./...
On me dira qu'il était difficile de rendre compte de tout ça à la radio ? Euh, avec des extraits, oui certainement. Mais on pouvait en dire deux mots. Ils ne l'ont pas fait. Après tout c'est leur choix et jusque là je ne crois pas qu'on doive réprimer des choix, quand ils sont délibérés, assumés, et justifiés. Si Angelier et Voinchet ne voulaient pas parler de l'invention télévisuelle de Dumayet, eh bien soit. S'ils veulent se cantonner à la formule de Lectures pour tous, ok ok. Cela dit, des dialogues culturels, Dumayet en avait produit bien d'autres après Lectures pour tous. Par exemple dans une série d'histoire à la fin des70's je me souviens des premiers pas de Laure Adler à la Télé, venue présenter "L'aube du féminisme". Et mieux encore dans la même série, une heure avec Jean-Claude Schmitt dans les Dombes sur les traces d'une légende locale encore vivante : le Saint-Lévrier. On y croisait aussi Ladurie, et même Claude Gaignebet qui à la demande du producteur, se mettait à fouiner dans le Motif-Index d'Aarne & Thomson pour y trouver une référence, je ne sais pas si à France Culture on nous l'a fait même une seule fois ce coup là, même pas chez Claude Mettra peut-être. La plupart de ces émissions valaient les meilleurs numéros de la Matinée des autres ou des bonnes années des Lundis de l'histoire. Je me souviens encore d'une brève série de 4 épisodes en été : plongée aux archives de la Bibliothèque Nationale : un numéro entier était consacré aux cahiers de Proust ou quasi à un seul feuillet, avec paperoles, bien sûr. Assisté ou assistant de l'archiviste bibliothécaire, Dumayet inspectait le manuscrit raturé d'une page de "Du côté de chez Swann", le comparait à la page achevée, montrait les étapes successives. On voyait le texte façonné, sortir de la plume de Proust. Tout cela c'était, oui atassion voici le mot qui fait mal : c'était de la télé culturelle. Celle-la même dont Philippe Meyer dira un jour de 1995 (dans Ramdam ou dans Zazie, je ne sais plus) que les téléspectateurs ne savent pas ce que c'est. Il est vrai qu'il cherchait plutôt à emmerder Montebourg (eh oui, déjà il y a 15 ans). J'espère que depuis ce jour là, son avis a un peu évolué.
Il y eut encore bien d'autres expériences : des enquêtes ethnologiques à Ribennes en plusieurs phases avec Elisabeth Claverie, et aussi une série entière de reportages dans les bibliothèques de la banlieue à la rencontre des lecteurs de Flaubert ou de Rabelais. Dumayet n'en fit pas des enquêtes généralistes avec des foules de lecteurs, du montage hâché, et des généralités. Non c'était tout le contraire : toujours quelques lecteurs, un tout petit groupe, et un seul texte : un jour Madame Bovary, une autre fois Gargantua. Et sa part à lui : un questionnement toujours attaché à faire sortir le fond des choses, une écoute compréhensive et même humble, et les apports personnels que sa culture ou ses gouts ou son humour lui permettaient d'apporter, avec des résultats parfois saisissants : suite à une remarque d'un lecteur, il fallait entendre Dumayet lire une page de San Antonio sur une musique speedée de Herbie Hancock et avec en fond visuel des gravures picrocholines, parce qu'une lectrice en lisant une page de la guerre du même nom, avait émis l'idée d'une parenté entre San-A et l'accumulation de noms d'oiseaux envoyés aux bergers par les fouaciers dans le fameux chapitre XXV. De là une minute de lecture sur les mésaventures du Tondu.... avec quel punch ! Le parallèle et aussi la lecture sur fond de "Rockit", c'était bien joué. C'était savoureux. C'était culturel, en plus (merci de ne pas s'arrêter à l'anecdote Frédéric Dard). Euh, la télé ne fait plus tellement ce genre d'émission je crois. Et France Culture, à peine plus ? Allons, ça serait encore une vacherie excessive. Disons plutôt que FC en fait de moins en moins, et que comme la télé des 80's, on voit la part culturelle qui fond un peu plus chaque année.
Mais revenons à Dumayet. En 45 ans de télé, Dumayet ce fut du documentaire aussi, puisqu'il avait signé quelques numéros dans la collection de Bernard Rapp "Un siècle d'écrivains". Il avait été auteur aussi. Et les auditeurs des Nuits savent qu'il avait lancé à la RTF dès la fin des années 40 une série qui préfigurait "Une vie une oeuvre". Au bout du compte, c'était beaucoup. Ce lundi dans les Matins, on ne nous dit rien de tout ça. On s'arrête à sa légende. Après tout, admettons : on aimerait penser que c'est par un choix délibéré qu'ils ont salué non pas l'homme de médias, l'inventeur prolifique d'un audiovisuel axé sur la culture, si pour eux l'essentiel du personnage, c'était l'interviewer ? Eh bien voyez-vous, l'intervieweur il avait été interviewé par Antoine Perraud dans une série intitulée "Télé notre histoire". Pendant une heure il y donnait sa conception du métier et du média Télé. Croyez vous qu'on nous en aurait offert 2 minutes ? Ou même juste une idée, oh disons quelques phrases bien trouvées, histoire de rester cohérent avec l'intro de Voinchet qui vantait les mérites de l'interviewer si précis et si pertinent ? Ben justement : comme pour confirmer, la pertinence n'y fut pas. Vous n'imaginez pas le risque qu'ils prendraient, les gens de la matinale, à tenter de sortir 2 minutes de Dumayet, sur ce qui fait le coeur de leur métier, quant eux-mêmes ils savent très bien qu'ils en sont si loin ? Le risque énorme était de mettre en lumière la qualité professionnelle dont eux-mêmes se sont tellement affranchis, et on dira que c'est pas de leur fait bien sûr, et que c'est la faute des contraintes et des conditions du métier. N'empêche : là précisément, ils ont mis à côté. Si de la part de Voinchet ça ne m'a pas guère surpris cette évacuation à la six-quatre-deux, rétrospectivement j'aurais attendu mieux de François Angelier, dont le sens de la synthèse et les qualités radiophoniques font un des derniers producteurs à FC qui soient capables de tenir son sujet.
Etant donné que j'ai déjà dépensé mon crédit "coup de gueule" dans le post de lundi soir, j'éviterais de conclure ici en incendiant les deux compères qui ont produit ce petit moment dont je ne sais s'il était d'hommage ou dommage. Mais j'en aurai profité pour dire un mot de ce que Dumayet a su faire de la télé de naguère, et les regrets que ça peut nous éveiller en ce qui concerne le programme de notre radio aujourd'hui et maintenant.