Dans le numéro à deux voix qui vient de s'achever, il est difficile de dire qui était le plus pathétique, de l'animateur ou de son unique invité. L'invité c'est Michel Serres transformé en ravi de l'ère moderne, dégoulinant de lénifiance par exemple quand il s'émerveille devant le brouhaha des échanges de texto pendant la classe ('quelle belle preuve de vie !'). Ou jouant de la provocation quand il met dans le même sac le copié-collé sur wikipedia et la citation produite à l'appui d'un développement dans une thèse. Appuyé par l'argument-massue 'moi j'ai lu des milliers de thèses et je peux vous dire que la plupart sont nulles'. Ben voyons. Parce que les thèses sont des exercices laborieux et souvent stériles, il faut laisser les écoliers se détourner de l'apprentissage, des exercices et du savoir. Et face à Serres, Finkielkraut obligé de se gratter la tête pour retrouver quelques évidences oubliées : de quoi s'agit-il au fait, ah oui : il s'agit de la formation des esprits, non ? Mais Serres mélange tout, arguant des défaut de l'enseignement d'élite pour cautionner le merdier de l'enseignement élémentaire. Ce sophisme n'est pas central dans le propos de Serres, mais il en est bien représentatif, car tout sera à l'avenant dans cette conversation qui n'en est pas une.
Dans certains numéros de Répliques, les points de vue qui s'opposent peuvent nous ouvrir quelques portes, nous donner pistes ou occasions de réfléchir, quand bien même ou surtout on s'y sent molesté par des idées fausses et des sophismes. Et donc à la fois intrigué, agacé, un peu dérangé. Mais ici, rien de tout ça : la pensée de Michel Serres en 2012 ne s'élève guère plus haut que le paradigme moderniste à courte-vue, cousin lointain de l'esprit de 68 : les jeunes ont raison et les profs on tort ; le nouveau c'est bien parce que c'est ludique et vivant ; la communication tous azimuts apporte le multiculturalisme or le multiculturalisme c'est bien ah ah vous êtes bien attrapé. Pèle-mèle il cite une boutade de Max Planck, fait l'éloge de Wikipédia dont il prétend avoir été il y a 20 ans un précurseur, hélas incompris. Le tout étayé par un sociologisme de bazar, par des paralogismes et des paradoxes à 2 ronds, par l'usage décomplexé de l'amalgame (le XXeme siècle fut atroce alors soyons content de le quitter et de changer le monde), par des pirouettes jeux de mots (vertu=virtuel) qui semblent avoir valeur d'argument. Parmi les tours rhétoriques dignes d'un penseur débutant, je retiens celui-ci : "la communication numérique est instantanée et internationale, donc elle vaut mieux que le courrier postal que j'envoyais de Djibouti il y a 50 ans à ma dulcinée en France, dont j'attendais la réponse pendant des semaines ou des mois". Ben voyons. mais au fait, quel rapport avec le merdier en classe, quel rapport avec l'abrutissement des esprits jeunes par le flux numérique, quel rapport avec la dispersion de l'esprit ? Foutaises tout cela, le philosophe invité ne pense pas aussi loin que ça... Mais le paradoxe est qu'ainsi, ce vieux qui se ridiculise à force de se la jouer Djeunz, il est ainsi autorisé à traiter de vieux con l'animateur qui aimerait bien voir resserrer les boulons d'un monde qu'il sent se démantibuler en plein vol. Cela dit, avec des mécaniciens comme Michel Serres, on ne quitterait même pas le tarmak.
Dans ce numéro de Répliques, il n'y avait pas de raisonnement ni de réflexion. Nous n'avons eu qu'un affrontement faussement amical et frisant l'agressivité , entre un vrai vieux con qui se croit moderne mais qui raisonne comme une savate, et un adulte qui tout en se sachant à la fois déçu et dépassé par son époque, se montre une fois de plus effondré de débattre avec un de ses pairs ayant rejoint les rangs d'une armée d'adolescents ricanants. Car il y a un ricanement contre Finkie dans les vannes que lui envoie Michel Serres. Résultat : un dialogue dont on ne peut rien tirer sinon le constat d'un esprit qui fut brillant (peut-être mais j'en doute un peu) mais n'est plus que superficiel et vaniteux, recyclant à l'envi une rhétorique inspirée de Mai 68. Et il n'y aura personne pour lui dire qu'en 2012, l'esprit de 68 pourrait-bien être un anachronisme ?
Dernière édition par Nessie le Sam 08 Déc 2012, 10:57, édité 3 fois