@ Gomez : je ne sais pas pourquoi Finkielkraut ne traite pas des thèmes que vous listez, mais je suis bien certain que ça vaut mieux comme ça. Ce sont des sujets à la fois complexes, insuffisamment posés, et proprement sociologiques, alors voyant son absence de bases théoriques et méthodologiques (ou alors elles sont bien recouvertes par les années), je préfère qu'il ne s'aventure pas dans de telles eaux. Je préfèrerais aussi qu'il apprenne à lire mieux la société, et déconnecte un peu cette trouille qui fait de lui à la fois un des alarmistes les plus délirants en même temps que certainement un des plus honnêtes, intellectuellement et idéologiquement parlant. Mais s'il se met à décliner le sujet de ses inquiétudes dans tous les domaines de la vie sociale, alors on n'a plus qu'à faire une croix sur Répliques.
Je veux bien imaginer que sa position est biaisée par son désir de ne pas se trouver amalgamé aux incultes contemporains. Résultat : il combat des cohortes de Tartuffes, quasi clônés, haineux, tous pratiquant l'indignation mode ; de là peut-être en oublierait-il qu'à certains de ces tartuffes avec toutes leurs mauvaises raisons et leur hypocrisie, il arrive parfois de dire le vrai. Face à ceux qui disent le vrai pour de mauvaises raisons ou avec une conduite morale fausse, la tentation est de réagir en opposition et de sous-estimer la part de vérité qui pourrait se loger logée dans leur parole. Ce piège est tendu à tout citoyen honnête et soucieux de son indépendance d'esprit, et je veux bien croire qu'il n'est pas le seul à y tomber. Pour autant, je ne vois pas ce qu'il y aurait de spécialement infantile dans le fait d'accorder un handicap positif à celui qui à ses risques et périls -et on a vu qu'ils ne sont pas nuls- se place en butte aux réactions de l'intolérance, surtout quand cette intolérance vient du camp du bien, sacrée contradiction. Un camp par ailleurs fort bien armé, compact et cohérent, tellement bien protégé par les cautions morales qui soutiennent son harmonie. Par contre ou plutôt en revanche, les couplets systématiques contre Sarkozy et les multinationales, ben moi je trouve que ça sonne un peu comme des slogans de lycéens ou de débutants qui s'aventurent dans l'économie politique avec les chaussons du manichéisme.
Mais surtout, je ne vous rejoins pas sur vos constats ni sur vos préconisations : dans votre premier paragraphe, vous voudriez que Finkielkraut embraye à la suite de l'éconophobie ambiante. Mais si elle est déjà majoritaire dans l'intelligentsia qui tient le micro, et chez les essayistes qui dominent l'espace des médias, alors que voudriez-vous donc qu'il y apportât ? Par ailleurs, les sujets que vous listez offrent matière à de sérieux débats dont vous semblez vous exonérer : la mondialisation libérale qui déglinguerait la culture, les dérives managériales qui disloqueraient l'éducation, la toxicité sociale de l'élite économique (je reformule, excusez-moi - je ne crois pas trahir vos propos), bref chacun de ces raccourcis dont vous semblez faire des points de départ, on en ferait aisément la matière de longues discussions en forum, quand bien même la messe semble dite depuis longtemps du côté de la classe moyenne cultivée qui vient de suivre la consigne de vote de FC/Télérama et d'élire Hollande. Mais comme précisément ces pétitions de principe constituent le paradigme idéologique de cette radio, je suis surpris qu'on reproche à un de ses producteurs de ne pas y adhérer ou parfois même de s'inscrire en faux contre le discours ambiant qui domine sur la fréquence.
Je vois aussi que vous semblez faire vôtre ce reproche implicite qu'exprime la formule de l' "indignation sélective". Mais j'aimerais bien savoir quelle indignation ne l'est pas, sélective ? Ce tour rhétorique est finalement synonyme d'un reproche fait à ceux qui ne réagissent pas comme nous (je rappelle au passage que quelqu'un qui réagit est un réagissant et non un réactionnaire). Mais après tout Stephane Hessel qui vient de mettre l'indignation à la mode, a lui-même l'indignation fort sélective puisqu'il qualifie de positive et bienveillante l'occupation de la France par l'Allemagne tandis qu'il classe celle de la Palestine par Israël comme crime contre l'humanité. Laissons donc de côté de telles scies argumentaires. Vous me direz que c'est là une clause de style, mais justement dans nombre des reproches faits à Finkielkraut, des clauses de style j'en trouve. Et pas qu'un peu.
Mais surtout je m'étonne que vous reprochiez à un essayiste de délaisser un sujet et même plusieurs. On devrait plutôt leur faire à presque tous le reproche inverse : celui de parler à tort et à travers de ce qu'ils ne connaissent pas, de ce qu'ils analysent insuffisamment ; et ce faisant, de rejoindre un concert bruyant de commentateurs qui n'ajoutent guère de valeur au domaine des idées. Finkielkraut a montré qu'il maitrisait la langue, qu'il connaissait les littératures, et qu'après sa brillante agrèg' en la matière, il pouvait tenir une place dans le débat des idées philosophiques. Mais je pense (et j'en dirais autant d'un Raphaël Enthoven) qu'on ferait erreur en cherchant dans ce brillant manieur d'abstraction une boussole pour se repérer dans le social. Il est tout aussi aimanté de travers que ceux qu'il déteste (de Bourdieu à Plenel) à ceci près que chez lui la polarité est inversée. Je déplore qu'il se soit laissé intoxiquer par l'alarmisme contemporain, alarmisme que France Culture nourrit d'ailleurs à sa manière c'est à dire de façon permanente et en catalyseur d'effets pervers.
Le problème de Répliques est peut-être que depuis sa fondation les choses ont changé, et qu'on ne peut plus donner ce genre d'émission à des gens ayant le profil de Finkielkraut. Contrairement à Terki, je trouve très bien que cet homme ait sa tribune. Qu'il la garde ! Et qu'il y réduise la proportion consacrée aux sujets de ses frousses. S'il veut s'indigner sélectivement, je l'y encouragerais : mais qu'il se limite à des sujets qui sont du domaine de sa compétence et qu'il pourrait traiter sans recours à la technicité du raisonnement sociologique (il me semble que l'Ecole en fait partie) ; et puis qu'il se comporte en philosophe moraliste pour fustiger le moutonnisme courant dans l'intelligentsia, eh bien je trouve la chose utile et saine. Mais tout ça devrait lui donner de quoi faire même pas une émission par mois. Et qu'il rende les sujets de société à ceux qui savent faire des émissions là-dessus. Je ne suis pas adversaire de l'intervention de non-spécialistes dans les débats sociologiques, mais on a déjà vu et fait remarquer ici-même que lui se trouve presque toujours à côté de la plaque, et déjà sur le plan du raisonnement. Je ne doute pas un instant que le raisonnement sociologique soit à la portée de son intelligence, mais je crains que cette exigence ne l'effleure pas un instant. Berné par l'illusion philosophique qui veut que cette discipline soit la voie royale des idées (ce en quoi il serait bien proche d'un Enthoven), il ne semble pas effleuré par le souci de technicité que demande l'exercice. Et c'est là ce qui explique à mon sens la trop fréquente mauvaise qualité de Répliques, plutôt que ce qui fait la matière des procès en sorcellerie qu'il est devenu commode et courant de faire à Finkielkraut.