Philaunet(https://regardfc.1fr1.net/t261p50-la-musique-a-france-culture#26408) a écrit:Lors de la transition entre les deux séquences d'
Un autre jour est possible du 11 avril 2016 consacré à la migration des oiseaux, le choix de la réalisation s'est porté sur une chanson de Georges Brassens assez rarement entendue pour être relevée ici : "Les oiseaux de passage" (on admire l'avant et l'après chanson...)
[son mp3="http://media.radiofrance-podcast.net/podcast09/11971-11.04.2016-ITEMA_20958436-0.mp3" debut="18:53" fin="22:15"]
Le texte est extrait d'un poème de Jean Richepin qu'il faut lire depuis le début
Le poème date des jeunes années de Richepin, bien longtemps avant son entrée à l'Académie (Française, celle de Finkielkraut). En ces temps là -1871- Jean Richepin à l'orée de son âge adulte use encore ses fonds de culotte sur les bancs de la bohême littéraire, peut-être dans le groupe des
Vilains bonshommes et à coup sûr parmi les
Zutistes tout comme un autre futur notable Camille Pelletan : on retrouve leurs deux signatures dans l'œuvre collective qui paraîtra quelques dizaines d'années après sous le titre "
Album Zutique". Pelletan était élève des Chartes, Richepin de l'Ecole Normale Supérieure. Je ne crois pas que France Culture nous ait offert de "Une vie une œuvre" sur l'un ou sur l'autre. Tout comme Verlaine Rimbaud Charles Cros, Germain Nouveau, et encore quelques autres dont le fameux Raoul Ponchon, Richepin passait occasionnellement à l'Hôtel des étrangers sis Boulevard Saint-Michel pour y participer aux beuveries du groupe. Un gros cahier gardait la trace de ces passages sous forme de poèmes satiriques et volontiers obscènes qu'y déposaient les uns et les autres, non sans faire suivre leurs saloperies d'une signature usurpée, souvent celle du pauvre François Coppée. Pascal Pia a raconté cette aventure et en a donné moult détails dans la préface à l'édition fort tardive de ce gros cahier, qui resta ignoré pendant plus de 60 ans avant de sortir des rayons d'une collection privée.
Brassens connaissait son Richepin : il mit en chanson "Les Philistins" et "Oiseaux de passage". Ce dernier poème figure dans la première section du recueil "La chanson des gueux", livre assez épais composé de deux parties : Gueux des champs / Gueux des villes. Quoique le recueil parût en 1876, le poème daterait de 1871 et serait donc presque exactement contemporain de l'activité Zutique, qui commence pendant l'automne 1871 et dont les pièces les plus tardives semblent dater de septembre 1872, moment où le groupe serait, croit-on, quelque peu dispersé : Verlaine et Rimbaud ont quitté Paris depuis un moment, ne rendant plus nécessaire la location de la chambre à l'Hôtel des étrangers, qui avait été initialement réalisée par cotisation des uns et des autres pour héberger Rimbaud. Pour mémoire et pour l'anecdote, le lieu où était situé l'Hôtel des étrangers est encore visible : c'est le bâtiment situé sur un court tronçon du Boulevard Saint Michel à l'angle des rues Racine et Ecole de médecine soit exactement entre les deux ailes principales du libraire Joseph Gibert (
aka Gibert-vieux, ne confondez surtout pas avec Gibert-Jeune qui est situé plus près de la Seine, Place Saint Michel je dis ça s'il y a des fondus qui ont envie de se payer un pèlerinage avec lecture de textes, faites moi signe j'en serai vous apporterez la bière et moi les poèmes).
Aneffet comme Philaunet le précise, le début du poème est tout à fait explicite : c'est le tableau d'une basse-cour. Brassens n'avait vraiment aucun scrupule à malaxer les œuvres qu'il mettait en chanson, sauf peut-être celles de son ami Paul Fort ? (à vérifier). En tous cas, ni Hugo, ni Aragon, ni Richepin n'ont eu les honneurs d'un respect pointilleux du texte. Et à lire les 8 premières strophes précédant celles que Brassens a conservées pour sa chanson, ça peut se comprendre :
C'est une cour carrée et qui n'a rien d'étrange :
Sur les flancs, l'écurie et l'étable au toit bas ;
Ici près, la maison ; là-bas, au fond, la grange
Sous son chapeau de chaume et sa jupe en plâtras.
Le bac, où les chevaux au retour viendront boire,
Dans sa berge de bois est immobile et dort.
Tout plaqué de soleil, le purin à l'eau noire
Luit le long du fumier gras et pailleté d'or.
Loin de l'endroit humide où gît la couche grasse,
Au milieu de la cour, où le crottin plus sec
Riche de grains d'avoine en poussière s'entasse,
La poule l'éparpille à coups d'ongle et de bec.
Plus haut, entre les deux brancards d'une charrette,
Un gros coq satisfait, gavé d'aise, assoupi,
Hérissé, l'œil mi-clos recouvert par la crête,
Ainsi qu'une couveuse en boule est accroupi.
Des canards hébétés voguent, l'oeil en extase.
On dirait des rêveurs, quand, soudain s'arrêtant,
Pour chercher leur pâture au plus vert de la vase
Ils crèvent d'un plongeon les moires de l'étang.
Sur le faîte du toit, dont les grises ardoises
Montrent dans le soleil leurs écailles d'argent,
Des pigeons violets aux reflets de turquoises
De roucoulements sourds gonflent leur col changeant.
Leur ventre bien lustré, dont la plume est plus sombre,
Fait tantôt de l'ébène et tantôt de l'émail,
Et leurs pattes, qui sont rouges parmi cette ombre,
Semblent sur du velours des branches de corail.
Au bout du clos, bien loin, on voit paître les oies,
Et vaguer les dindons noirs comme des huissiers.
Oh ! qui pourra chanter vos bonheurs et vos joies,
Rentiers, faiseurs de lards, philistins, épiciers ?
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