Une petite expérience personnelle qui n'est pas sans rapport avec FC et que je souhaite vous faire partager.
J'étais ce samedi à Rennes où l'Institut qui me forma fêtait ses vingt ans d'existence. Ayant été l'un des premiers à en sortir la tête haute et, de surcroît, pour entrer illico dans une grande école aussi désirée que décriée, et qui constitue pour les godeluereaux qui hantent les Instituts pareils au mien tout à la fois Jérusalem, Camelot et les Cités d'Or, j'avais été convié à la fois en qualité d'enseignant intermittent et d'équivalent local de Youri Gagarine. Congratulations, discours de circonstance, inspection de l'arrondissement des ventres, de l'extension des calvities et de la multiplication des enfants. Du classique.
Puis vint un condisciple de la promotion suivant la mienne, le jeune Antoine Marette, journaliste à France Culture qui présenta à titres et à heures diverses le journal parlé sur ces ondes, puis assura la revue de presse les jours d'indisposition de Mlle de Kervasdoué avant que d'être décoré d'un titre de grand reporter qui, (me dit-il devant une flûte de champagne tiède), devait l'emmener incessamment aux Amériques s'enquérir du logement mobutesque du sieur DSK et des sentiments de la populace niouyorkaise sur l'Affaire. J'avais quitté Antoine sérieux, timide et vaguement mélancolique. Je le retrouvais de même quinze ans plus tard.
Antoine avait été le dernier disciple préféré de notre professeur d'histoire qui s'appelait Michel Denis, et qui faisait partie de cette race de grands, de beaux pédagogues qui fut l'honneur de notre Université, tel Jean Guéhenno auquel il ressemblait tant. Enfant pauvre, mais d'une famille où l'on ne craignait pas le travail, l'on adorait la République et l'on mettait plus haut que tout l'éducation, Michel Denis avait gravi les échelons de la méritocratie jusqu'à devenir un chercheur réputé en matière d'histoire de la Bretagne (et particulièrement de la période révolutionnaire), à occuper le poste de président de Rennes II, puis à exercer quelques fonctions de conseil après 1981. Il s'était investi avec enthousiasme dans la création de l'Institut précité en 1991 qui fut sa dernière, mais pas la moins belle, aventure professionnelle, et laissa aux jeunes filles et aux jeunes gens que nous étions alors le souvenir ébloui d'un professeur dont le talent oratoire et la science profonde et vaste ne le disputaient qu'à son extrême affabilité. Son dernier cours solennel avant sa retraite, en 1996, prodigieux d'éloquence et de valeur morale, avait eu sur le jeune adulte que j'étais un effet si pénétrant que j'en ressens les effets aujourd'hui encore.
Antoine avait bâti un mémorial audiovisuel à ce maître que nous chérissions tant. Il nous en diffusa un extrait (celui, justement, de ce discours final) qui nous émut aux larmes, et même doublement, car, si la matière était des plus nobles, il m'avait semblé qu'Antoine avait su ici trouver ce qui manque parfois tant à FC : la sincérité et la capacité à dégager du son (et, au cas présent de l'image), plus que la réalité ; la vérité du sujet. Un bel ouvrage de professionnel et d'ami, vraiment. Du vrai France Culture hors les murs.
après avoir déjeuné avec quelques amis, non sans deux soupirs consternés de ma femme (qui prétend contre toute évidence que le pied de porc pané et sa garniture de pommes sarladaises, puis le pain perdu au caramel au beurre salé, font grossir), nous reprîmes la route vers notre maison. Dans la voiture, Baddou et ses protégés vulgarisaient dans tous les sens du terme.
Pour une fois, j'ai souri. France Culture, parle truchement de l'un de ses humbles soutiers, m'avait suffisamment contenté pour la journée.