Votre intro m'interpelle, comme on dit ou plutôt comme on ne devrait pas dire. Je peux reconnaître une mienne dérive, mais avant toute chose, je veux préciser que je n'ai jamais visé "tout critique de finkielkraut", car de ces critiques j'en fais partie : je reproche à Alain Finkielkraut d'aller trop vite dans nombre de ses raisonnements, d'user de niveaux d'abstraction qui sont mal venus et facteurs de confusion pour débattre des faits sociaux ; je lui reproche également une approche émotionnelle quasi-hystérique, et je vois en lui le type même de l'intellectuel victime de plusieurs intoxications médiatiques. Mais cela je ne le lui reprocherai plus, et je vais m'en expliquer.
Là où vous me taxez d'une malhonnêteté intellectuelle, je préfère m'accuser d'une dérive, que je crois n'être que partiellement idéologique. Les anti-Finkie acharnés (au nombre desquels je ne vous ai pas inclus, ni explicitement ni par un sous-entendu) se manifestent avec une agressivité qui m'a poussé à une double réaction : d'abord de soutien, et en relisant ce fil je ne la crois pas excessive car je reste mesuré dans mon propos à leur encontre. Ensuite une réaction anti-idéologie qui a probablement amalgamé un peu vite 2 choses : cette bizarre haine qu'il doit essuyer + le gauchisme simplifié (si je reprends votre qualificatif je dirai volontiers "binaire"). Je dis "amalgamé un peu vite", mais habitué aux dérives des gens qui confondent la culture et le combat politique, je persiste à parier que ces deux tendances sont bel et bien co-présentes chez l'anti-Finkie de base. Ça n'est qu'une impression. Est-il bien correct de prendre une position polémique aussi cimentée, en la fondant seulement sur une impression ? Cette question me permet de passer au point central de votre critique, que vous aviez développé récemment sur Régis Debray ; je m'en étais voulu de ne pas vous répondre plus longuement, chose que je vais faire maintenant tout en regrettant de déborder le cadre du fil Répliques, mais là je ne vois pas comment je pourrais l'éviter.
Je ne demande pas à des gens comme Finkie ou Debray (ni même à Millet) de parler en vérifiant leurs faits aussi scrupuleusement que devrait le faire un sociologue honnête. Cela serait les condamner à éviter la plupart des faits qui sont le temps présent. On pourra me répondre que cela fera du silence et donc des vacances à l'auditeur qui voudrait entendre autre chose. Rien de plus vrai a priori, sauf que pour le coup on peut redouter qu'il n'entende encore plus de bétises en provenance de ceux qui veulent exploiter les non-événements et les généralisations abusives dans le sens qui convient à leur engagement. C'est en ce sens que Finkie me semble normalement intoxiqué par les médias, et Debray aussi : ils ne peuvent pas se payer le luxe de vérifier les infos bricolées, et pas non plus cet autre luxe que serait un scepticisme radical. S'ils prêtent le flanc à votre critique, c'est par leur position assumée de commentateurs. Et à l'intérieur de cet exercice contraint, c'est bien là qu'ils me semblent l'un et l'autre meilleurs et plus courageux que ceux qui jouent la carte d'une certaine facilité. Cette facilité qui me fait bondir chaque jour, c'est précisément celle du courant actuel de France Culture. Le fait que tous deux s'inscrivent en faux sur nombre des idées reçues du présent, et pas sur toutes, et pas non plus n'importe lesquelles, est ce qui fait leur qualité. Pour autant, ce qu'ils nous livrent n'est que spéculation (que je crois souvent bien venue) sur des faits sujets à caution. Quant à n'entendre que de la vérité factuelle, c'est autre chose, et peut-être un souhait auquel il faut renoncer quand on écoute un media grand public, fût-ce le Monde ou France Culture.
Enfin je pense que leur propos est juste et utile : juste si eux le croient juste au sens de la vérité ; utile si, diffusé à son tour, il porte des germes d'antidote contre le mouvement de division sociale des activistes de la lutte, qui s'appuient sur les mêmes fausses nouvelles. Ces fausses nouvelles, ou plutôt ces événements peu représentatifs, conclusions biaisées, généralisations abusives, font la matière de ce qui circule dans les têtes, aussi est-il indispensable que, face aux commentaires qui les exploitent dans un certain sens, on entende aussi des commentaires faits d'une autre farine.
Je sais que cela peut choquer quiconque voudrait voir dominer la raison et la vérité, mais je crois qu'à partir du moment où les idées fausses envahissent les mentalités, ou du moins les médias, il est bon qu'y soit apporté quelque antidote. Là encore si vous me dites que moi-même je ne sais rien de ce qu'il y a dans les crânes, je vous répondrai que j'en suis bien d'accord, ou plutôt (bis repetita) que mon tableau est hypothétique : vous pouvez imaginer un modèle graphique, avec quelques boites et quelques flèches pour indiquer les effets de l'influence, et le sens qui va des représentations aux actes, et y ajouter quelques rétroactions. Ensuite, seuls les chercheurs bien installés et suffisamment pourvus de budget peuvent tester ce qu'il y a des juste dans de tels modèles. L'honnête homme qui n'a pour lui que sa formation, son esprit à la fois sceptique et curieux d'explications, celui-là ne peut pas se payer le luxe de dépasser le tableau hypothétique. Et encore une fois, se taire parce qu'on n'est pas certain de ce qu'on a à dire, c'est laisser le champ libre à d'autres qui eux ne s'embarrassent ni de doute, ni de scrupules. Or ces derniers me semblent dominants dans le champ de la parole publique. C'est d'ailleurs une des raisons qui me font croire en l'utilité de forums comme celui-ci.
Dernière édition par Nessie le Sam 25 Juin 2011, 15:58, édité 2 fois