Michel Alberganti rebat souvent les oreilles de ses auditeurs les plus persévérants avec les thèmes scientifiques qui ont l'heur de défrayer aussi les chroniques journalistiques généralistes. C'est malheureusement le propos-même de son émission, celui de relation science-société.
Mais il lui prend régulièrement de trahir cet objectif et de proposer des numéros nettement plus intéressants, tel celui de vendredi dernier : Comment l’analogie structure-t-elle notre pensée ?
Les invités étaient Emmanuel Sander, professeur de psychologie – nous apprend le site –, et Douglas Hofstadter, qui enseigne les sciences cognitives, et qui a surtout écrit le célèbre Gödel, Eicher, Bach. Je n'ai pas lu ce best seller (eh! non) mais c'est à son sujet un point d'interrogation assez sombrement négatif que je cultive après avoir entendu les commentaires qu'en faisait Jean-Yves Girard, logicien émérite, dans une conférence à l'UTLS – mais enfin cette conférence par ailleurs très drôle recèle aussi un beau ramassis de jugements farfelus et même de complets contresens, et quel que soit son pedigree, je me méfie du bonhomme (Girard ici, pas Hofstadter) -.
Leur propos et celui, semble-t-il, de leur ouvrage qui vient de paraître, L’analogie, cœur de la pensée, c'est de mettre en lumière l'importance, fondamentale à leur sens, du mécanisme de l'analogie dans la pensée humaine (oui, au contraire de la pensée gallinacée). Bien sûr, on sent intuitivement que l'analogie est une figure importante de la pensée, mais on la voit souvent plutôt comme une ébauche, encore mal construite, un raccourci de la pensée. Sander et Hofstadter considèrent eux que toutes nos concepts et nos catégories de pensée, même les plus aboutis, les plus travaillés, reposent sur des analogies, qui décrivent des invariants et délimitent des catégories d'objets. Rien n'est ainsi n'est définitif, ni figé, ni donné d'emblée dans nos catégories de pensée, mais construit au gré du raffinement ou de l'extension de nos catégories, qu'elles nous soient personnelles ou apprises. Ainsi en est-il de la chaise, mais aussi du virus dont le pendant informatique gagne avec le temps ses lettres de noblesse et son droit à porter authentiquement le nom de virus, non de façon imagée, à mesure que l'analogie se révèle profonde et que le temps fait son travail sur les habitudes de pensée.
La spécialisation est aussi au travail dans les analogies, ainsi Pluton n'est-elle plus une planète depuis quelques années. Les auteurs prêchent donc l'idée qu'aucune catégorie n'est absolue - ce qui plaira aux relativistes du forum, dont je ne suis pas, je ne me fait que le transcripteur de ce que j'ai entendu -. Michel Alberganti signe à ce sujet un bon résumé de leur propos en disant que chacun de nos mondes est ainsi unique, mais lorsqu'il qualifie cette idée, et celle que notre monde est en partie construit par nous, de "révolutionnaire", on rêve un peu ! Descartes, Berkeley, Kant n'avaient pas eu besoin d'ausculter nos tréfonds neuronaux pour faire de telles remarques ! C'est aujourd'hui quasiment un lieu commun, autant qu'un fourre-tout de la pensée, duquel on peut conclure bien des choses peu assurées.
Mais ce qu'il vaut mieux retenir ici, c'est que l'analogie est selon Sander et Hofstadter le moteur principal de la mécanique de l'appréhension du monde par l'esprit humain. Et que l'activité qui nous conduit à raffiner sans cesse, au gré de notre histoire, nos catégories et nos concepts, correspond à une optimisation des analogies qui les fondent (là je brode un peu) : optimisation en cohérence, en simplicité …
Ici, on peut faire un grand écart intéressant jusqu'aux propos qu'avaient échangés Alain Connes et Stanislas Dehaene dans cette émission estivale, Croisements et qui étaient en substance ceux-ci : La compréhension, c'est de la compression (c'est beau et mystique comme l'ajout du [ha] au nom d'Abram quand Dieu et lui scellèrent alliance, vous ne trouvez pas ? Analogie superficielle, sans doute mais y a-t-il autre chose que des formes dans le monde ?) . Réduire le nombre et augmenter la cohérence et la puissance des analogies qu'on utilise pour se représenter le monde, sans doute est-ce cela, comprendre.
A signaler, un contresens mémorable de Michel Alberganti, et repris sur la page de présentation de l'émission (l'écoute permet de se rendre compte qu'il ne s'agit pas d'une boutade) : << A l’époque du triomphe du numérique, ce livre réhabilite-t-il l’analogique ? >>
Hofstadter met un petit temps à comprendre la question, et donc l'erreur, mais je ne suis même pas sûr qu'il ait fait saisir à Michel Alberganti à quel point il était à côté de la plaque (car sinon, à la place de ce dernier, je nettoierais dare-dare la page du site).
Enfin, le dernière chose que m'évoque ce numéro, c'est la critique de l'analogie formulée par Sokal, Bricmont, et Bouveresse (dans Prodiges et vertiges de l'analogie pour le dernier). Il n'est pas innocent que ces auteurs pourfendent les postmodernes et le courant du relativisme cognitif, ni que des propos des invités de Science Publique, on en arrive facilement, justement, à un certain relativisme. Le dosage qu'on tolère de ce degré de relativisme, dont Nessie discutait quelque part par ici avec Basile il y a un certain temps, est la source de bien des achoppements et des divergences d'opinions. En discuter mène de nombreux arguments et contre-arguments dont ce fil n'est sûrement pas le lieu, mais peut-être ce forum, ailleurs, si.
Mais il lui prend régulièrement de trahir cet objectif et de proposer des numéros nettement plus intéressants, tel celui de vendredi dernier : Comment l’analogie structure-t-elle notre pensée ?
Les invités étaient Emmanuel Sander, professeur de psychologie – nous apprend le site –, et Douglas Hofstadter, qui enseigne les sciences cognitives, et qui a surtout écrit le célèbre Gödel, Eicher, Bach. Je n'ai pas lu ce best seller (eh! non) mais c'est à son sujet un point d'interrogation assez sombrement négatif que je cultive après avoir entendu les commentaires qu'en faisait Jean-Yves Girard, logicien émérite, dans une conférence à l'UTLS – mais enfin cette conférence par ailleurs très drôle recèle aussi un beau ramassis de jugements farfelus et même de complets contresens, et quel que soit son pedigree, je me méfie du bonhomme (Girard ici, pas Hofstadter) -.
Leur propos et celui, semble-t-il, de leur ouvrage qui vient de paraître, L’analogie, cœur de la pensée, c'est de mettre en lumière l'importance, fondamentale à leur sens, du mécanisme de l'analogie dans la pensée humaine (oui, au contraire de la pensée gallinacée). Bien sûr, on sent intuitivement que l'analogie est une figure importante de la pensée, mais on la voit souvent plutôt comme une ébauche, encore mal construite, un raccourci de la pensée. Sander et Hofstadter considèrent eux que toutes nos concepts et nos catégories de pensée, même les plus aboutis, les plus travaillés, reposent sur des analogies, qui décrivent des invariants et délimitent des catégories d'objets. Rien n'est ainsi n'est définitif, ni figé, ni donné d'emblée dans nos catégories de pensée, mais construit au gré du raffinement ou de l'extension de nos catégories, qu'elles nous soient personnelles ou apprises. Ainsi en est-il de la chaise, mais aussi du virus dont le pendant informatique gagne avec le temps ses lettres de noblesse et son droit à porter authentiquement le nom de virus, non de façon imagée, à mesure que l'analogie se révèle profonde et que le temps fait son travail sur les habitudes de pensée.
La spécialisation est aussi au travail dans les analogies, ainsi Pluton n'est-elle plus une planète depuis quelques années. Les auteurs prêchent donc l'idée qu'aucune catégorie n'est absolue - ce qui plaira aux relativistes du forum, dont je ne suis pas, je ne me fait que le transcripteur de ce que j'ai entendu -. Michel Alberganti signe à ce sujet un bon résumé de leur propos en disant que chacun de nos mondes est ainsi unique, mais lorsqu'il qualifie cette idée, et celle que notre monde est en partie construit par nous, de "révolutionnaire", on rêve un peu ! Descartes, Berkeley, Kant n'avaient pas eu besoin d'ausculter nos tréfonds neuronaux pour faire de telles remarques ! C'est aujourd'hui quasiment un lieu commun, autant qu'un fourre-tout de la pensée, duquel on peut conclure bien des choses peu assurées.
Mais ce qu'il vaut mieux retenir ici, c'est que l'analogie est selon Sander et Hofstadter le moteur principal de la mécanique de l'appréhension du monde par l'esprit humain. Et que l'activité qui nous conduit à raffiner sans cesse, au gré de notre histoire, nos catégories et nos concepts, correspond à une optimisation des analogies qui les fondent (là je brode un peu) : optimisation en cohérence, en simplicité …
Ici, on peut faire un grand écart intéressant jusqu'aux propos qu'avaient échangés Alain Connes et Stanislas Dehaene dans cette émission estivale, Croisements et qui étaient en substance ceux-ci : La compréhension, c'est de la compression (c'est beau et mystique comme l'ajout du [ha] au nom d'Abram quand Dieu et lui scellèrent alliance, vous ne trouvez pas ? Analogie superficielle, sans doute mais y a-t-il autre chose que des formes dans le monde ?) . Réduire le nombre et augmenter la cohérence et la puissance des analogies qu'on utilise pour se représenter le monde, sans doute est-ce cela, comprendre.
A signaler, un contresens mémorable de Michel Alberganti, et repris sur la page de présentation de l'émission (l'écoute permet de se rendre compte qu'il ne s'agit pas d'une boutade) : << A l’époque du triomphe du numérique, ce livre réhabilite-t-il l’analogique ? >>
Hofstadter met un petit temps à comprendre la question, et donc l'erreur, mais je ne suis même pas sûr qu'il ait fait saisir à Michel Alberganti à quel point il était à côté de la plaque (car sinon, à la place de ce dernier, je nettoierais dare-dare la page du site).
Enfin, le dernière chose que m'évoque ce numéro, c'est la critique de l'analogie formulée par Sokal, Bricmont, et Bouveresse (dans Prodiges et vertiges de l'analogie pour le dernier). Il n'est pas innocent que ces auteurs pourfendent les postmodernes et le courant du relativisme cognitif, ni que des propos des invités de Science Publique, on en arrive facilement, justement, à un certain relativisme. Le dosage qu'on tolère de ce degré de relativisme, dont Nessie discutait quelque part par ici avec Basile il y a un certain temps, est la source de bien des achoppements et des divergences d'opinions. En discuter mène de nombreux arguments et contre-arguments dont ce fil n'est sûrement pas le lieu, mais peut-être ce forum, ailleurs, si.