suffisent :
Nulla unda
Tam profunda
Quam vis amoris
Furibunda.
que l’on traduit par ces autres vers :
Keine Quelle
so tief und schnelle
Als der Liebe
reißend’ Welle.
Ce n’est pas vraiment une traduction, mais un autre poème. Un poème est intraduisible, de même qu’un tableau, qui ne peut être reproduit. L’eau n’est pas la même, elle est celle d’une source profonde dans les vers latins, d’un torrent agité dans les vers allemands. La lumière est toute différente ! Et donc l’“amoris” n’est pas la “Liebe”. Mais surtout, le rythme du poème est radicalement autre. On n’a pas dans l’allemand (Quelle, schnelle, Welle) l’équivalent de nulla unda, profunda, furibunda. C’est à nouveau la musique des syllabes qui est première, laissant la syntaxe loin en arrière. Laissez sonner et résonner Quelle… funda… : la signifiance insignifiable du poème s’impose à vous, au niveau du sentir. Ce sentir sur lequel il faudrait revenir plus longuement, car sans lui rien de ce qu’écrit Maldiney ne peut se comprendre.
Encore un mot, au sujet de la répétition, celle de funda en latin, et de Quelle ou Welle en allemand (les deux mots ont quasiment la même prononciation). « On ne croit vraiment que ce qui n’arrive qu’une seule fois. » Vous vous rappelez ? Alors, qu’en est-il ici ? De ces mots qui se « répètent » ? Hé bien c’est une illusion. De répétition, il n’y en a aucune. Car la forme réelle, ce ne sont pas les mots tels que nous les voyons écrits, porteurs de la signification qu’en donne le dictionnaire. Les mots du poème sont porteurs d’une signifiance insignifiable, non d’une signification qui soit fixée une fois pour toutes, quel que soit l’usage qui en est fait. Le poème, comme toute œuvre d’art, ouvre son propre espace, un espace qui est en auto-mutation. C’est cet auto-mouvement qui exige, à un certain moment, le retour de funda ou de Quelle.
Je vais vous donner un autre exemple. J’ai étudié un chant africain (deux voix féminines) que j’ai entièrement noté. Il est constitué de plusieurs séquences séparées par de brefs moments d’inspiration (il le faut bien !). Et j’ai constaté, après coup, qu’une séquence se présentait identiquement une seconde fois. Répétition ? Sans nul doute, mais seulement au niveau de la partition. Si je procède à une lecture objective (de sons d’une hauteur et d’une durée déterminées) il y a bien une séquence qui se répète. Mais une fois que je suis porté par le rythme même des séquences, il m’est impossible de percevoir une répétition, je ne suis plus dans la perception, mais dans le sentir. Je vais vous en donner la preuve. Ce chant est celui d’une mère qui est accompagnée par sa très jeune fille. Elles ne chantent pas à l’unisson, il s’agit de ce que nous appelons si mal « polyphonie ». Hé bien, c’est tellement peu une répétition, qu’au moment où revient cette séquence, que je repère comme identique sur la partition, la fillette accompagne sa mère d’une tout autre façon. Preuve qu’il n’existe pas de répétition dans ce chant. Les « formes » que nous percevons sur le papier ne sont pas les formes réelles. Il en est de même pour toute musique « authentique ». Voyez ce que j’ai dit à Antonia au sujet d’un simple son : sa forme (en mouvement) n’est pas dans ce que nous entendons, elle est muette. Mais quelle puissance ! « Sonore » signifie bien autre chose que ce que l’on croit (les décibels).
françois
38Re: Henri Maldiney avec Alain Veinstein - Dim 26 Juin 2011, 10:06
à Hottentote (33) :
Vous avez raison, c’est réellement une grande question, à laquelle on ne peut répondre en deux coups de cuillère à pot. Et puis, reportez-vous à ce que dit Henri Maldiney : « …la réponse, on la sollicite de la chose même. Encore faut-il pouvoir avoir ouverture à la chose. Et c’est le maintien de cette ouverture qui définit la pensée vraie telle que doit être toute philosophie. » Ce que l’on peut rapprocher de : « l’être des choses n’est pas ce pour quoi immédiatement elles se donnent ». Et donc, pour répondre à votre question, il vous faut avoir ouverture à l’art. Personne ne pourra répondre à votre place. Quelqu’un le ferait-il, étant lui-même ouvert à la chose, sa réponse ne saurait vous satisfaire si vous-même n’êtes pas ouverte à ce dont il est question. Voyez l’exemple des vases chinois de l’époque Sung. Vous ne pouvez comprendre ce que dit Maldiney au sujet de l’articulation du plein et du vide si vous n’êtes pas en présence de telles œuvres (ou, du moins, si vous ne l’avez jamais été). Dans l’entretien, suite à ce qu’il dit au sujet de ces vases, la question suivante lui est posée : « Mais les livres ressemblent un peu aux vases dont vous parlez ? » Voici sa réponse, que je vous invite à méditer : « Les livres, ils devraient. Ce n’est pas, si vous voulez, de fixer des formules. Celles-ci sont importantes parce qu’elles détournent des fausses formules. Elles posent toujours des exigences d’expériences qui sont à faire et vous obligent à faire l’expérience ou à vous retirer. L’enveloppe d’un livre, que vous ne pouvez pas vouloir, qui finalement résulte de toute une série de notations, je dirais, oui, toute une série de présences qui se rejoignent dans l’unité d’une seule. C’est ça ! Hors de là, je ne pense pas qu’on puisse parler d’une pensée. Non. Personne ne peut penser à la place d’un autre. Mais il peut offrir l’occasion de ne pas penser à côté. »
Vous avez raison, c’est réellement une grande question, à laquelle on ne peut répondre en deux coups de cuillère à pot. Et puis, reportez-vous à ce que dit Henri Maldiney : « …la réponse, on la sollicite de la chose même. Encore faut-il pouvoir avoir ouverture à la chose. Et c’est le maintien de cette ouverture qui définit la pensée vraie telle que doit être toute philosophie. » Ce que l’on peut rapprocher de : « l’être des choses n’est pas ce pour quoi immédiatement elles se donnent ». Et donc, pour répondre à votre question, il vous faut avoir ouverture à l’art. Personne ne pourra répondre à votre place. Quelqu’un le ferait-il, étant lui-même ouvert à la chose, sa réponse ne saurait vous satisfaire si vous-même n’êtes pas ouverte à ce dont il est question. Voyez l’exemple des vases chinois de l’époque Sung. Vous ne pouvez comprendre ce que dit Maldiney au sujet de l’articulation du plein et du vide si vous n’êtes pas en présence de telles œuvres (ou, du moins, si vous ne l’avez jamais été). Dans l’entretien, suite à ce qu’il dit au sujet de ces vases, la question suivante lui est posée : « Mais les livres ressemblent un peu aux vases dont vous parlez ? » Voici sa réponse, que je vous invite à méditer : « Les livres, ils devraient. Ce n’est pas, si vous voulez, de fixer des formules. Celles-ci sont importantes parce qu’elles détournent des fausses formules. Elles posent toujours des exigences d’expériences qui sont à faire et vous obligent à faire l’expérience ou à vous retirer. L’enveloppe d’un livre, que vous ne pouvez pas vouloir, qui finalement résulte de toute une série de notations, je dirais, oui, toute une série de présences qui se rejoignent dans l’unité d’une seule. C’est ça ! Hors de là, je ne pense pas qu’on puisse parler d’une pensée. Non. Personne ne peut penser à la place d’un autre. Mais il peut offrir l’occasion de ne pas penser à côté. »
françois
39Re: Henri Maldiney avec Alain Veinstein - Dim 26 Juin 2011, 12:51
Pour Antonia (34) :
Je crois pouvoir vous aider, Antonia, au sujet du rythme dans la peinture, en faisant à nouveau appel à Henri Maldiney (Le faux dilemme de la peinture : abstraction ou réalité, p. 8 dans Regard, parole, espace) :
« Un regard qui s’attache d’abord à reconnaître en tant qu’image la femme au collier ou la peseuse d’or ou qui, devant la vue de Delft, analyse la disposition des maisons selon l’ordre ordinaire de nos perceptions naturelles, éprouve une sorte de déséquilibre. Il est sans cesse sollicité par des appels marginaux. Il ne peut pas se fixer. En vain cherche-t-il un point de vue d’où il pourrait épuiser le tableau, il est voué à l’errance. S’il est attentif à cette instabilité, il s’aperçoit qu’elle est due à un fait étrange : il ne peut pas s’empêcher de suivre un mouvement lumineux fait d’irradiations soudaines et tout à fait indépendant de l’ordre objectif des images. Et c’est à partir de cette course involontaire du regard que les formes du tableau prennent leur allure, leur structure, leur sens. Dès que le spectateur abandonne son attitude imageante, dès qu’il renonce à percevoir le tableau comme une réplique ornée de la nature, il se produit un remaniement global de la vision et personnages ou paysage émergent à une vie nouvelle qu’animent non plus les souvenirs du monde quotidien, mais la lumière unique de Vermeer. »
Et aussi (p. 9) :
« Un tableau de Vermeer … s’offre à nous comme une expansion lumineuse des formes dans un espace rempli d’une lumière immobile. Ce lent dévoilement du monde nous introduit à un être mystérieusement animé qui se cache derrière l’instantanéité prosaïque de notre première vision. Ce qui nous apparaissait tout d’abord comme choses — objets ou personnages — retourne lentement à l’état de phénomène.
« Ainsi nous avons perdu pied dans le monde des objets quotidiens pour nous retrouver… flottant avec lui dans un autre qui est le monde même de Vermeer. Nous avons retrouvé cet esprit d’enfance qui se meut en dehors de notre monde habituel. »
Ce par quoi le regard se trouve capté, c’est le rythme du tableau. Ce rythme auquel l’image se trouve subordonnée (comme, en poésie, le sens « local » des mots se trouve subordonné au rythme des syllabes, à ce que Maldiney appelle leur « entrée en phase »). Et à propos de « la lumière unique de Vermeer », rappelez-vous l’une des meilleures définitions que l’on puisse donner du rythme, selon Maldiney : l’entrée en présence de l’un. « Le rien s’ouvre et est l’effet même de l’un. » Toute manifestation se produit dans l’ouvert, pour autant que l’ouvert s’ouvre en elle.
La vue de Delft se trouve au Mauritshuis, à La Haye. C’est loin, mais ça en vaut la peine !
Je crois pouvoir vous aider, Antonia, au sujet du rythme dans la peinture, en faisant à nouveau appel à Henri Maldiney (Le faux dilemme de la peinture : abstraction ou réalité, p. 8 dans Regard, parole, espace) :
« Un regard qui s’attache d’abord à reconnaître en tant qu’image la femme au collier ou la peseuse d’or ou qui, devant la vue de Delft, analyse la disposition des maisons selon l’ordre ordinaire de nos perceptions naturelles, éprouve une sorte de déséquilibre. Il est sans cesse sollicité par des appels marginaux. Il ne peut pas se fixer. En vain cherche-t-il un point de vue d’où il pourrait épuiser le tableau, il est voué à l’errance. S’il est attentif à cette instabilité, il s’aperçoit qu’elle est due à un fait étrange : il ne peut pas s’empêcher de suivre un mouvement lumineux fait d’irradiations soudaines et tout à fait indépendant de l’ordre objectif des images. Et c’est à partir de cette course involontaire du regard que les formes du tableau prennent leur allure, leur structure, leur sens. Dès que le spectateur abandonne son attitude imageante, dès qu’il renonce à percevoir le tableau comme une réplique ornée de la nature, il se produit un remaniement global de la vision et personnages ou paysage émergent à une vie nouvelle qu’animent non plus les souvenirs du monde quotidien, mais la lumière unique de Vermeer. »
Et aussi (p. 9) :
« Un tableau de Vermeer … s’offre à nous comme une expansion lumineuse des formes dans un espace rempli d’une lumière immobile. Ce lent dévoilement du monde nous introduit à un être mystérieusement animé qui se cache derrière l’instantanéité prosaïque de notre première vision. Ce qui nous apparaissait tout d’abord comme choses — objets ou personnages — retourne lentement à l’état de phénomène.
« Ainsi nous avons perdu pied dans le monde des objets quotidiens pour nous retrouver… flottant avec lui dans un autre qui est le monde même de Vermeer. Nous avons retrouvé cet esprit d’enfance qui se meut en dehors de notre monde habituel. »
Ce par quoi le regard se trouve capté, c’est le rythme du tableau. Ce rythme auquel l’image se trouve subordonnée (comme, en poésie, le sens « local » des mots se trouve subordonné au rythme des syllabes, à ce que Maldiney appelle leur « entrée en phase »). Et à propos de « la lumière unique de Vermeer », rappelez-vous l’une des meilleures définitions que l’on puisse donner du rythme, selon Maldiney : l’entrée en présence de l’un. « Le rien s’ouvre et est l’effet même de l’un. » Toute manifestation se produit dans l’ouvert, pour autant que l’ouvert s’ouvre en elle.
La vue de Delft se trouve au Mauritshuis, à La Haye. C’est loin, mais ça en vaut la peine !
Dernière édition par françois le Dim 26 Juin 2011, 13:07, édité 2 fois (Raison : image en plus)
françois
40Re: Henri Maldiney avec Alain Veinstein - Lun 27 Juin 2011, 20:04
Pour Basil (35) :
Le rythme, dites-vous, vous le cherchez dans la répétition des formes. Ce n’est peut-être qu’imparfaitement exprimé (c’est tellement difficile à dire), et pas vraiment faux. Voyez le texte de Maldiney sur la vue de Delft que j’ai publié à l’intention d’Antonia, où il parle du regard voué à l’errance, qui ne parvient pas à se fixer, étant sans cesse sollicité par des appels marginaux, se voyant contraint de suivre un mouvement lumineux fait d’irradiations soudaines. Et, dit-il, c’est à partir de cette course involontaire du regard que les formes du tableau prennent leur allure, leur structure, leur sens. Maintenant, c’est là une expérience qu’il est impossible de faire à partir d’une simple reproduction du tableau (comme celle que j’ai publiée). La photographie détruit la lumière, cette « lumière unique de Vermeer », dont le mouvement ne peut irradier qu’à partir de la toile réelle et des touches réelles du tableau. Reportez-vous à cet autre texte où il est question du glacis chez Rubens. Photographier une peinture, cela revient à la nettoyer de son glacis (qu’il y en ait un ou non, peu importe). Ce qui n’est pas vrai du tableau de Tansey qui, à la limite, peut être remplacé par une simple description, vu qu’il ne fait que représenter une scène tout à fait banale (banale du point de vue de l’art qui, justement, n’est jamais un point de vue).
Le rythme, dites-vous, vous le cherchez dans la répétition des formes. Ce n’est peut-être qu’imparfaitement exprimé (c’est tellement difficile à dire), et pas vraiment faux. Voyez le texte de Maldiney sur la vue de Delft que j’ai publié à l’intention d’Antonia, où il parle du regard voué à l’errance, qui ne parvient pas à se fixer, étant sans cesse sollicité par des appels marginaux, se voyant contraint de suivre un mouvement lumineux fait d’irradiations soudaines. Et, dit-il, c’est à partir de cette course involontaire du regard que les formes du tableau prennent leur allure, leur structure, leur sens. Maintenant, c’est là une expérience qu’il est impossible de faire à partir d’une simple reproduction du tableau (comme celle que j’ai publiée). La photographie détruit la lumière, cette « lumière unique de Vermeer », dont le mouvement ne peut irradier qu’à partir de la toile réelle et des touches réelles du tableau. Reportez-vous à cet autre texte où il est question du glacis chez Rubens. Photographier une peinture, cela revient à la nettoyer de son glacis (qu’il y en ait un ou non, peu importe). Ce qui n’est pas vrai du tableau de Tansey qui, à la limite, peut être remplacé par une simple description, vu qu’il ne fait que représenter une scène tout à fait banale (banale du point de vue de l’art qui, justement, n’est jamais un point de vue).
antonia
41Re: Henri Maldiney avec Alain Veinstein - Lun 27 Juin 2011, 21:35
bonjour françois,
je viens de lire ce message adressé à Basil où vous indiquez qu'on ne peut comprendre ce qu'est le rythme à partir de la photographie de la vue de Delft de Vermeer, mais je ne suis pas d'accord car,en la voyant, j'ai compris immédiatement cette notion de rythme, toute néophyte que je suis.
Il se trouve que , peu après, je suis allée faire une petite promenade dans la forêt voisine.Or, cette année, par suite du débordement du feuillage sur le chemin, qui crée des zones très obscures, alors qu'on trouve ensuite des puits de lumière et enfin, à cause de la variété des espèces et de leur hauteur, il m'a semblé qu'il y avait là un rythme. Ce n'est pas si évident de trouver cela en forêt, souvent les forêts sont monotones.
Peut-être allez-vous trouver que je modifie le sens du mot rythme que vous employez pour les oeuvres d'art?
je viens de lire ce message adressé à Basil où vous indiquez qu'on ne peut comprendre ce qu'est le rythme à partir de la photographie de la vue de Delft de Vermeer, mais je ne suis pas d'accord car,en la voyant, j'ai compris immédiatement cette notion de rythme, toute néophyte que je suis.
Il se trouve que , peu après, je suis allée faire une petite promenade dans la forêt voisine.Or, cette année, par suite du débordement du feuillage sur le chemin, qui crée des zones très obscures, alors qu'on trouve ensuite des puits de lumière et enfin, à cause de la variété des espèces et de leur hauteur, il m'a semblé qu'il y avait là un rythme. Ce n'est pas si évident de trouver cela en forêt, souvent les forêts sont monotones.
Peut-être allez-vous trouver que je modifie le sens du mot rythme que vous employez pour les oeuvres d'art?
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