Henry, antonia, votre lecture a suffisamment éveillé ma curiosité pour que j'écoute un numéro d'Onfray entier, cette année, avant qu'il ne soit trop tard.
C'était ce numéro,
Une passionaria de l'Existentialisme : [son mp3="http://download.od.tv-radio.com/france_culture_ondemand/sites/default/files/sons/2012/08/s34/RF_CB746790-A629-4FB8-9C24-DCBA481EA36F_GENE.MP3" debut="00:00" fin="57:00"].
Onfray est toujours aussi sympa dans le ton, et on ne peut pas lui reprocher le monolithisme de son discours : après avoir visiblement démoli Sartre et De Beauvoir les numéros précédents, il se fait dans celui-là plus concessif, quant aux mérites proprement philosophiques de Sartre.
En chemin, pour nous introduire Sartre philosophiquement, il nous met en garde contre ceux qui parlent le plus d'ouvrages tels que
l'Etre et le néant, qui sont justement ceux qui ne l'ont pas, ou mal lu. Pour émettre ce genre de remarque, on ne peut que deviner qu'Onfray l'a lu attentivement - sinon comment en distinguerait-il une bonne et une mauvaise lecture d'un collègue ?-. C'est en fait ce genre de remarques qui m'empêchent de prendre réellement Onfray au sérieux : Le reste de la conférence, il évite soigneusement de parler justement du contenu de
l'Etre et le néant. Oh, on apprendra tout sur ses conditions de rédaction sous amphétamines, des manies tabagiques de Sartre, mais sur le contenu, rien, ou a peu près. Si : c'est confus, de l'aveu même de Sartre (mais moins que la critique de la raison dialectique, dont on n'apprendra rien non plus), c'est difficile, et c'est dense philosophiquement : ça pèse un kilo. En fin d'émission : c'est à lire, enfin à picorer si vraiment vous vous en sentez le courage, mais sinon, passez directement à
l'Existentialisme est un humanisme, c'est court et facile.
Quand même, il faut bien en parler, l'existentialisme, c'est quoi, au fait, Michel Onfray ? Ben... en gros,
l'existence précède l'essence, hein, comme dirait
Dupontel euh, Sartre. Pourquoi ? Parce que ce que vous êtes, c'est ce que vous faites. C'est le contraire des objets, comme les tables...
Voilà pour la partie philosophie que l'émission (j'exagère à peine). Et la phénoménologie, qu'est-ce que c'est déjà ? On n'en saura rien, tout ça c'est pas très important, on le lira plutôt dans les histoires que dans les contre-histoires. Ce qui est important, c'est plutôt toutes les petites histoires croustillantes qu'il y a à raconter autour, parce que se prendre la tête c'est bien beau, mais quand même, c'est drôlement plus intéressante de savoir qui est sorti avec qui et qui a menti à quelle occasion, non?
Je sais que c'est caricatural, il y a bien quelques minutes de vulgarisation philosophiques pas trop mal faites dans les émissions d'Onfray, mais cela n'occupe qu'un dixième à peine de ses émissions. Et ses remarques permanentes sur ceux qui ont mal lu l'Etre et le néant quand lui donne l'impression de n'avoir pas dépassé l'introduction, il faisait les mêmes il y a des années en expédiant "les trois critiques de Kant" en deux phrases. D'ailleurs, dans le numéro d'aujourd'hui, Kant c'était de la philosophie chrétienne recyclée, ou quelque chose d'approchant.
Un autre moment qui amène à douter du sérieux d'Onfray était ce moment où il s'est mis à vouloir montrer le côté bancal de certaines assertions de Simone de Beauvoir (au moins en était-on revenu à la philosophie !) : Onfray lui reproche sa définition de la liberté, qui suppose qu'on puisse n'être que partiellement libre. Le contre-philosophe brandit alors le contre-discours : "non, qu'est-ce que ça veut dire, soit on est libre complètement, soit la liberté ça n'existe pas du tout".
Soit. Cependant, vous rappelez-vous toutes les fois que Michel Onfray a exposé sa propre conception de la liberté ? Si oui, elle revient en gros à se faire dans un premier temps impressionner par le point de vue de Spinoza, puis en songeant à lui-même, se dire "non, mais moi quand même, je suis libre !", et de conclure : "les gens, il y en a de plus libres que d'autres". Mmmh, on n'est pas dans une liberté partielle, là ? (concernant l'autre versant de la critique à De Beauvoir, sa liberté est de type "ontologique" et pas pratique, je ne suis pas sûr du degré de ridicule de la remarque).
En aparté, pour provoquer la discussion, on pourrait se demander, à propos de ce qu'est un choix "libre", s'il est déjà arrivé qu'on choisisse ce que l'on veuille, et si ce n'est pas de la façon inverse que les choses fonctionnent. Puis s'interroger sur ce qui pourrait forger notre volonté, si ce ne sont des déterminismes (histoire personnelle, hérédité, tous non choisis), les résultats d'un calcul (à nouveau, rien n'est à choisir, pas même les erreurs qu'on commettrait), ou de hasards et de contingences (toujours pas de choix en vue). Mais enfin tant que nos choix restent imprédictibles car incalculables en pratique, n'est-ce pas là l'essentiel ?
Pour revenir à Onfray et finir ce trop long message décousu, on ne pourra pas lui faire le reproche de s'aligner définitivemnet sur quelque ligne que ce soit, il est capable de moduler son propos, d'être équilibré et nuancé, et n'hésite pas à tirer sur ce qu'on pourrait penser être son camp, ou proche de son camp. C'est bien le moins qu'on puisse attendre de quelqu'un qui a l'anarchie en sympathie. Effectivement, Onfray n'a pas de dieu ni de maître à penser. Pour évoquer des histoires, conter des vies, disséquer des phobies, et de façon plus positive, pour aborder certaines questions historiques ou sociales, il lui arrive d'être intéressant, et il peut compter sur son indéniable bagou. C'est vraiment du côté de la philosophie que ça pêche.