Le deuxième numéro de la semaine semble avoir pour but de rappeler que la formation basique en sciences humaines fait défaut à bien des philosophes. Et que les notions de base en psychiatrie sont absentes chez plus d'un psychanalyste, ou plus vraisemblablement elles sont mal comprises, mal apprises, ou encore bien vite oubliées.
Rien de surprenant là-dedans, me diront les sceptiques, les auditeurs critiques de France Culture, et les admirateurs de Michel Onfray ? Peut-être, mais on aurait pu espérer au moins que le choix de l'invité soit suffisamment bien inspiré pour que la deuxième émission soit instructive. C'était ignorer la troisième incompétence, radiophonique celle-là, qui permet à Adèle de choisir pour sujet Schreber, chez qui on trouve certes délire psychotique, hallucinations, narcissisme extrême et mégalomanie, mais fort peu de traces de paranoia.
Résultat au fil de l'émission, les âneries s'enchaînent, mais Adèle réussit à placer Deleuze donc elle est contente. On souscrit au romantisme maison qui a ses idoles, pour cette fois ça n'est pas Oualtèrbenniamine mais une autre des figures obligées : Antonin Artaud car il est sain de rappeler au passage que la maladie c'est la santé et que la folie c'est la raison. Toujours l'inversion des valeurs, mécanisme sacro-saint des intellectuels courageux qui font France Culture. Mis à part quelques lectures et même une mention des Fous littéraires (que l'invité attribue par erreur à Queneau, au détriment du véritable auteur André Blavier), on cherche en vain quelque trace de savoir dans cette émission. Ceux qui ne le savaient pas encore apprennent que la paranoia est un délire, mais par malchance ce délire sera très mal caractérisé. Et parce que la psychanalyse donne lieu couramment au délire d'interprétation, l'invité peut envisager (fugitivement et en rigolant, rassurez-vous) qu'il y ait quelque chose de délirant dans sa pratique. Car en bon ignare, il range le délire d'interprétation dans la paranoia. Répétons-le : si cet invité est psychiatre, c'est grave.
Mais c'est pas fini : depuis la rentrée de septembre, l'émission s'achève par une apostille finement intitulée "2 minutes papillon". Et là le festival d'ignorance se poursuit : une psychanalyste à la voix de fumeuse classe Hitler dans les paranoiaques, et après tout pourquoi pas, mais au fait sur quelle base repose ce diagnostic ? Oh, eh bien c'est parce qu'il était vraiment trop sûr de lui, d'ailleurs la paranoia est vraisemblablement bien répandue chez les politiciens nous dit-elle, parce qu'ils nagent dans la certitude. Première erreur : cette ânesse bâtée confond ici les idéologues (ou les militants), avec les politiciens de métier. 30 secondes de réflexion suffisent pourtant à bien distinguer les deux types de personnes. Mais non pas l'ombre d'une précaution, juste une énormité et en plus c'est une énormité au carré car en supplément elle se paie le luxe de classer les gens sûrs d'eux comme étant des sujets psychiatriques. Espérons qu'il n'y a pas trop de militants et pas trop de politiciens à l'écoute. Et cette analyse tout juste digne du Café du commerce est ce qui arrive en fin d'émission, bénéficiera de cette position privilégiée, servira de viatique à l'auditeur imbécile qui pourra la répéter dans la conversation familiale du dîner.
Résumons-nous : qu'avons-nous appris ? Que la paranoia c'est un délire d'interprétation. Que la paranoia c'est la certitude. Et tout ça sur quelle base, quel cas exemplaire ? (exceptionnellement sur FC on n'aura pas entendu "emblématique" ). Réponse : sur un classique de la littérature psychiatrique, un type qui avait besoin de se déguiser en femme pour faire caca sur son pot. Je n'invente rien : tout le monde peut trouver les auto-descriptions étonnantes dans les écrits de Schreber ('Mémoires d'un névropathe') qui sont disponibles en collection de poche depuis les débuts de Points-Seuil. Et comme ne dirait même pas un Onfray, la différence entre les écrits de Schreber et ceux de son médecin (un certain Freud) c'est que le premier est reconnu comme fou malgré sa grande lucidité sur son propre mal, tandis que le second est classé comme savant malgré son absence complète de lucidité sur son propre délire.
Pour contrôler la qualité de cette transmission de savoir qui a nom "Les nouveaux chemins de la connaissance", à l'auditeur curieux il restera peut-être assez d'énergie pour se renseigner lui-même sur ce qu'est la paranoia. Une définition lisible en un peu moins d'une minute lui apprendra que ça n'a pas grand chose à voir avec le tombereau de sornettes qu'on vient de lui déverser aux oreilles pendant presque une heure. Il en tirera une forte méfiance -celle qu'on appelle absurdement paranoia- envers ce que lui sert sa radio entre 10h et 11h chaque matin.
Cette semaine les 'nouveaux' chemins de la connaissance sont essentiellement ceux du bavardage stupide, où l'on n'entend ni connaissance, ni savoir, ni même intoxication idéologique, mais simplement les divagations d'un fumiste invité par une ignorante.
Ma question : ce post suffit-il à me classer parmi les paranoiaques ? Est-ce paranoia que de s'interroger sur l'étrange organisation d'une radio en principe dévolue au savoir, quand elle mène à un tel étalage d'anti-savoir ?
Mon angoisse : est-ce que si je me farcis les épisodes 3 et 4 ça va me motiver pour demander par écrit à l'équipe des Nouveaux Chemins de resserrer les boulons de leur rafiot, qui prend l'eau de toutes part ?