D’accord avec vous, Langevin. Je crois que cette polémique telle qu’elle est menée, par le biais politique, ne conduira à rien sinon à exacerber les attitudes pour finir dans le n’importe quoi et ça commence déjà… Le plus étonnant cependant est que chaque message sonne juste. Cela ressemble pour tout dire à une guerre de tranchée. Deux armées qui s’égosillent dans le brouillard. Or l’histoire nous a montré comment ça finit, les tranchées, la situation pourrit et personne n’en sort vainqueur. Ben oui, que voulez-vous ! L’artillerie lourde, ça envoie du lourd, obstination, mauvaise foi, vanité, orgueil, après coup le champ du débat (et de fait, des possibles) s’en trouve défiguré ce qui rend la lecture difficile.
Alors, puisqu’on me tend la main, je n’hésite pas une seconde : bonjour, chère main ! Bonjour, Antonia !
Et merci de votre mot d’accueil.
Sachez d’abord pour vous mettre à votre aise que je suis moi aussi une enfant du ruisseau. Le même, oui ! D’ailleurs petite je pouvais rester des heures à faire trempette. J’avais toujours quelque jouet à ma portée, ici un canard, ici un bateau Playmobil (qui n’appartenait pas à Dédé, Langevin, mais à mon frangin). Je leur faisais faire un bout d’aventure au gré du débit des eaux de la ville. Il y avait, frappé sur le robinet en fonte, je me souviens, le nom mystérieux de Pont-à-Mousson, ces trois mots éveillaient chez moi tout un imaginaire. Plus tard, j’ai voulu comme vous, Antonia, que le ruisseau devienne un torrent d’idées. J’ai alors fait échange le coin-coin contre un transistor à piles, la chaloupe contre un dico de citations format poche ; mon frère était fou.
La parole des hommes et femmes qui mettaient des mots, du sens, de la culture, de l’ordre et de la clarté sur ce que je devinais, ressentais et voulais défendre, mais de façon très confuse et contradictoire, devenait une parole familière, une amie. J’avoue qu’au début ce fut un cruel casse-tête. Le torrent m’inondait et je nageais. Pour éviter la noyade il a fallu se battre ; je me bats encore, culture est une adversaire de tous les jours, et, chemin faisant, au fil de l’eau, tant bien que mal chacun mène sa barque.
Attentive, passionnée, j’ai commencé à faire la différence entre ce qu’on appelle moderne et ancien, progressisme et conservatisme. Ma leçon apprise, j’ai ensuite distingué un Badiou d’un Finkielkraut : le premier est un sage qui marche, je me disais, le second, un excité assis. Cela pouvait sembler un peu simpliste comme raisonnement, mais bon, c’était un début. Je me suis améliorée depuis. Aujourd’hui, pour vous montrer que j’ai su affiner mon jugement, je dirai que le problème de Finkiel, en définitive, c’est que dans sa vie il lui a été impossible d’échanger son canard. On aura dû lui arracher des mains, un voyou qui passait par-là (d’où sa haine sans doute des jeunes), ou bien il aura paumé, laissé partir trop loin (oui, c’est un enfant du ruisseau lui aussi), enfin bref, toujours est-il je pense que c’est la raison pour laquelle, vous l’avez sûrement noté, il s’énerve, s’excite, fulmine, parle, parle encore, parle toujours mais n’écoute jamais (pour un philosophe, ça craint), et je ne serai pas surprise qu’un jour il nous fasse une bonne congestion ou se pète une artère.
Enfantillage ? De qui, de ma part ? Soit ! Changeons l’objet du ressenti. Remplacez le canard volé ou perdu par son passé. Quand il s’engage sur la shoah, qui, quoi qu’on dise demeure pour lui une grande inconnue (ses grands-parents, ses parents oui, mais lui dans sa propre chair non), il s’énerve, s’excite, fulmine, parle et n’écoute jamais. Vous obtenez les mêmes symptômes. On a l’impression qu’il enrage de ne pas avoir été déporté. Il crie, tape des pieds, se plaint, et tournant vers le ciel ses yeux aux vaisseaux sanguins brisés, ses yeux rouges (non pas de larmes mais d’excitation intense), il se demande pourquoi le destin lui a joué un si mauvais tour ! Et n’obtient pas de réponse. Si vous l’avez, Antonia ou vous Langevin, la réponse, ne prenez pas la peine, il ne vous écoutera pas. Un sourd, je vous dis ! Un mélange entre Cassandre et Phèdre, vous voyez, la victime victimaire qui prédit l’avenir en se faisant un sac de nœuds. Par dépit, bien sûr.
Vous dites ? Attaque personnelle, flingage ? Allons bon ! Est-ce ma faute à moi si les idées sont véhiculées par les gestes, par la pensée, la parole ? Et son filtre à lui, c’est vraiment de la merde. Un filtre discount. Du coup, c’est inévitable, les grumeaux passent avec les idées. Ce n’est pas tant qu’on lui reproche d’être un philosophe d’une droite douteuse, on lui reproche d’être un mauvais philosophe. Eh oui, il y en a figurez-vous ! A droite comme à gauche.
Cependant, sinon vous allez m’accuser de faire dans la partialité la plus grasse, Finkiel a de bons moments. Répliques, oui bien sûr. Mais je me souviens aussi, il y à peu près un an, sur France 3, d’un face à face avec Badiou (encore lui !) qui demeure à ce jour mon plus grand souvenir télé. C’était parfait. Fluide. Cela coulait de source, pour en finir avec mes images aquatiques. Et c’est la première fois de ma vie que je voyais Finkiel écouter ! Je vous dis, un événement rare…
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Alors, puisqu’on me tend la main, je n’hésite pas une seconde : bonjour, chère main ! Bonjour, Antonia !
Et merci de votre mot d’accueil.
Sachez d’abord pour vous mettre à votre aise que je suis moi aussi une enfant du ruisseau. Le même, oui ! D’ailleurs petite je pouvais rester des heures à faire trempette. J’avais toujours quelque jouet à ma portée, ici un canard, ici un bateau Playmobil (qui n’appartenait pas à Dédé, Langevin, mais à mon frangin). Je leur faisais faire un bout d’aventure au gré du débit des eaux de la ville. Il y avait, frappé sur le robinet en fonte, je me souviens, le nom mystérieux de Pont-à-Mousson, ces trois mots éveillaient chez moi tout un imaginaire. Plus tard, j’ai voulu comme vous, Antonia, que le ruisseau devienne un torrent d’idées. J’ai alors fait échange le coin-coin contre un transistor à piles, la chaloupe contre un dico de citations format poche ; mon frère était fou.
La parole des hommes et femmes qui mettaient des mots, du sens, de la culture, de l’ordre et de la clarté sur ce que je devinais, ressentais et voulais défendre, mais de façon très confuse et contradictoire, devenait une parole familière, une amie. J’avoue qu’au début ce fut un cruel casse-tête. Le torrent m’inondait et je nageais. Pour éviter la noyade il a fallu se battre ; je me bats encore, culture est une adversaire de tous les jours, et, chemin faisant, au fil de l’eau, tant bien que mal chacun mène sa barque.
Attentive, passionnée, j’ai commencé à faire la différence entre ce qu’on appelle moderne et ancien, progressisme et conservatisme. Ma leçon apprise, j’ai ensuite distingué un Badiou d’un Finkielkraut : le premier est un sage qui marche, je me disais, le second, un excité assis. Cela pouvait sembler un peu simpliste comme raisonnement, mais bon, c’était un début. Je me suis améliorée depuis. Aujourd’hui, pour vous montrer que j’ai su affiner mon jugement, je dirai que le problème de Finkiel, en définitive, c’est que dans sa vie il lui a été impossible d’échanger son canard. On aura dû lui arracher des mains, un voyou qui passait par-là (d’où sa haine sans doute des jeunes), ou bien il aura paumé, laissé partir trop loin (oui, c’est un enfant du ruisseau lui aussi), enfin bref, toujours est-il je pense que c’est la raison pour laquelle, vous l’avez sûrement noté, il s’énerve, s’excite, fulmine, parle, parle encore, parle toujours mais n’écoute jamais (pour un philosophe, ça craint), et je ne serai pas surprise qu’un jour il nous fasse une bonne congestion ou se pète une artère.
Enfantillage ? De qui, de ma part ? Soit ! Changeons l’objet du ressenti. Remplacez le canard volé ou perdu par son passé. Quand il s’engage sur la shoah, qui, quoi qu’on dise demeure pour lui une grande inconnue (ses grands-parents, ses parents oui, mais lui dans sa propre chair non), il s’énerve, s’excite, fulmine, parle et n’écoute jamais. Vous obtenez les mêmes symptômes. On a l’impression qu’il enrage de ne pas avoir été déporté. Il crie, tape des pieds, se plaint, et tournant vers le ciel ses yeux aux vaisseaux sanguins brisés, ses yeux rouges (non pas de larmes mais d’excitation intense), il se demande pourquoi le destin lui a joué un si mauvais tour ! Et n’obtient pas de réponse. Si vous l’avez, Antonia ou vous Langevin, la réponse, ne prenez pas la peine, il ne vous écoutera pas. Un sourd, je vous dis ! Un mélange entre Cassandre et Phèdre, vous voyez, la victime victimaire qui prédit l’avenir en se faisant un sac de nœuds. Par dépit, bien sûr.
Vous dites ? Attaque personnelle, flingage ? Allons bon ! Est-ce ma faute à moi si les idées sont véhiculées par les gestes, par la pensée, la parole ? Et son filtre à lui, c’est vraiment de la merde. Un filtre discount. Du coup, c’est inévitable, les grumeaux passent avec les idées. Ce n’est pas tant qu’on lui reproche d’être un philosophe d’une droite douteuse, on lui reproche d’être un mauvais philosophe. Eh oui, il y en a figurez-vous ! A droite comme à gauche.
Cependant, sinon vous allez m’accuser de faire dans la partialité la plus grasse, Finkiel a de bons moments. Répliques, oui bien sûr. Mais je me souviens aussi, il y à peu près un an, sur France 3, d’un face à face avec Badiou (encore lui !) qui demeure à ce jour mon plus grand souvenir télé. C’était parfait. Fluide. Cela coulait de source, pour en finir avec mes images aquatiques. Et c’est la première fois de ma vie que je voyais Finkiel écouter ! Je vous dis, un événement rare…
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