Il est patent que Rémi Brague aime s'entendre parler, qu'il ne souffre pas la contradiction et qu'il sait flatter.munstead(https://regardfc.1fr1.net/t165p590-repliques-alain-finkielkraut#30205) a écrit: (...) Brague en roue libre. Partir d'un sens du mot auquel l'auteur ne pensait visiblement pas pour, à la Lacan, tirer la couverture à soi et dérouler une petite réflexion fort banale sur la mort à grand renfort de citations (quelle mémoire!) peut impressionner à la première écoute, — un peu comme regarder un trapéziste dans un cirque —mais pas à la seconde. Philosophie de salon?
Par ailleurs, la mémoire de chaque intervenant, dans ces discussions, est soutenue par les feuilles et les livres que l'on entend bruisser...
Reste que les propos "post-dard" sont à mettre en parallèle avec le texte de Rosenzweig et ce n'est pas inintéressant.
"chaque naissance nouvelle multiplie l’angoisse d’un nouveau fondement, car elle multiplie ce qui est mortel."
C'est ce que répète Rémi Brague sous une autre forme.
"la philosophie conteste ces angoisses de la terre. Elle s’échappe par-dessus la tombe qui s’ouvre sous les pieds à chaque pas".
Comment s'échappe-t-elle ? Par la joie, nous dit Brague, reprenant Bergson. Ici Alain Finkielkraut ne rebondit pas. Il y aurait fallu un... Raphaël Enthoven (jeune). En effet, ce dernier a réalisé plusieurs émissions dont une le 1er avril 2005 dans la série "Commentaires", avec Nicolas Go : "L'art de la joie". Le numéro n'est pas référencé en ligne (qui sait ?), mais je joins le descriptif de l'époque* qui montre déjà le thème récurrent (l'antienne ?) d'Enthoven fils : tout assouvissement du désir est déception. Le thème du "désir" irrigue jusqu'à aujourd'hui Les Chemins de la philosophie d'Adèle van Reeth (on ne se demande pas pourquoi).
Il est possible de lire un très instructif et inspirant entretien du 29 septembre 2007 entre Anne Mounic et Nicolas Go sur le site Temporel "La joie malgré tout, la joie sur le fil du rasoir > Entretien avec Nicolas Go".
Et pour les amateurs du désormais chroniqueur d'Europe 1, une présentation (non datée) sous les yeux de son père, Coup de coeur de Raphaël Enthoven pour "L'Art de la joie" de Nicolas Go.
Pour en terminer avec les références à des émissions de France Culture :
"La joie", Le banquet par Francesca Piolot, 28 octobre 1994, avec Robert Misrahi, Jean Salem, Robert Maggiori
"L'absurde, la mort, la joie", dialogue philosophique, Nicolas Grimaldi/Raphaël Enthoven, 13 février 2007
" La mort, l'absurde et la joie", Qu'est-ce qu'une philosophie de la joie, le 18 août 2007 avec Frédéric Worms, spécialiste de Bergson
[Frédéric Worms devenu producteur du soir à France Culture]
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*Si la philo-sophie, comme son nom l’indique, aime la sagesse, c’est qu’elle en est privée. « Quand on est sage, on ne philosophe pas », dit Platon. Comme on aime ce qui nous manque, l’objet du désir ne supporte pas l’étreinte, l’amour s’estompe dans la possession, et il est déçu quand il est satisfait. Si la philosophie aime la sagesse, elle se condamne à ne jamais la saisir, à moins soit de se tromper, soit de disparaître en elle. Toute philosophie - comme dit Nicolas Go – part d’une miso-sophie, qui est non plus l’amour de la sagesse, mais sa haine. Qu’elle fasse, comme Platon, de l’idéal un au-delà, ou de la vérité une étoile vers laquelle on peut, au mieux, tendre le doigt, l’amour de la sagesse élève la sagesse au point de la rendre intouchable… L’amour de la sagesse la maintient à distance. Vouloir être sage, c’est se l’interdire. C’est un peu comme être pressé de prendre son temps, ou désirer l’éternité avec les moyens de tous les jours.
Pour être sage, il faut donc ne pas le vouloir. Personne n’est moins sage (et personne ne désire moins la sagesse) que celui, justement, qui veut l’être, car il fait de la sagesse un objet du vouloir, de ces objets qu’on n’atteint jamais ou alors qu’on digère sans qu’ils nous coupent la faim… On veut ce que l’on n’a pas, on ne veut plus ce que l’on a. De sorte que c’est offenser la sagesse que d’en faire une idée – un idéal – puisque ce faisant, on en fait aussi un objet de consommation. Comme dit Pascal : « Nous ne vivons pas, nous espérons de vivre, et espérant d’être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais. » L’amour de la sagesse fait de la vie une douleur que le plaisir suspend, ou que la mort supprime.
Ainsi, de l’hédoniste qui, sachant la vie courte, se donne pour seul programme d’en jouir, à l’homme de foi qui, au lieu de chercher la sagesse dans l’immédiat, au jour le jour, néglige le présent au nom de l’espérance en l’au-delà, puis soupire, s’abstient, regrette et récrimine, avant, comme dit Gainsbourg, de « fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve »… quiconque est persuadé de donner un sens à sa vie en lui donnant un but est bon pour la philosophie. Mais si Dieu existait, l’hédoniste serait un homme d’église; et si Dieu n’existait pas, les hommes d’église seraient des pécheurs assidus.
Dans les deux cas, l’amour de la sagesse est un amour fou.
Avec des lectures de textes par les comédiens Anne Brissier et Georges Claisse
Invité
Nicolas Go. Philosophe, professeur à l’IUFM de Nice, auteur de « L’art de la joie », publié chez Buchet-Chastel.
Dernière édition par Philaunet le Mar 27 Fév 2018, 11:11, édité 3 fois