Ici variante plus facile : quelle est la pointure de France Culture (encore en activité) qui a aligné les mots ci-dessous ?
NB : Ces lignes n'apparaissent pas dans un moteur de recherche. Pas de triche possible donc, mais les auditeurs assidus de FC et les lecteurs du site de la station devraient trouver le/la coupable (pardon, l'auteur). Sinon, indices demain.
« La petite phrase de la Sonate de Vinteuil qui (c)hante l'ensemble d’À la recherche du temps perdu évoque tantôt la mauve agitation des flots que bémolise le clair de lune, la passante dont celui qui la croise ignore où elle fuit, l'arc-en-ciel qui éclate avant de s'éteindre, le décalage entre un amour et les qualités objectives de la jeune femme qu'il prend pour un tyran et pour souffre-douleur, les mille petits baisers que les amants se donnent en riant, la dilution des soucis matériels en une réalité supérieure aux choses concrètes, la lumière d'une lampe qui efface soudain jusqu'au souvenir de l'obscurité, les becs de gaz qu'on éteint boulevard des Italiens, la trace indélébile de la sécheresse la vie...
Comment cinq notes parviennent-elles à dire tant de choses ? À quelle grâce – ou quel malentendu - une mélodie doit-elle d'être à la fois si précise et tellement vaste ? Comment une phrase sans mots devient-elle le langage commun de la tristesse, de l'amour, de la joie ?
Est-ce d'être l'ectoplasme qui, par inconsistance, épouse la forme de l'émotion qu’il accompagne, tel un vêtement de ville qui, bien repassé, convient aussi aux mondanités ? Ce serait réduire la petite phrase à un ornement, et la musique à une distraction, ou pire : à une consolation.
Ou est-ce de parler, à mots couverts, une langue secrète dont l'acuité tient précisément à son caractère évasif, et qui devient immatérielle à mesure qu'elle s'incarne - à la manière dont un peu d'abstraction nous éloigne du monde, mais beaucoup nous y ramène ?
Car les mots nous font défaut (et les notes prennent le pouvoir) non quand on est imprécis, mais au contraire quand ce qu'il faudrait dire est tellement singulier qu’on ne lui trouve aucun équivalent. Manquer de mots, c’est reconnaître implicitement l’impuissance du langage à saisir la réalité dont il nous sépare à coups de généralités - comme l'intelligence nous éloigne du monde par les outils qu'elle enfante et les moyens qu'elle nous donne de le connaître. "Nous ne voyons pas les choses mêmes ; nous nous bornons, le plus souvent, à lire des étiquettes collées sur elles, dit Bergson. Le mot, qui ne note de la chose que sa fonction la plus commune et son aspect banal, s'insinue entre elle et nous, et en masquerait la forme à nos yeux, si cette forme ne se dissimulait déjà derrière les besoins qui ont créé le mot lui-même " Autrement dit le Réel excède les mots pour Le dire, l'existence est d'une étoffe qu'aucune généralité n'est en mesure de caresser, la vie de chaque instant mérite mieux que les ustensiles du quotidien. Or l’humble trésor musical, fût-il légèrement obscurci par le texte d'une chanson, délesté de l'obligation d'avoir un sens ou de représenter quoi que ce soit, jaillissant à l'insu des paroles elles-mêmes, donne le jour à l'inestimable singularité d'une réalité littéralement inouïe, sans réplique et sans miroir, dont la floraison transcende l'intelligible et l'objectif au profit de l'inhumanité du monde.»
Dernière édition par Philaunet le Dim 22 Déc 2013, 21:03, édité 4 fois