"Les enfants de Bogota", une "Matinée des Autres" (1979), avec Jacques Meunier, ethnologue, auteur des "Gamins de Bogota", Pascal Bruckner, essayiste et Jean Duvignaud, sociologue. Avec Gilles Lapouge.
Il a été question de cette émission ici lorsque elle a été rediffusée la nuit en juin 2013. En avant-propos de cette rediffusion, on a pu entendre un entretien de l'époque entre Alain Veinstein et Michel Cazenave. La question que pose le premier à Michel Cazenave sur la nature de "La Matinée des autres" permet de comprendre l'approche choisie pour ces émissions.
Question d'Alain Veinstein : "
Est-ce que cette émission a un souci de la forme radiophonique ?"
Réponse de Michel Cazenave :
Je dirais que c'est un souci primordial dans la mesure où [articulation devenue la scie des scies chez Cazenave au cours du temps !]
je pense que la forme radiophonique n'est jamais innocente, je veux dire que par elle-même elle transporte un certain nombre de choses".
En guise de forme radiophonique artistique, ce numéro était marqué par des transitions musicales riches et élaborées entre les prises de parole. Une véritable création (très seventies, il faut dire) pour orner une table ronde entre personnes témoignant de leur expérience avec les enfants ("du monde", essentiellement). 2013, prends-en de la graine !
Sur le fond, en revanche, on est nettement plus circonspect. Car la densité des propos n'était pas la qualité première de la rencontre. On s'aperçoit vite en effet que sous couvert de témoignages ethnologiques, c'est une suite de platitudes que les intervenants débitent d'un air satisfait, parfois en ricanant et en entonnant l'air qui est le refrain récurrent de France Culture, à savoir le généreux relativisme et la condamnation du développement occidental, notamment de sa couche "bourgeoise", mot qui faisait florès dans les débats politiques chez les intellectuels "engagés" des années 1970.
On est dans la veine "Libres enfants de Summerhill", si vous voyez ce que je veux dire...
Il est instructif de se plonger dans une atmosphère imprégnant une époque (le tiers-mondisme triomphant, l'enfance comme avenir de l'humanité, la condamnation de la société capitaliste) pour se rendre compte que chaque époque a son climat et sa manière d'envisager les choses. Ainsi le France Culture d'aujourd'hui a une sensibilité et une manière de penser qui, pour une bonne part, sont héritées de l'esprit d'il y a trente-cinq ans.
Les clichés d'aujourd'hui ne sont pas très éloignés de ceux entendus dans cette "Matinée des autres" (hier, los gaminos, aujourd'hui les enfants roms) et l'écoute intégrale de cette émission nécessite beaucoup de patience...
Pour finir, c'est Jacques Meunier qui dit ceci : "
On me disait "Tu verras quand tu auras 50 ans". J'ai 50 ans et je n'ai rien vu". Et chacun autour de la table de s'esclaffer et d'approuver.
Sans se rendre compte que si lui ou les autres n'ont rien vu, ce n'est pas parce qu'il n'y avait rien à voir, mais parce qu'ils n'ont pas assez mûri pour changer leur regard sur les choses. Ils ont continué à cultiver l'esprit infantile étudié et valorisé dans cette émission (Finkielkraut a viré sa cuti dans les années 80-90 en fustigeant cette vision de l'enfant-roi, l'enfant égal ou supérieur à l'adulte, l'enfant père de l'homme).
Ce qui rejoint une observation personnelle sur le terrain en 1978 alors que je faisais une formation d'encadrement de jeunes. Un psychologue avait alors affirmé au groupe constitué de jeunes de 18 ans que l'adolescence durait jusqu'à 35 ans et que c'était bien.
Étonnez-vous ensuite que nous ayons, dans certaines émissions, des discours d'adolescents portés par des personnes de 30 à 50 ans (la limite a reculé...) en guise de nec plus ultra de la parole culturelle branchée (voir Charon, Richeux, Tourret, Goumarre, et Poivre d'Arvor en néo-jeune).