Nessie a écrit: (...) l'émission d'hier matin avec Heinz Wismann et Georges-Arthur Goldschmidt, (...) on y ressasse deux formes allégées de "Mémoires du siècle" tissées le plus souvent en chant-contrechant à deux voix plutôt qu'en véritable conversation.
Très bien analysé.
La "faute" à qui ? Sinon à Finkielkraut qui prend le ton de l'interrogateur inquisiteur durant les 6 premières minutes où il somme Wismann de parler de son rapport à l'Allemagne nazie.
Wismann est un penseur et un linguiste ("philologue et philosophe " pour reprendre la présentation du site), il préférerait parler d'un sujet que de lui-même ou de ses opinions. Ça Finkielkraut n'aime pas trop. En revanche, le maintes fois invité Goldschmidt adore ça ("Heine est un cousin à moi", "Figurez-vous que je suis le beau-frère d'une dernière assistante d'Edmund Husserl", etc). Goldschmidt est né en 1928, on peut comprendre qu'il radote et accepter qu'il ne puisse guérir à son âge de son narcissisme.
Dans ces conditions (interroger sur la biographie et l'histoire plutôt que sur le rapport aux langues, sur lequel Finkielkraut n'a aucune lumière d'après ce qu'on entend ici), on ne pouvait s'attendre à rien d'autre qu'à des extraits parallèles de deux "Mémoire du siècle" (belle émission du temps passé).
Et pourtant durant les 25 première minutes (j'ai laissé la suite en suspens pour calmer l'irritation), on y entend des choses stimulantes, notamment la très belle minute quinze secondes à 18'00 du début. Wismann y réfléchit sur un emploi de la syntaxe comme moyen de "sauver des "mots-massues", philosophiquement, mais aussi sur un plan beaucoup plus existentiel" (citation provenant d'un développement ultérieur).
S'est ensuivi un échange intéressant sur la littérature allemande où l'on apprend que Goldschmidt trouve formidable (ah ?) l'
Anton Reiser de Karl Philipp Moritz et que "Allemands classiques [l']'ont rempli d'horreur, cette sérénité sans humour, c'était terrifiant" (soit dit en passant, tout est terrifiant de nos jours, de la hausse du prix de l'essence à l'usage frénétique d'un smartphone, "terrifiant" un mot qui exonère de toute explication, car on n'a pas assez de vocabulaire ou d'idées pour expliquer une détestation).
Wismann aurait pu s'échauffer la bile, vu qu'il vénère la littérature allemande classique du 19e, mais il n'a pas voulu relever, en gentleman qu'il est (on l'avait noté ici ou là, notamment chez Veinstein, un trait qu'on relève assez souvent dans les milieux intellectuels allemands, où l'on préfère laisser passer que de rentrer dans le lard de quelqu'un qui vous agresse indirectement, c'est là, d'ailleurs, où Wismann montre cet humanisme allemand -en partie hérité des Lumières françaises- que Goldschmidt, bien plus imprégné d'esprit français contemporain, n'a pas ou plus).
Un aspect aurait mérité d'être approfondi, mais Finkielkraut n'a pas saisi l'occasion d'arrêter la logorrhée de Goldschmidt pour lui demander de préciser sa pensée, c'est lorsque ce dernier dit que la langue allemande a été "sauvée par Kafka et Robert Walser" (en passant, le premier a dit qu'il aurait aimé écrire comme le second, à ne pas confondre avec l'insipide mais très populaire Martin Walser). En quoi le Tchèque et le Suisse ont ils sauvé la langue allemande ? On craint ici le "name-dropping", alors que la langue de ces deux maîtres de la littérature de langue allemande aurait mérité un minimum de présentation pour étayer l'assertion initiale.
Cela n'a pas été fait, car le pilote de l'émission (le mot "pilote" est parfait au lieu de journaliste, producteur, animateur, etc, merci de l'avoir employé dans un post récent) n'a pas su rebondir sur ce point. Par manque d'attention ou par peur d'entrer dans un sujet où il ne pourrait se mettre en valeur ou par manque de temps, je ne sais.
Voilà pourquoi on a eu davantage deux tranches d'histoire individuelle "light" qu'une réelle réflexion sur la langue. Qui, si elle avait eu lieu par le sale temps qui court sur France (Pauvre/Poivre) Culture, nous aurait fait crier au miracle...